Samir Grimes, expert en environnement et changement climatique : "La solution du tri est inévitable et incontournable

Entretien réalisé par : Soraya Guemmouri

El Moudjahid : À l'instar d'autres pays du monde, l'Algérie célèbre aujourd'hui la Journée mondiale de l'environnement. Pouvez-vous donner à nos lecteurs un aperçu de la richesse environnementale de notre pays ?
 
Samir Grimes : Il est à souligner d’abord que, pour cette édition, le programme des Nations unies pour l’environnement a arrêté «La lutte contre la pollution plastique» comme thème de célébration de cette Journée mondiale 2023 et que, au même titre que les autres pays, nous célébrons cette journée avec toute une série d’activités au niveau national. Pour ce qui est de la richesse et la grande diversité des habitats et des écosystèmes naturels de notre pays, l’étendue du pays - qui est classé 11e par la surface au niveau mondial et 1er au niveau africain- et sa position géographique entre la Méditerranée et l’Afrique sont autant d’éléments qui lui confère une grande diversité dans la structure de la biodiversité, des écosystèmes et des fonctions écologiques. Plus de 17.000 espèces y sont recensées. Selon les statistiques de 2012, la zone côtière du pays concentre près de la moitié des industries du pays et je suppose que ce ratio n’a pas changé de manière spectaculaire sachant que les wilayas du Nord restent très attractives pour l’investissement. Cela constitue certainement une source de préoccupation concernant la qualité des milieux récepteurs et de l’environnement de manière générale. Il faut noter aussi que l’espace maritime national héberge, selon les connaissances actuelles, plus du quart de la biodiversité marine connue en Méditerranée. On y retrouve, en plus, les principaux habitats clés de la région, en particulier les herbiers de posidonie et l’algue coralligène qui sont les deux habitats clés en Méditerranée et qui permettent  à cet écosystème de continuer à maintenir sa productivité et sa production biologique ainsi que sa résilience face aux effets négatifs des changements climatiques, mais pour combien de temps encore...
 
Quels sont les principaux acquis enregistrés à ce jour en matière de préservation de l'environnement ?
 
On peut considérer que la mise en place d’un cadre juridique, règlementaire et normatif national dans les domaines liés à l’environnement est un acquis majeur, même s’il y a lieu de se préoccuper de l’efficacité juridique et règlementaire de tout ce dispositif. Parmi les acquis majeurs, il y a lieu de signaler l’effort et les réalisations de stations de traitement des eaux usées ainsi que les infrastructures de mobilisation des eaux qui contribuent directement au bien-être du citoyen et à réduire les maladies à transmission hydrique, classées aussi comme maladies environnementales ou climatiques. A cet égard, il faut mettre en lumière la réalisation et la généralisation des STEP pour toutes les agglomérations supérieures à 100.000 habitants. Pour mesurer cet effort, il faut rappeler qu’en 1970, moins d’un Algérien sur 10 était raccordé au réseau d’assainissement, alors qu’aujourd’hui ils sont 9 Algériens sur 10. Durant les 20 dernières années, le nombre de stations d’épuration est passé de moins de 10 à près de 200, ce qui est considérable. Il reste maintenant à améliorer les taux épuratoires et la qualité du traitement des eaux, et à augmenter la possibilité de la réutilisation de ces eaux traitées (non conventionnelles) dans l’agriculture, l’industrie, le tourisme et la ville. Un autre acquis, et pas des moindres, concerne la relance du barrage vert comme instrument de lutte contre la désertification, d’adaptation contre le changement climatique mais également comme outil de développement local intégré  et le renouvellement du patrimoine forestier mis en danger par l’avancée du désert, le changement de la vocation des sols steppiques, notamment l’élevage non raisonnable. 
Le plan d’action du Gouvernement concernant le barrage vert vise l’objectif de 4,7 millions de superficie végétale à l’horizon 2035, soit plus d’un million d’hectares supplémentaires. Les maisons de l’environnement sont un acquis important pour l’action environnementale. Leur dispersion au niveau national leur donne une position de choix pour l’action locale, mais faudrait-il encore que ces structures disposent des moyens nécessaires et d’une feuille de route adaptée à leur environnement immédiat. Pas moins de 69 zones naturelles ont aujourd’hui un statut de protection au regard de la législation nationale et des obligations internationales de l’Algérie au sens de la convention sur la diversité biologique et de la convention de Barcelone pour la protection de la mer Méditerranée avec leurs protocoles respectifs. Ces aires protégées se trouvent dans toutes les régions du pays et sont également représentatives des milieux remarquables du pays, des zones marines, milieux insulaires et du domaine littoral, des zones humides, milieux oasiens et sahariens et régions steppiques. 
Dans ses efforts visant à protéger la biodiversité, l’Algérie a formellement reconnu, en septembre 2020, lors du sommet des Nations unies sur la diversité biologique, ses cinq parcs culturels comme OECM «Autres mesures efficaces de conservation par zone» et compte tenu de l’étendue spatiale de ces parcs culturels, cela augmente de manière significative la surface totale protégée en Algérie.
 
Que reste-t-il à faire et quelles sont les priorités pour relever les défis ?
 
Nous devons trouver rapidement des solutions efficaces et efficientes au risque de voir s’aggraver les effets de la dégradation des habitats et la perte des services économiques, sociaux et écologiques. Il me semble important et fondamental de mettre sur la table la question du modèle de déchets qui a été fait par l’Algérie, à travers les centres d’enfouissement techniques, et il est urgent d’évaluer de manière objective et de tenter de comprendre pourquoi toutes les conditions du succès de notre modèle déchet n’a pas atteint tous ses objectifs. Il est impératif de travailler la solution du tri en amont car elle est inévitable et incontournable quel que soit le modèle de gestion des déchets que nous devons adopter à court terme. La pollution plastique qui prend des proportions dangereuses partout, dans les zones agricoles, en mer, sur les plages, dans les oueds doit interpeller en urgence. Ce sujet doit être traité en amont avec l’objectif de réduction de l’utilisation du plastique à usage unique dans les commerces, les grandes surfaces, les espaces publics, etc. 
Cette solution ne peut être entreprise sans mesures incitatives et une rigueur absolue dans la mise en œuvre de la règlementation environnementale. Il me semble que nous devons mettre les élus locaux au niveau des communes au cœur de l’action environnementale en dotant les bureaux de santé et d’hygiène communaux des moyens, compétences et ressources nécessaires pour agir. Les organes de contrôle de l’État, notamment les commissions des établissements classés, ceux des aires protèges, le comité national climat, et leur déclinaison au niveau des wilayas sont appelés à s’investir davantage sur le terrain. D’autre part, et afin de parfaire le dispositif législatif national, il y a lieu d’adapter certaines lois (environnement, littoral, déchets...) en introduisant les dispositions liées à l’évolution du contexte national, de la législation internationale. Cela permettrait la prise en considération dans la législation environnementale nationale de concepts et démarches comme ceux de la gestion intégrée des espaces et des ressources naturelles, la vulnérabilité des écosystèmes et des territoires. Nous devons également réfléchir à de nouveaux textes juridiques en lien avec les changements climatiques, l’empreinte carbone et l’efficience environnementale ainsi que le gaspillage des ressources naturelles. Il est également nécessaire de trouver de nouveaux mécanismes pour l’appui de la décision environnementale sur la connaissance, le savoir et la science, et ce, à travers des plates-formes et un système de monitoring intégré.
 
Un commentaire sur le rôle de la société civile dans cet effort de lutte pour la préservation de notre environnement... 
 
Le rôle de la société civile dans la mise en œuvre de l’action environnementale et climatique de l’Algérie est de plus en plus important, d’abord parce que ce sont eux qui constatent tout changement dans la qualité environnementale, qu’il soit positif ou négatif, ensuite parce que ce sont d’excellents relais entre l’administration et les citoyens. Ils sont donc appelés à densifier les opérations de proximité pour augmenter la conscience environnementale. Enfin, une société civile organisée, responsable et impliqué dans un projet national peut jouer pleinement un rôle positif et constructif dans l’évaluation et le suivi des politiques publiques environnementales et climatiques.
 
S. G.

 

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