
El Moudjahid : Le monde célèbre ce 22 mai la journée internationale de la Biodiversité. Quelle est l’importance d’une telle journée ?
Aïssa Moali : La célébration de cette journée est très importante pour rappeler que la biodiversité est dans un sens générique complet, notre source de vie et notre plateforme de survie. Les peuples ont choisi de partager le monde en territoires nationaux comportant des éléments géologiques et écologiques différents d'un pays à un autre compte tenu des facteurs physiques et climatiques. Ces facteurs ont façonné des paysages, des habitats naturels et ont également conditionné la vie des organismes végétaux et animaux à travers leurs capacités d'adaptation, ce qui en fait le socle de la diversité des espèces, des races, des variétés, etc. Il est donc naturellement important de rappeler à l'occasion de cette journée que nous faisons partie de cette diversité biologique qui a un visage évolutif illustré par l'apparition de nouveaux visages, de nouveaux génotypes, de nouveaux cultivars, de nouvelles sous-espèces. En somme, une perpétuelle permutation de générations porteuses d'histoires de vie différentes témoignant de leur traversée des âges biologiques mais aussi porteuses de potentiels adaptatifs qui font le bonheur de la science de l'évolution au service de l'espèce humaine.
Pourquoi est-il aussi important de conserver la biodiversité et comment procéder ?
Conserver la biodiversité c'est conserver la durabilité du fonctionnement des écosystèmes marins et terrestres et celles des communautés biologiques qui les constituent. Conserver la diversité des communautés biologiques permet de renforcer les capacités de résilience des écosystèmes par le remplacement d'un maillon trophique par un autre dans le cas de la disparition de l'espèce ou du groupe d'espèces qui assure une fonction précise. Un prédateur doit être remplacé par un autre prédateur pour contrôler la population de la proie, sinon la population de la proie sera à l'origine du dérèglement du fonctionnement de tout l'écosystème. Conserver la biodiversité, c'est aussi la connaître, en connaître les atouts, la force et la fragilité. Pour l'instant, le terme de biodiversité n'est pas encore consacré dans les jargons d'usage, il reste presque enfermé dans les échanges et les analyses de certains cercles de spécialistes, mais non encore injecté avec force dans le langage politique, mais surtout économique. Force est de constater qu'il y a du chemin à parcourir pour joindre le vœu de conserver et l'opportunité de valoriser la biodiversité qui est un chantier à ouvrir d'une manière synergique pour concrétiser sa contribution au développement de notre pays, mais avant cela un autre chantier doit être ouvert pour sa consécration scientifique et socioéconomique.
L’Algérie est connue pour sa riche biodiversité. Pouvez-vous nous établir un bref état des lieux ?
L'Algérie est un pays qui montre géographiquement sa diversité biologique par les différents étages bioclimatiques : saharien et aride, steppique et semi-aride, tellien en subhumide et en humide. A partir de la diversité du socle géologique et climatique, celle des organismes vivants s'est construite au gré des processus d'adaptation qui ont produit des paysages et des habitats pluriels et différents. L'Algérie possède donc un patrimoine naturel lié à son socle géologique, à la disponibilité et à la qualité des éléments minéraux qui le nourrissent pour donner des produits aussi originaux du point de vue sol et climat. Ce patrimoine doit être considéré comme potentiel sans occulter sa durabilité. Il ne s'agit pas d'exploiter sur le moment mais de disposer de capacités d'usage rationnel pour garantir l'avenir. L'avenir c'est la sécurité alimentaire par la conservation de la qualité des sols, l'avenir c'est l'exploitation des réserves minières sans détruire les paysages et les habitats naturels et sans polluer les eaux, l'avenir c'est laisser un patrimoine valorisé aux générations à venir.
Parmi les espèces composant la biodiversité, quelles sont celles qui sont menacées ? Et quelles sont les menaces qui pèsent sur cette diversité biologique propre à notre pays ?
Toutes les espèces végétales et animales peuvent être menacées sans distinction de milieu. En milieu marin ou terrestre les pressions sont de plus en plus présentes depuis un moment déjà. Il s'agit de la réduction des aires de distribution d'espèces emblématiques qui ont fait le visage naturel de l'Algérie à cause des pollutions diverses, à cause de la destruction des milieux naturels en raison de mauvais aménagements et de la non-application des dispositions de loi. Où sont donc passées les étendues steppiques avec leurs populations d'outarde houbara, les forêts de thuyas et leurs gazelles de l'Atlas, les belles futaies de chêne liège, les cédraies et les zenaies telliennes et leurs singes magots sans omettre les zones humides ? C'est vrai qu’elles sont remplacées par d'autres biotopes et d'autres biocénoses qui font aussi la biodiversité mais l'état originel ne pourra être de retour bien avant longtemps et encore si les conditions écologiques le permettent. Les menaces et pressions sur la biodiversité en Algérie sont de deux catégories, naturelles et liées à tous les changements qui s'opèrent sur la surface de la Terre et humaines, liées à la sociologie, aux impacts des programmes économiques non adaptés et aux mauvais comportements vis-à-vis du vivant.
En tant que consultant spécialisé en écologie, que recommandez-vous aux pouvoirs publics pour la protection de la biodiversité ?
Il est souhaitable de commencer par valoriser d'une manière engagée et lisible les études réalisées et les différentes recommandations formulées par les schémas directeurs, plans de gestions, plans d'action, recommandations d'ateliers multiples et multisectoriels, analyses d'experts et travaux scientifiques nombreux et très clairvoyants. Cette valorisation doit être suivie par l’application sur le terrain pour la conservation du patrimoine naturel dont la biodiversité est le socle.
B. A.