
Entretien réalisé par : Belkacem Adrar
El Moudjahid : L’Algérie recèle des zones humides importantes qui subissent les effets du changement climatique. Quels sont les principaux impacts du dérèglement climatique sur le fonctionnement et la biodiversité de ces zones ?
Aïssa Moali : Les dérèglements ou carrément changements climatiques ont, bien entendu, des impacts sur le fonctionnement et la biodiversité des zones humides. Quand il s'agit de crues, elles sont en principe et géomorphologiquement bien placées pour recevoir les surplus des précipitations si elles ne sont pas comblées, détournées ou encombrées. C'est aussi le cas des rivières qui transportent les eaux. Les crues peuvent changer le cours du cours d'eau, redessiner et prendre des alluvions d'un endroit pour les déposer dans un autre. Dans le cas de la sécheresse, de baisse du volume des eaux ou simplement d'assèchement, bien évidemment, le fonctionnement des zones humides s'en trouve entièrement modifié, puisque l'élément premier est insuffisant ou absent. L'eau est l'élément de base des écosystèmes lacustres, sa qualité et sa quantité régulent de fait les caractéristiques physicochimiques qui fixent les conditions de développement de la biodiversité dans ses dimensions qualitative, à savoir la richesse en espèces, et quantitative, concernant le niveau de viabilité des populations et des peuplements. L'exemple spectaculaire est celui de la zone humide d'El-Goléa, qui est formée d'une partie sebkha avec une eau saumâtre et un assèchement estival qui n'héberge que les flamants roses, les Echasses blanches et les Tadornes de Belon, et la partie lagune issue des rejets d'eaux usées de l'agglomération, qui est permanente et accueille plusieurs espèces d'oiseaux d'eau, avec une végétation exubérante. Les changements dans la physionomie et la composition peuvent avoir lieu au gré de la disponibilité de l'eau et des éléments minéraux ou organiques.
Le dérèglement climatique bouleverse significativement le fonctionnement des habitats aquatiques et influe sur la composition floristique et la structure de la végétation riveraine. Il influence aussi la productivité de l'écosystème, par manque d'apports d'alluvions qui charrient les éléments minéraux à partir des formations géologiques du bassin versant en cas de précipitations insuffisantes.
Qu’en est-il des effets de ce phénomène climatique sur la capacité des zones humides à fournir des services écosystémiques essentiels ?
Les services écosystémiques des zones humides sont essentiellement la maîtrise des crues, la recharge des nappes souterraines, la stabilisation du littoral et la protection contre les tempêtes. Les zones humides servent à la rétention et la à restitution des sédiments et matières nutritives, les plantes riveraines épurent l'eau, elles sont naturellement des réservoirs de biodiversité, poissons, oiseaux, plantes, batraciens, reptiles et mammifères, diverses invertébrés. Actuellement et dans de nombreux pays, il s'agit de valoriser de nombreux autres produits des zones humides qui ajoutent au bien-être humain, tels que l'écotourisme, le sport, l'artisanat, la culture dans toutes ses composantes et, bien évidemment, l'eau qui sert à l'agriculture. La chaîne des valeurs des zones humides n'est pas encore dimensionnée devant l'insuffisance des connaissances et de l'intérêt socioculturel. L'élévation du niveau de l'eau ou son abaissement, l'augmentation de la salinité et du pH ou encore l'appauvrissement en minéraux engendrent de fortes perturbations dans leur productivité, et donc dans la qualité de leurs services écosystémiques.
Vous recommandez la mise en place de mesures de conservation et d'adaptation pour protéger les zones humides contre les effets de ce phénomène…
Dans toutes les situations concernant les milieux naturels, il y a des dispositions à prendre pour assurer la durabilité des écosystèmes et des habitats. S'agissant des zones humides, l'élément eau est primordial, la gestion des entrées et des sorties, la lutte contre les pollutions, l'aménagement écologique des bassins versants par la reconstitution des espaces boisés, la stabilisation des berges et la fixation des sols sont nécessaires. Les zones humides algériennes sont tellement diversifiées que des mesures standardisées ne conviendront pas. Les 50 sites classés Ramsar doivent faire l'objet d'un classement selon les catégories des aires protégées que prévoit la législation algérienne. Leur classement en fonction de leur spécificité doit être logiquement, suivi par l'élaboration d'un schéma directeur et d'un plan de gestion prévus également par la loi. Ce processus permettra une prise en charge efficiente des préoccupations de conservation de la biodiversité et de développement d'activités en respect du fonctionnement de ces écosystèmes et leur viabilité.
L'Algérie possède des zones humides riches en biodiversité. Pouvez-vous nous parler de l'état de préservation de ces zones et de leur importance écologique ?
En Algérie, il y a principalement 3 divisions géographiques importantes que sont le Tell et la région côtière, les Hautes plaines steppiques et le Sahara avec ses oasis. Ces cadres naturelles recèlent tous des zones humides différentes, allant du petit lac de montagne à l'oasis. Le trait d'union est l'eau. L'Algérie est caractérisée par des étages bioclimatiques diverses allant de l'humide dans le Nord-Est algérien au saharien sur une grande partie du territoire national. Le recul de la pluviométrie fait avancer le dernier et fait reculer le premier. Compte tenu du contexte climatique encadré par la méditerranéité et l'aridité, le rôle des zones humides est plus qu'important, eu égard aux différents services qu'elles prodiguent. Nous allons malheureusement perdre nos forêts de montagne, nos ripisylves et nos zones humides permanentes au profit de milieux moins humides, si rien n'est fait pour valoriser davantage ces habitats par des actions volontaristes de l'État et par un engagement de la société civile, pour leur préservation et l'usage durable. Compte tenu du contexte climatique national, pour réaliser des actions en faveur de la sauvegarde de chacune des zones humides, des études de diagnostic et de caractérisations des pressions tant naturelles qu'anthropiques doivent être menées pour aboutir à des plans d'action spécifiques et actualisables.
B. A.