
Entretien réalisé par Soraya Guemmouri
Géographe et aménageur du territoire, le Pr Ikhlefhoum s’exprime sur l’impact du 6e RGPH sur le développement socio-économique du pays et les projections à établir en conséquence. Il évoque, pour El Moudjahid, plusieurs aspects des nombreux avantages du recensement qui lui permettent d’être un outil d’aide aux travaux de recherche.
El Moudjahid : Du point de vue du géographe, quelles sont l’importance et la valeur du 6e RGPH ?
Pr Ikhlefhoum : Je dois souligner, de prime abord, que le moyen le plus approprié, si ce n’est privilégié pour connaitre l’effectif d’une population est le recensement. Bien sûr qu’il y a, à côté, d’autres connaissances des faits démographiques qui, même moins globaux, permettent également l’obtention d’autres données que celles recueillies lors d’un RGPH. Comme les précédents recensements, cette opération nous donne la possibilité de recueillir, de regrouper et de publier les données démographiques, économiques et sociales ; une opération qui se rapporte à une période bien déterminée et qui concerne tous les habitants du pays. Pour ce qui est de la valeur du recensement, il faut savoir qu’il s’agit, en fait, d’un instrument de base nécessaire à toute planification ; l’avantage étant d’avoir une couverture exhaustive pour l’ensemble du territoire et à travers les quatre coins du pays. Recommandé par les Nations unies, au minimum une fois chaque dix ans, ce processus est sans conteste le meilleur moyen de connaitre, à une date donnée, l’effectif et la structure de la population d’un pays. Force est de constater cependant que cette valeur du recensement n’est pas la même dans tous les pays du monde et ce, en raison de plusieurs paramètres, en tête le niveau d’instruction des personnes recensées. Cela dit, il y a des données très fiables partout à travers le monde, comme celles par exemple qui concernent l’âge et le sexe. A eux seuls, ces deux éléments sont très importants en matière de prévisions et de projets d’aménagements du territoire. Une autre remarque importante à mettre en relief, c’est que la conscience professionnelle de l’agent recenseur contribue vivement, si ce n’est qu’elle conditionne la valeur du recensement, d’où l’importance de la formation.
Comment faire pour couvrir au mieux le territoire national ? L’approche par district est-elle la plus efficiente ?
C’est une approche excellente dans le sens où l’on est tout à la fois bien organisé et très proche de la réalité du terrain. Pour bien saisir la pertinence de ce choix, il faudrait d’abord expliquer ce qu’est un district. Ce terme est scientifiquement défini comme la portion de territoire d’une commune de taille convenable pour qu’un agent recenseur puisse le parcourir entièrement durant la période d’exécution du recensement, soit 15 jours. On peut distinguer deux types de district. Il y a ce qu’on appelle le district aggloméré qui, comme son nom l’indique, appartient à une agglomération. Il est composé d’un ou de plusieurs îlots et comprend une population moyenne de 1.050 personnes à recenser. Le second est un district épars, qui comprend généralement des hameaux, des lieux-dits et des constructions plutôt isolées. Il est moins peuplé, à peine 550 personnes en moyenne à recenser. Vous remarquerez que j’ai utilisé des termes tels que les agglomérations, les ilots et les zones éparses. Pour les scientifiques, chaque concept a une définition précise qu’on pourrait résumer ainsi : l’agglomération doit comprendre un groupement de 100 constructions et plus, distantes les unes des autres de moins de 200 mètres au sein du territoire d’une commune, sachant qu’une commune peut comporter une ou plusieurs agglomérations. L’agglomération où se trouve le siège de l’APC est nommée agglomération chef-lieu. Les autres agglomérations de la commune sont dites agglomérations secondaires. Pour ce qui est des ilots, c’est une portion de terrain dans une agglomération entourée par des voies publiques, c’est-à-dire tout passage carrossable ou piéton (rue, avenue, escalier, etc). Un îlot peut contenir une ou plusieurs constructions, tout comme il peut être un jardin public, une place, un terrain vague... Le hameau compte de 10 à 99 constructions distantes de moins de 200 mètres les unes des autres. Le lieu-dit est une zone géographique plus réduite puisque composée de 2 à 9 constructions distantes de moins de 200 mètres. Pour qu’un recensement s’effectue en quinze jours chrono avec une qualité optimale, l’approche par district est la plus efficace.
Une idée plus précise sur l’apport des informations collectées ?
Le questionnaire peut être une mine d’informations, qui sont et resteront strictement confidentielles mais qui une fois traitées et exploitées seront d’un précieux apport pour les projets futurs. Tout se fera en effet sur la base de ces données recueillies lors de ce 6e RGPH, sachant que l’on saura avec davantage de précisions les caractéristiques des constructions diverses, des logements et des ménages, ainsi que les caractéristiques individuelles des membres des ménages. J’entends par là, par exemple, le nombre de femmes au foyer, d’écoliers, de retraités, de pensionnés et bien d’autres cas. Il y a lieu de savoir par ailleurs si le citoyen recensé est par exemple employeur, indépendant, salarié permanent ou non permanent, ou bien s’il exerce en tant qu’apprenti ou dans le cadre de l’aide familiale. Le type de secteur d’activités est aussi pris en considération, que ce soit l’agriculture, l’industrie, le BTP, le commerce ou les services. Le troisième volet concerne les décès survenus les douze derniers mois et le quatrième intéresse le nombre de départs à l’étranger. Bref, autant d’informations qui peuvent grandement servir pour les futurs projets à prévoir dans le cadre des perspectives.
Le RGPH de 2022 se distingue par le recours aux moyens numériques, les tablettes en particulier. Cependant, on a préféré garder ce contact direct avec les citoyens. Est-ce la bonne méthode ?
Quand bien même on a opté pour l’utilisation des tablettes, on a préféré en effet garder, pour l’heure du moins, la méthode classique qui est celle du questionnaire face à face. C’est plus une exigence imposée par le terrain, qu’un choix. On peut réaliser tout le recensement par voie numérique, c’est-à-dire via le recours aux plates-formes de manière à ce que les questionnaires s’opèrent à distance, mais le terrain prouve qu’actuellement la meilleure méthode de recherche scientifique à adopter pour recueillir des informations sur les populations algériennes est celle-ci. C’est uniquement de cette façon, qu’on peut obtenir des informations réelles ou qui traduisent le mieux la vraie vie des citoyens. On aura ainsi une information réelle sur les développements socio-économiques du pays et les projections se feront en conséquence.
En tant que géographe, avez-vous des suggestions ou des propositions pour la réussite de l’opération ?
La seule proposition importante à soumettre concerne la révision à la baisse des intervalles entre chaque RGPH pour que les données soient plus actualisées. Il est clair que l’impact du recensement pour améliorer la qualité de vie des citoyens est très important. Les données sont utilisées pour les besoins de mise en place, de suivi et d’évaluation des politiques publiques au niveau national et local, et la mise à disposition du public d’informations statistiques actualisées dans les domaines socio-économiques.
Il est question aussi de fournir plusieurs indicateurs désagrégés au niveau géographique le plus fin, à l’effet de la comparabilité internationale et l’évaluation des progrès accomplis par rapport aux engagements entrepris au niveau international. C’est par ailleurs une base de sondage pour toutes les enquêtes statistiques ultérieures auprès des ménages, comme pour les besoins de recherche, d’études et d’analyses.
S. G.