Discours du président de la République sur l’état de la nation, le chef de l’Etat évoquant la question mémorielle : «Nous ne voulons pas de vos excuses, reconnaissez vos crimes !»

Farid Aït Saada

Une fois de plus, le président de la République n’a pas ménagé l’ancien colonisateur. La relation tendue avec la France est loin d’être une «fâcherie» ou un caprice conjoncturel, mais bel et bien un différend profond né du refus de la partie française de reconnaître ses torts dans la colonisation qu’elle a fait subir à la population algérienne.

Alors que le président de l’État français, Emmanuel Macron, préfère évoquer sa politique étrangère devant des parlements étrangers, le président de l’État algérien, Abdelmadjid Tebboune, le fait devant le parlement de son pays. Cette différence, hautement symbolique, a transparu, lors du discours que M. Tebboune a adressé aux parlementaires. Entre passages du discours écrit et digressions verbales, ce que l’Algérie reproche à la France a été évoqué de manière franche et directe, avec des phrases choc, sans pour autant être blessantes ou diffamantes. Les supposés bienfaits du colonialisme maintes fois martelés par la droite et l’extrême-droite française ? «Le général Bugeaud a exterminé des Algériens» ou encore «ils se disent civilisés et, dans le même temps, ils se vantent de voler des crânes comme butins». L’œuvre civilisatrice de la France ? «Au départ du colonisateur, 90% de la population était illettrée.» Le legs français ? «Le colonisateur a laissé la désolation derrière lui.» Ce qu’il y a lieu de relever dans ce chapelet de reproches, c’est qu’il a été égrainé sans colère ni passion, preuve que ces propos ne sont pas dictés par l’émotion. Il s’agit donc d’arguments fermes, car historiquement avérés, en premier lieu, mais aussi mûrement réfléchis et plusieurs fois réitérés. Lorsqu’on dit une chose une seule fois, cela peut être assimilé à une mise en garde de pure forme. Lorsqu’on la répète une autre fois, cela peut être une légère pression. Quand c’est réitéré plusieurs fois, à plus forte raison à titre officiel, cela ne peut avoir qu’une seule signification : des positions politiques. Qui dit position politique, dit revendication politique. La revendication de l’Algérie a été une nouvelle fois énoncée par le président de la République : «Nous sommes détenteurs d’un droit imprescriptible. Ils doivent reconnaître avoir assassiné et massacré des Algériens.» Il se trouve qu’un président français avait déclaré un jour : «Témoigner encore et encore, reconnaître les fautes du passé et les fautes commises par l’État, ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre. Cet incessant combat est le mien autant qu’il est le vôtre.»
La France, et Emmanuel Macron avec, s’est-elle donc repentie de ses crimes coloniaux ? Détrompez-vous ! Ces propos ont été tenus en juillet 1995 par l’ancien Président Jacques Chirac, qui avait reconnu la responsabilité de la France dans la déportation et l’extermination des Juifs durant l’occupation allemande. Pourtant, seule une partie de la France, incarnée par le maréchal Philippe Pétain, s’était soumise au régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale, mais c’est la France entière qui a reconnu ses torts.
Pourquoi reconnaître des torts partiels commis durant 4 ans, et ne point reconnaître des torts commis durant 132 ans, dont… des déportations en Nouvelle-Calédonie ? La reconnaissance est-elle à ce point sélective ?
Il ne s’agit pas d’une quête de dividendes rentières ou de réparations financières. Il s’agit d’une réparation morale, pour apaiser les esprits et tourner définitivement la page de la période coloniale. En Afrique du Sud, la réconciliation entre les partisans de l’apartheid et ses opposants ne s’est faite qu’après que le régime de l’apartheid eut reconnu ses torts.
C’est à cette seule condition que le pardon sera sincère. Il en est ainsi des séquelles subsistantes des essais nucléaires effectués dans le Sud algérien : même si la France a enclenché, en 2010, un processus d’indemnisation de population affectée par des handicaps physiques, les sites des essais n’ont pour autant pas été nettoyés. Tant que cela ne sera pas fait, le risque de contamination continuera d’exister pour la génération actuelle et les générations futures.
La France a développé sa puissance nucléaire au détriment de la santé d’Algériens, puis s’en est allée sans penser à «laver» ses méfaits. À force d’accumuler les non-reconnaissances, on aboutit au non-respect, préalable à l’irrespect.
Le message est donc clair et dénué de tout bellicisme à l’encontre de la population française : le peuple algérien, dont des ancêtres ont tant souffert du colonialisme, mérite le respect et a droit à une réparation morale. Ce n’est plus une question de politique. C’est une question de dignité.

F. A.

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