Dans un silence habité, la scène s’éclaire. Une porte, un mur, une clé suspendue comme un espoir. C’est ainsi que débute la Clé (El- Meftah), la nouvelle création du Théâtre régional Abdelmalek- Bouguermouh de Béjaïa, présentée en représentation d’honneur, samedi soir à la salle Mustapha-Kateb du Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi.
Écrite par Mohamed Bourahla et mise en scène par Ziani Cherif Ayad, cette œuvre portée par le souffle du théâtre algérien engagé transcende les frontières pour rejoindre les plaies ouvertes de notre temps : la Palestine, l’exil, la déshumanisation. «La Clé est une œuvre qui parle de tous les enfermements : ceux que nous subissons et ceux que nous construisons», confie Mohamed Bourahla.
Son texte, écrit avec une tension poétique rare, s’attaque à l’indifférence du monde face à l’épuration et à l’extermination en cours à Ghaza, mais aussi à la tragédie universelle des réfugiés, ces visages effacés de la carte et du récit. Sous la plume de Bourahla, le mot devient arme et le symbole mémoire. La clé n’est plus seulement celle du retour palestinien ; elle incarne la quête de dignité, le refus de l’effacement, la volonté de garder ouverte la porte de l’humanité. Sous la direction magistrale de Ziani Cherif Ayad, le spectacle épouse les langages du silence, du geste et de la lumière.
Le metteur en scène, fidèle à sa recherche sur le «corps pensant», sculpte la scène comme un espace de résistance : les acteurs évoluent dans une scénographie dépouillée, où chaque ombre a un poids, chaque pas un écho. Le jeu d’éclairage oppose l’obscurité de la guerre à la clarté fragile de l’espoir. La musique, minimaliste et percutante amplifie l’émotion sans la trahir. Ce dialogue entre texte et image, entre cri et murmure, confère à la pièce une dimension universelle. Pour Mohamed Bourahla, la Clé est avant tout une prise de position morale : «Le théâtre n’est pas un lieu de neutralité. C’est un témoin, un cri, une arme contre le mensonge.»
Dans ce sens, la pièce s’inscrit dans la continuité du grand théâtre algérien – celui de Kaki, d’Alloula, de Kateb Yacine –, où la scène est aussi un champ de bataille pour la vérité. Le texte dénonce les idéologies de supériorité, le racisme systémique et le savoir dévoyé en outil de domination. Bourahla parle de «violence cognitive», celle qui légitime l’injustice sous couvert de civilisation. Soutenue par le ministère de la Culture et des Arts, cette production du Théâtre régional de Béjaïa s’inscrit dans une saison, où les créateurs algériens réaffirment leur rôle de sentinelles du réel. À travers la Clé, le théâtre algérien se dresse comme un miroir et un bouclier : miroir d’un monde qui s’enfonce dans le chaos, bouclier d’une humanité qui refuse de se taire.
Dans un contexte mondial saturé d’images et vidé de sens, la pièce rappelle la puissance du théâtre : celle de faire entendre la voix des sans-voix, d’offrir un espace, où la douleur devient parole et la parole acte de résistance. Au terme du spectacle, la clé suspendue retombe doucement dans les mains d’un enfant – image d’une transmission fragile, promesse que la mémoire ne sera pas volée. Avec la Clé, Béjaïa octroie à la scène algérienne, un moment de vérité et de beauté.
S. O.