Ghedwa... ya men aâch, présentée au TNA : l’absurde au service de la vérité humaine

Le Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi a ouvert ses portes, jeudi dernier, à un public dense et avide d’émotions fortes, pour assister à la représentation de la pièce Ghedwa... ya men aâch, un spectacle singulier, à la croisée du théâtre de l’absurde et de la satire politique. Signée du dramaturge espagnol Fernando Arrabal et brillamment mis en scène par Brakati Brahim, cette production du Théâtre aational algérien a su captiver les amateurs du 4e art, par sa force esthétique et sa portée philosophique.

La pièce, dont le titre peut se traduire par «Demain… pour ceux qui survivront », s’inscrit pleinement dans la tradition du théâtre absurde, où le grotesque et l’irrationnel deviennent les véhicules d’un regard acéré sur les réalités les plus sombres de l’humanité. Sur scène, le spectateur est confronté à un monde disloqué, peuplé de personnages perdus dans les limbes d’une guerre interminable, englués dans l’attente, l’angoisse et le rêve d’un lendemain toujours reporté. Brakati Brahim, épaulé par Chergui Brahim à l’assistance à la mise en scène, a su orchestrer une représentation, à la fois dense, dérangeante et subtilement rythmée. Fidèle à l’esprit d’Arrabal tout en y injectant une sensibilité propre au contexte algérien, le metteur en scène livre une lecture contemporaine de l’absurde, où les conflits ne sont jamais nommés, mais toujours présents - intimes, politiques, existentiels.

La scénographie dépouillée, la gestuelle outrée des comédiens, le jeu sur le non-sens et les ruptures de ton : tout concourt à désorienter pour mieux éveiller. Ghedwa... ya men âach n’offre aucune réponse. Elle pose des questions, dérange, provoque le rire jaune et invite à l’introspection. Dans ce théâtre de l’extrême, l’humanité apparaît à nu, fragile, tiraillée entre sa soif de liberté et son penchant pour la soumission. En arrière-plan, c’est toute une société que la pièce interroge, une société parfois paralysée par l’attente, dévorée par le doute, ou résignée devant le chaos. Présentée à la salle Mustapha Kateb, la pièce a suscité une réaction enthousiaste du public, visiblement conquis par la puissance évocatrice de l’œuvre et la maîtrise de l’interprétation. Les rires, parfois nerveux, ont ponctué une représentation où l’absurde devient révélateur d’un réel trop souvent enfoui.

Cette nouvelle pièce s’impose ainsi comme une proposition artistique majeure de cette rentrée théâtrale, et confirme la volonté du Théâtre national algérien de proposer des œuvres, à la fois audacieuses, exigeantes et profondément enracinées dans les enjeux contemporains. En conjuguant l’humour noir, la poésie du désespoir et la force du verbe scénique, la troupe dirigée par Brakati Brahim nous rappelle que le théâtre, loin d’être un simple divertissement, demeure un lieu de réflexion, de remise en question, et de résistance à l’oubli. À l’heure où l’absurde semble parfois gagner du terrain dans nos sociétés, Ghedwa... ya men âach réaffirme, avec éclat, le pouvoir subversif de la scène.

S. O.

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