
L’œuvre du cheikh Abdelhamid Benbadis (1889-1940), penseur et réformateur religieux, enseignant et journaliste, a été particulièrement mise en valeur, hier, dans le cadre du Forum organisé par le quotidien El Moudjahid et l’association Machaâl Echahid.
Z’hor Ounissi, femme de lettres et ancienne élève du défunt Benbadis, a évoqué le rôle de l’Association des oulémas musulmans algériens, mobilisés dans une œuvre de longue haleine, pour la préservation des valeurs et des constantes nationales, dans un contexte colonial, qui s’était manifesté par une violente répression culturelle, politique et socioéconomique à l’encontre du peuple algérien. Cette Association, fondée le 5 mai 1931 à Alger, par le défunt Benbadis, a regroupé des intellectuels et des religieux mobilisés contre toutes les tentatives d’acculturation et de dépersonnalisation de la nation algérienne, contre un charlatanisme pseudo religieux et contre les superstitions. Les oulémas ont lutté contre l’assimilation imposée par la France et œuvré pour revivifier l’Islam et la langue arabe. La conférencière a souligné la portée positive de l’action éducative et d’enseignement gratuit en direction des filles et des garçons, l’instruction des adultes, par la création d’écoles libres (en langue arabe) dans tout le pays, tout en mettant en relief le travail patient et permanent d’éveil de la conscience, à travers des prêches, des conférences, des publications de journaux (comme Al-Chihab", Al Bassair, Al Mountaqid… Plusieurs élèves et des oulémas ont rejoint les rangs du Front de libération nationale. On peut citer, à titre non exhaustif, Cheikh Bachir El-Ibrahimi, successeur de Benbadis, Tayeb El-Oqbi, M’barek El-Mili, Larbi Tebessi. Elle a indiqué que les oulémas ont été, en quelque sorte, les architectes spirituels et intellectuels engagés dans une entreprise à large échelle dédiée à une renaissance (Nahdha) de notre conscience nationale, sans laquelle la lutte armée n’aurait pas eu un socle aussi solide. La longue nuit coloniale s’étant estompée, l’Algérie, affranchie du diktat colonial et de ses pratiques moyenâgeuses et rétrogrades, s’était attelée dans l’urgence, dès 1962, à éliminer les conséquences ruineuses d’un analphabétisme outrageusement systématisé et mûrement orchestré, en faisant de la lutte contre l’illettrisme une priorité absolue. Les membres de l’AOMA y ont puissamment contribué en occupant des postes importants dans le gouvernement et au sein du système éducatif. Ahcene Kilani, historien et chercheur, a mis l’accent sur les énormes efforts déployés par l’État algérien indépendant, en matière d’éducation et d’instruction, citant des chiffres particulièrement édifiants. En effet, selon ses affirmations, on compte aujourd’hui, 130 universités et grandes écoles, disséminées partout à travers le territoire national, 3 millions d’étudiants et 11 millions d’élèves scolarisés au niveau des trois paliers de l’éducation nationale. Il a, également, déclaré que la fondation de l’AOMA est non seulement une réponse aux célébrations fastueuses et provocantes organisées lors du Centenaire de la colonisation de l’Algérie, en 1930, mais que cette Association a été à la hauteur de ses engagements à l’égard du peuple algérien. En résumé, les conférenciers ont conclu que l’AOMA, notamment par la mise en place de l'Institut Benbadis, a été un pilier essentiel dans la résistance intellectuelle, culturelle et spirituelle contre la colonisation française.
M. B.
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L’école qui a forgé l’Algérie
«Par le savoir et la morale, les nations s’élèvent» , cette phrase prononcée par cheikh Abdelhamid Benbadis, souligne l’importance capitale qu’il accordait au savoir comme socle de toute réforme, qu’elle soit religieuse, sociale ou politique. Dans un contexte colonial marqué par la volonté d’effacement identitaire, Benbadis a fait du savoir une arme pacifique, mais redoutable. Pour lui, éduquer, c’était résister, instruire, c’était libérer. Il affirmait avec force : «Si j’étais parmi vous, je commencerais par l’éducation avant toute autre chose». Les invités du forum de la mémoire consacré, hier, au 85e anniversaire de la mort d’Abdelhalim Benbadis ont tous dédié leurs interventions a une figure emblématique de la réforme et du renouveau culturel et religieux en Algérie. C’est une occasion importante pour rendre hommage à son œuvre et à son rôle fondamental dans la préservation de l'identité algérienne face à la colonisation. «À travers l’éducation, il a ravivé la flamme de l’identité algérienne, mettant en avant l’arabité, l’islam et l’appartenance à la civilisation algérienne», a indiqué l’ancienne ministre, Mme Zhour Ounissi, élève de l’école créée par Benbadis. Le rôle central de l’école fondée par ce grand réformateur dans la consolidation de l’identité nationale et la lutte contre l’assimilation coloniale a aussi été rappelé par les différents intervenants. «Cette école ne se limitait pas à transmettre des connaissances ; elle formait des citoyens conscients de leur identité algérienne, musulmane et arabo-islamique. Elle fut l’un des instruments les plus efficaces pour préserver l’âme du peuple, face aux tentatives d’effacement culturel», a affirmé ammi Bouale, moudjahid. Les élèves formés dans cette école sont devenus les cadres du mouvement national algérien, qu’il s’agisse du courant réformiste ou même des cadres de la Révolution de 1954. Benbadis disait : «L’islam est notre religion, l’arabe notre langue, l’Algérie notre patrie», une devise devenue un slogan du nationalisme algérien. Aujourd’hui, alors que les sociétés contemporaines sont confrontées à des défis complexes - technologiques, économiques, écologiques et éthiques -, cette journée résonne avec une acuité nouvelle. Elle appelle à une revalorisation du savoir, non pas seulement comme accumulation de données, mais comme force critique, outil de transformation sociale et condition de souveraineté. Dans une époque saturée d'informations, le véritable enjeu est de former des esprits lucides, capables de discernement, de créativité et de responsabilité. Dans un monde où le savoir est synonyme de pouvoir, la jeunesse algérienne est appelée à faire de la science, de la lecture et de la culture des armes de développement et de souveraineté. C’est une projection vers l’avenir. Rendre hommage à Benbadis aujourd’hui, c’est assumer cette exigence d’un savoir émancipateur, porteur d’humanisme et ancré dans les réalités de son temps.
F. L.
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À retenir…
Boualem Cherifi, Moudjahid : «L’institut de Ben Badis, un bastion de la lutte anticoloniale»
Boualem Cherifi, moudjahid, a souligné l'importance de l'Institut de Abdelhamid Ben Badis, qui a été l'une des armes de lutte contre le colonialisme français. Avant d'être un Institut d'éducation et d'apprentissage, il était le berceau du nationalisme. Les enseignants ont mobilisé les étudiants, pour rejoindre les rangs de la Révolution. Il a rappelé que Abdelhamid Ben Badis était le leader d'une révolution intellectuelle et politique, où la France a créé une poignée de savants qui parlaient la langue arabe parfaitement, pour contrecarrer les efforts inlassables de l'Institut de Benbadis, qui avait pour but de donner la vraie image de l'Algérie. Benbadis était fidèle aux valeurs arabo-musulmanes, où il a insisté sur la préservation de l'unité nationale.
Abdellah Athamenia, Moudjahid : «Une vision stratégique de la révolution»
Abdellah Athamenia, moudjahid, a mis en évidence le rôle crucial de l'Association des oulémas musulmans, rappelant que le programme de l'Institut avait une vision stratégique pour la Révolution algérienne. Ajoutant que la plupart des étudiants de l'Institut avaient rejoint la Révolution dans plusieurs régions du pays, à l'image de Hachemi Hadjeress, qui a rejoint les maquis, à côté de Zighoud Youcef. Un nombre important des étudiants de l'Institut sont tombés au champ d'honneur, durant la Guerre de libération, alors que d’autres ont été des représentants de l'Algérie sur la scène internationale, dans laquelle le but essentiel était de mettre la cause algérienne dans la préoccupation mondiale.
Abdelmadjid Chikhi, ancien conseiller du président de la République, chargé des archives et de la mémoire : «L’association des oulémas a joué un rôle crucial durant la Révolution»
Abdelmadjid Chikhi, ancien conseiller du président de la République, a mis en avant qu'il est nécessaire de corriger certaines fautes d'appellation, notamment le courant des réformistes. L'avènement de cette appellation vient du Moyen-Orient, où il est important de savoir que le courant de Benbadis est totalement différent, où ce dernier n'avait aucune relation avec la vision de réforme. Ajoutant que les Français ont voulu détruire l'identité nationale, mais le peuple algérien était le seul peuple au monde qui a pu résister aux crimes génocidaires commis par l'armée française sur les terres algériennes. Pour celà, l'Association des oulémas musulmans a joué un rôle pivot dans la Révolution, notamment dans la transmission de la Proclamation du 1er Novembre pour toute les tranches du peuple. Il a rappelé que la plupart des commissaires politiques durant la Révolution étaient des étudiants issus des rangs de l'Association des oulémas musulmans.
Propos recueillis par : Zine Eddine Gharbi