Benjamin Claude Brower : «le 8 mai 1945, un tournant...»

Entretien réalisé par Abdelghani Aïchoun

Vous aviez déjà écrit sur l'Algérie. Est-ce que vous ne pensez pas que le 8 mai 1945 était un tournant dans le processus ayant mené au déclenchement de la guerre de libération nationale ?

Oui, bien sûr. Ceci est clair. Je pense que tous les historiens sont d'accord depuis un bon nombre d'années déjà par rapport à l’importance de ces événements dans le processus ayant conduit au déclenchement de la guerre de libération.

Il y a un consensus parmi les historiens que cette première vague de violence qui a suivi le 8 mai 1945, qui est une date symbolisant la victoire à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, était le commencement d'une nouvelle guerre, une guerre pour la libération nationale en Algérie.

Et aussi, ce que je voulais préciser dans ma communication (faite le 1er novembre lors d’une rencontre consacrée au 8 mai 1945, à l’espace Assia Djebar, au SILA, NDLR), à partir des nouvelles recherches que je viens de faire, c'est que ce n'est pas uniquement une question algéro-algérienne ou opposant l'Algérie et la France, mais c'était une lutte qui concernait tout le monde à cette époque-là. Alors que le débat était lancé, à San Francisco, pour la constitution de l'ONU, à l'été de 1945, il y avait les massacres en Algérie.

Des massacres qui ont été médiatisés un peu partout, notamment aux USA où plusieurs médias en parlaient.

Vous aviez évoqué les afro-américains et leur combat pour l’émancipation?

Oui, il y avait, à ce titre, les afro-américains, avec leur propre lutte pour leur propre émancipation, qui étaient sensibles à cette question. Il y avait dans la violence que l'Algérie a subie cet été, un peu un écho de leur propre violence, leur propre subjugation par rapport au racisme américain, les « Jim Crow laws » (lois imposant la ségrégation raciale promulguées par les Etats du Sud des USA à la fin du 19e siècle, NDLR), ...etc. Et ils se sont dit, est-ce qu'on peut imaginer un autre monde où on en finisse avec toute cette violence raciste, où les peuples colonisés, les Noirs, prennent en main leur propre destin ?

Vous pensez que tous ces éléments à l'échelle mondiale ont contribué aussi même indirectement à ce processus ayant mené le mouvement national algérien à la lutte armée ?

Bien sûr, parce que ça fait partie d'une histoire globale, mondiale. Ce qu'on était avant la deuxième guerre mondiale, avec les colonisations, les empires...etc, ne peut pas continuer après la guerre. Sinon ça servait à quoi cette guerre ? Qu'est-ce que c'est le nouveau monde qui allait venir ? Et c'est une question qui a été très débattue dans la presse américaine. Bon, l'opinion à Washington, les membres du gouvernement avaient leur propre réponse à ça. Franklin D. Roosevelt (Président américain de mars 1933 à avril 1945, NDLR), l'a déjà dit dans l'Atlantic Charter de 1941. Son article 3 a focalisé sur la question de l'autodétermination.

Winston Churchill (Premier ministre britannique de mai 1940 à juillet 1945 puis d’octobre 1951 à avril 1955, NDLR), signataire aussi de la charte, n'était pas d'accord que ça s'applique aux colonisés. Mais Roosevelt était plus ouvert à cette question-là. Or, Roosevelt est mort au printemps 1945. Son successeur, Harry S. Truman avait une autre opinion.

A. A. 

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