
Dans cet entretien accordé au journal El Moudjahid, le président de l’Association nationale des patients atteints de la Mucoviscidose, Houssam Eddine Boubchiche lance un appel aux autorités pour faire entendre la voix de ceux qui luttent au quotidien contre cette maladie. Il plaide pour l’introduction en Algérie du modulateur CFTR.
El Moudjahid : Votre association porte une voix forte. Quel est son objectif principal ?
Houssam Eddine Boubchiche : Notre association a vu le jour en 2022, portée par la douleur et l’espoir de patients et de parents de patients atteints de mucoviscidose. Elle est née d’un besoin vital : celui de défendre les droits de malades souvent invisibles. C’est une maladie rare, méconnue du grand public et parfois même des professionnels de santé. Elle est complexe et nécessite une prise en charge rigoureuse, pluridisciplinaire, continue. Notre mission est claire : alerter, sensibiliser, faire connaître cette maladie, mais aussi dialoguer avec les autorités pour permettre à ces malades de bénéficier d’une prise en charge adéquate.
Vous êtes vous-même père d’un enfant atteint de cette maladie. Comment avez-vous vécu ce diagnostic ?
Je suis devenu spécialiste malgré moi, et c’est le cas de tous les parents de malades atteints de mucoviscidose, qui, par la force des choses, doivent acquérir des connaissances médicales pour pouvoir accompagner leurs enfants au quotidien. Mon fils a été diagnostiqué à l’âge de 10 mois. Ce jour-là, ma vie a basculé. Ce qui m’a frappé au début, c’est le silence autour de la maladie. Des médecins ne la reconnaissaient pas. Ce qui doit alerter le plus, c’est ce goût salé de la sueur. Je me souviens encore de ce détail bouleversant : la sueur salée de mon fils. Chaque fois que je l’embrassais, ce goût distinctif me frappait, me révélant lentement la réalité de sa maladie, un signe indicible mais lourd de sens.
Quelle est aujourd’hui la réalité de la prise en charge des malades atteints de mucoviscidose en Algérie ?
Nous estimons entre 500 et 1.000 le nombre de malades en Algérie, mais l’absence de registre officiel empêche d’avoir une vision claire. Ce qui est certain, c’est que la prise en charge reste incomplète. Sur le plan humain, nos professionnels de santé sont compétents, mais il n’existe ni protocole national unifié, ni centre de référence pour cette pathologie. C’est une maladie qui nécessite une approche pluridisciplinaire : pneumologue, gastroentérologue, nutritionniste… sans oublier l’accompagnement psychologique. Aujourd’hui, les enfants sont suivis en pédiatrie, mais à l’âge adulte, ils n’ont plus de spécialistes dédiés. Ils se retrouvent chez des pneumo-pédiatres, ce qui n’est pas approprié.
Qu’en est-il des traitements ?
La prise en charge de la maladie est incomplète Car les traitements réellement adaptés ne sont pas toujours disponibles. Prenons un exemple concret : le Creon, une enzyme indispensable pour compenser l’insuffisance pancréatique. Ce médicament est disponible en Algérie uniquement sous forme de 12.000 unités. Or cette forme est destinée aux enfants. Les adultes ont besoin de dosages plus élevés (25.000 ou 40.000 unités), mais ils ne sont pas disponibles. Pour l’atteinte respiratoire, l’antibiothérapie est essentielle pour lutter contre les infections pulmonaires. Les antibiotiques inhalés ne sont pas disponibles en Algérie. Alors, on s’adapte comme on peut : on dilue les formes injectables dans du sérum physiologique pour les administrer par inhalation. Une solution de fortune. Notre appel porte sur l’introduction effective de certains antibiotiques, comme la Tobramycine qui, est déjà enregistrée en Algérie, mais reste difficilement accessible pour les patients qui en ont pourtant un besoin vital. Un autre point crucial que je tiens à soulever, c’est celui de la couverture sociale. À ce jour, les patients atteints de mucoviscidose ne bénéficient pas d’une prise en charge à 100 % par la sécurité sociale, car cette maladie n’est pas inscrite sur la liste des affections chroniques reconnues. Elle est actuellement assimilée à l’asthme, ce qui limite le remboursement à hauteur de 80 %. Mais peut-on vraiment comparer une maladie rare, grave, complexe nécessitant une prise en charge multidisciplinaire à vie, avec une pathologie comme l’asthme ? Il est temps que la mucoviscidose soit reconnue à sa juste mesure, afin que les malades puissent accéder à leurs traitements sans que le coût soit un frein.
Vous avez évoqué un traitement révolutionnaire. De quoi s’agit-il exactement ?
Il s’agit d’un modulateur de la protéine CFTR, défectueuse chez environ 90 % des personnes atteintes de mucoviscidose. Ce médicament ne se contente pas de soulager les symptômes : il agit à la source, en réparant le dysfonctionnement. Certains patients ont même vu leur test de sueur redevenir normal, un bouleversement médical. En clair, il permet d’améliorer considérablement la qualité de vie des malades. Il désencombre les voies respiratoires, réduit les hospitalisations, allège la charge médicamenteuse quotidienne… et surtout, il redonne un second souffle de vie pour les personnes atteintes de mucoviscidose. Dans les pays qui l’ont adopté, l’espérance de vie est passée de 30 à 60 ans. En Algérie, quelques patients l’ont essayé à l’étranger : leurs récits témoignent d’une transformation profonde. C’est pourquoi nous lançons aujourd’hui un appel sincère aux autorités : l’enregistrement et l’introduction de ce médicament en Algérie n’est pas un luxe. C’est une nécessité vitale pour offrir à ces patients un espoir, et le droit de vivre pleinement.
K. H.