
Entretien réalisé par : Tahar Kaidi
Il s'appelle Faez Amokrane Naït Mohamed, chercheur au Ragon Institute of Mass General, à la prestigieuse Massachusetts Institute of Technology (MIT) et Harvard. Après avoir obtenu sa licence en biochimie et son master en pharmacologie, il choisit de se spécialiser en immunologie, à la Faculté des sciences biologiques (FSB) de l’Université des sciences et de la technologie Houari-Boumediène (USTHB) d’Alger.
Avec son équipe du MIT, il réussit à développer un vaccin universel contre la grippe. Il revient, dans cet entretien exclusif, sur son parcours académique et ses projets scientifiques.
El Moudjahid : Pouvez-vous nous parler de votre projet de recherche actuel ?
Faez Amokrane Naït Mohamed : Je travaille actuellement au Ragon Institute of Mass General, MIT et Harvard, dans le laboratoire du Dr Lingwood Daniel, où je mène, entre autres, un projet de recherche visant à développer un vaccin universel contre la grippe. Cette maladie reste un problème de santé publique mondial, infectant chaque année des millions de personnes et causant un lourd tribut humain, en particulier chez les populations fragiles. Les vaccins actuels, bien qu’essentiels, doivent être reformulés chaque saison, car le virus mute rapidement, ce qui limite leur efficacité et complique la prévention à grande échelle. Mon objectif est de surmonter cette instabilité, en concevant un vaccin capable d’induire une protection large et durable contre plusieurs souches du virus, y compris celles qui n’ont pas encore émergé. Dans notre approche, nous nous appuyons sur une idée simple, mais puissante : cibler les parties du virus qui ne changent presque jamais, appelées régions «conservées», et guider le système immunitaire humain, pour qu’il y développe une réponse protectrice. Concrètement, nous avons montré qu’il est possible, après une seule injection vaccinale, de stimuler certaines lignées peu fréquentes de cellules B humaines capables de produire des anticorps neutralisants efficaces contre deux grandes familles de virus grippaux (groupes 1 et 2). Ces résultats, publiés en 2024, démontrent que des réponses immunitaires spécifiques à très larges spectre peuvent être générées avec un vaccin minimalement complexe, ce qui représente une avancée significative par rapport aux approches classiques.
Au-delà de son application immédiate à la grippe, ce travail offre aussi un cadre expérimental solide, pour mieux comprendre la biologie des cellules B humaines, et, à terme, pour rationaliser le design d’autres vaccins face à des agents pathogènes capables de muter rapidement.
Quels sont les défis les plus importants que vous avez rencontrés dans votre parcours de recherche ?
Les principaux défis que j’ai rencontrés dans mon parcours scientifique remontent à mes débuts, lorsque j’étais doctorant. Le doctorat représente une étape charnière pour tout chercheur : c’est à la fois un temps d’apprentissage intensif et de confrontation directe aux réalités de la recherche. On y forge son expérience scientifique, mais aussi une forme de carapace mentale, nécessaire pour affronter les doutes, les échecs expérimentaux et les nombreux obstacles qui jalonnent cette voie. Comme beaucoup de jeunes doctorants en Algérie, j’ai été confronté à un manque de moyens financiers, pour mener à bien mes expériences. Malgré tout le soutien, encadrement et la bonne volonté de nos directeurs de recherche, les budgets alloués par les organismes finançant la recherche en Algérie restaient souvent très restreints, et il m’est même arrivé de devoir autofinancer une partie de mes travaux. Ce n’était pas facile de poursuivre mes expériences avec des moyens modestes, mais cette situation m’a appris la débrouillardise et la créativité. J’ai optimisé chaque ressource à ma disposition et cherché des collaborations, pour accéder à du matériel ou des compétences que je n’avais pas..
Après vient l'idée de s'envoler ailleurs...
Plus tard, lorsque j’ai décidé de poursuivre mes recherches à l’étranger, un autre défi s’est imposé : celui de la langue. En arrivant aux États-Unis, je maîtrisais déjà bien l’anglais écrit, mais j’avais plus de mal à m’exprimer oralement avec aisance, surtout dans des échanges spontanés ou lors de discussions scientifiques rapides. Suivre certaines réunions ou présentations très techniques, où l’anglais est parlé à grande vitesse et parfois avec des accents variés demandait un effort d’attention important, surtout dans un environnement compétitif (Harvard/MIT), en étant entouré de chercheurs mondialement connus. Ce n’était pas un blocage, mais une forme de décalage qui pouvait me freiner au début, notamment pour intervenir aussi librement que je l’aurais voulu. Heureusement, j’ai vite constaté que dans l’environnement scientifique où j’évoluais, ce n’était pas la perfection linguistique qui comptait, mais la clarté des idées, la rigueur du raisonnement et l’implication dans le travail. Cette attitude ouverte et bienveillante m’a permis de gagner en confiance, de progresser à l’oral sans pression, et surtout de comprendre que l’essentiel, dans ce métier, reste la qualité de la science que l’on produit — la langue n’étant qu’un outil parmi d’autres, jamais un critère de valeur en soi.
De l'USTHB à la prestigieuse MIT. Ce n'est pas seulement une distance géographique, mais c'est toute une sphère culturelle que vous avez traversée. Quels conseils donneriez-vous à des étudiants ou à des chercheurs débutants, pour élargir leurs horizons ?
Je conseille à tous les jeunes chercheurs de viser haut, de lire beaucoup, de rester curieux et surtout de ne pas craindre de sortir de leur zone de confort. Les bases que l’on acquiert en Algérie sont solides, mais il est essentiel de les enrichir, à travers des échanges, des conférences et des collaborations, même à distance. S’ouvrir à d’autres environnements scientifiques permet non seulement de progresser techniquement, mais aussi de prendre confiance en soi. La maîtrise de l’anglais, bien qu’importante, ne doit pas être une source d’angoisse : ce qui compte avant tout, c’est la clarté des idées et l’implication dans le travail.
Comment évaluez-vous globalement l’environnement scientifique en Algérie, ou ça piétine ? Ou ça avance ?
Je pense que l’environnement scientifique en Algérie possède un vrai potentiel, notamment grâce à la richesse humaine du pays. On forme chaque année des jeunes chercheurs brillants, passionnés, et la volonté d’avancer existe clairement, que ce soit chez les étudiants, les enseignants ou les encadrants. Il y a aussi des initiatives intéressantes, des réformes en cours et des exemples individuels de réussite. Mais, malgré cette dynamique, il faut reconnaître que la recherche scientifique avance lentement, en particulier dans les domaines comme la biologie ou les sciences biomédicales. Le problème majeur reste, encore, le manque de financement. Les moyens disponibles sont souvent très limités, ce qui rend difficile la mise en place de projets compétitifs à long terme, l’accès à des équipements modernes ou l’intégration dans des réseaux scientifiques internationaux. Si l’on veut vraiment accompagner le développement du pays et participer aux grandes avancées scientifiques de demain, il faudra investir de façon sérieuse et continue dans la recherche. Les compétences sont là, les idées aussi, il ne manque plus que les moyens pour leur permettre d’éclore.
Quels sont les défis les plus importants que les scientifiques algériens devront relever dans un monde caractérisé par la mobilité professionnelle ?
L’un des principaux défis pour les scientifiques algériens dans un monde où la mobilité professionnelle est devenue la norme, c’est de trouver leur place dans un écosystème global, tout en gardant un ancrage solide dans le pays d’origine. La science aujourd’hui ne connaît pas de frontière : les découvertes majeures se font en réseau, les collaborations sont internationales et les chercheurs circulent constamment entre les institutions. Dans ce contexte, il devient essentiel que les scientifiques algériens puissent accéder à ces dynamiques mondiales, participer à des projets de recherche internationaux, publier dans les grandes revues et s’intégrer dans des communautés scientifiques ouvertes et connectées. Cela suppose une formation solide, mais aussi un accompagnement institutionnel, pour faciliter les mobilités, les échanges et les retours. Il faut créer en Algérie un environnement scientifique stimulant, avec des financements stables, des équipements adaptés, et une reconnaissance réelle du travail de recherche. Enfin, dans un monde en constante évolution technologique, les chercheurs algériens devront aussi relever le défi de l’adaptation rapide. Cela signifie rester à jour sur les avancées de leur domaine, maîtriser des outils numériques de plus en plus sophistiqués, et s’inscrire dans une logique de formation continue. Cela passe aussi par la maîtrise des langues, en particulier de l’anglais scientifique, et par le développement de compétences transversales, comme la communication, la gestion de projet ou l’innovation. Dans ce contexte, la mobilité ne doit pas être vue comme une menace, mais comme une opportunité d’apprendre ailleurs pour mieux contribuer ici. Le vrai défi est donc de faire en sorte que cette mobilité alimente la science algérienne plutôt qu’elle ne l’appauvrisse. Nous, Algériens en formation à l’étranger, avons toujours comme objectif le développement de notre cher pays, l’Algérie, et seront toujours là pour elle.
T. K.