
Parler de mal-vie dans ces bourgs oubliés est un doux euphémisme. Le village attend désespérément sa portion de développement qui tarde à lui être affectée.
Réalisé par Mustapha Laouer
Perché sur les hauteurs nord d’El-Kseur, à une quinzaine de kilomètres de Béjaïa, le village Aït Smaïl est enseveli, en cette matinée glaciale de novembre, sous un épais brouillard. Le hameau, ses deux cents familles, grelottent de froid. Les pluies, abondantes ces derniers jours, persistent à laver les sols carbonisés par un été torride. Pour y accéder, il faut longer le nouveau campus universitaire d’El-Kseur, emprunter une route sinueuse, montant en lacets et nouvellement revêtue de bitume. La route étroite, qui slalome sur le versant du massif forestier, fait de chênes, de caroubiers et d’oliviers, garde intacts les stigmates des incendies de l’été passé. Ici, la forêt a brûlé, dévastée un 9 août. Paysage de désolation, de terre brûlée.
Le trajet de 15 kilomètres est un no man’s land. Rares sont les véhicules croisés sur le tronçon de route. C’est dire l’isolement de ce village. Nacer Aït Idir, membre actif de l’association du village d’Aït Smaïl, nous fait le guide. Parler de mal-vie dans ces bourgs oubliés est un doux euphémisme.
Le village attend désespérément sa portion de développement qui tarde à lui être affectée. Hormis la nouvelle route goudronnée, il y a trois mois, et la magie de l’électrification d’il y a quinze ans, Aït Smaïl n’a pratiquement bénéficié d’aucun projet d’utilité publique, malgré le manque flagrant de commodités pour l’amélioration du cadre de vie des habitants.
«Nous manquons de tout», se plaint Nacer. Le village n’est pas alimenté en eau courante. Quatre fontaines publiques suppléent tant bien que mal au réseau défaillant d’adduction d’eau potable. L’APC a prévu de réaliser deux forages de puits artésiens, avec le concours financier des villageois qui ont cotisé une somme de 17 millions de centimes pour ouvrir une piste jusqu’à l’endroit où devait être construit le réservoir (château) d’eau. «Mais, depuis, les travaux ont été abandonnés», regrette notre accompagnateur.
Le village a essuyé d’importants dégâts, lors des incendies de forêt. «Nous étions complètement isolés, raconte Nacer. Les communications, l’électricité et l’eau étaient coupées pendant une semaine. Nous avons perdu nos arbres fruitiers, notre bétail et même nos maisons.» C’est grâce aux dons des bienfaiteurs et des autres associations de plusieurs régions que les Aït Smaïl ont pu panser leurs blessures et surmonter l’épreuve du feu. «Autrement, personne n’a cherché après nous ni venu, ne serait-ce que pour s’enquérir de notre sort. Hormis le nouveau wali de Béjaïa, Kamel Eddine Kerbouche, qui venait juste de prendre ses fonctions, qui a fait une visite à notre village en compagnie du président de l’APW», dit-il. Des promesses d’indemnisation pour les pertes subies (cheptels, ruches, etc.) ont été données au village. «Le wali nous a également promis de régler la question du raccordement aux réseaux d’eau potable et d’assainissement. En plus d’une clairière de sécurité qui sera réalisée par les services des forêts, pour nous protéger des incendies, mais aussi des chutes de pierres de la montagne qui surplombe les maisons», ajoute-t-il.
Le tour du village se fait sous une averse de pluie. Les voies d’accès sont des sentiers boueux et glissants. Le site n’en est pas moins resplendissant de propreté. Des détritus et autres déchets ménagers se pavanant dans les alentours, il n’y en a presque pas. L’endroit est clean et fait résolument place nette.
Bien que souffrant de mille maux, de sous-développement perceptible à l’œil nu, Aït Smaïl n’est pas classé comme une «zone d’ombre». Les villageois s’avouent perplexes. Nacer poursuit d’égrainer le long chapelet de requêtes : «Nous avons saisis le wali par écrit et nous avons demandé une audience pour lui exposer la situation du village. Dans cette correspondance, nous avons signalé la non-inscription d’Aït Smaïl sur la liste des zones d’ombre de la wilaya. Notre village est enclavé, dépourvu de toutes les commodités nécessaires à une vie descente. Notre village a été bombardé durant la guerre de Libération, a payé un lourd tribut pour l’indépendance avec 15 martyrs. Durant la décennie noire, nous avons combattu le terrorisme avec toutes nos forces et nous avons refusé à ce que notre village, dont le relief est montagneux et boisé, devienne un fief terroriste. Mais, en dépit de tout cela, le village n’est toujours pas alimenté par le réseau d’eau potable, et nos femmes, nos mères et sœurs continuent à faire le trajet éprouvant de la fontaine publique, transportant, sur le dos, la charge lourde des jerricans d’eau.» Les anciens puits sont, aujourd’hui, à sec. Le P/APC a engagé des travaux pour un sondage, mais les travaux ont été abandonnés pour absence d’autorisation des services de l’hydraulique. Le réseau d’assainissement des eaux usées est inexistant. «Nous utilisons à ce jour les fosses septiques. Nous sommes en 2021», dit-il. La route qui relie le village à la commune de Toudja, à 5 km, est dans un état déplorable et impraticable, bien qu’elle soit fortement empruntée et quotidiennement par les écoliers. Pour leur scolarité, les enfants vont à Toudja. C’est parce que le village ne compte aucune école.
Pareillement pour le gaz naturel tout aussi inexistant. Malgré le climat et les hivers rigoureux en ces altitudes élevées qui riment souvent avec froid glacial et chutes de neige. Cette situation a forcé les habitants à aller s’installer dans la commune d’El-Kseur et ne reviennent au village que les weekends ou durant les vacances. La localité, qui a une vocation agricole et se prête à l’élevage, n’a pas eu sa part de développement rural. Les potentialités du site sont pourtant bien acquises. «Pour éviter l’exode et permettre aux habitants d’y vivre, nous demandons l’ouverture de pistes agricoles pour désenclaver le village et l’exploitation des
terres abandonnées et éloignées,
mais également faciliter aux jeunes de bénéficier des opérations de valorisation du domaine forestier. Sur ce, nous quittons Aït Smaïl, direction le chef-lieu de la commune où nous avons rendu visite au président de l’APC d’El-Kseur, Ali Gherbi, auquel nous demandons de plus amples informations sur l’éjection de ce village de la liste des zones d’ombres (lire entretien). M. L.
//////////////////////////
Ali Gherbi, président de l’Assemblée communale d’El-Kseur :
«Il y a nécessité d’injecter une aide au développement»
El Moudjahid : Pourquoi le village Aït Smaïl ne figure-t-il pas sur la liste des zones d’ombre ?
Ali Gherbi : À notre niveau, nous avons établi une liste de 17 villages du douar Guarret, dont fait partie Aït Smaïl, que nous avons transmise au service habilité, mais lors de la sélection, Aït Smaïl ne figurait pas. C’est une décision qui est indépendante de notre volonté. L’APC n’ayant pas compétence dans ce domaine. Mais je souligne que le village a fait l’objet d’études pour l’alimentation en eau potable. Il est prévu deux forages pour construire un château d’eau. Certes, la route est bitumée jusqu’à l’entrée du village, mais il reste deux kilomètres à finaliser. Ce qui sera fait, car la quantité du bitume est disponible et l’entreprise poursuivra son travail jusqu’à l’achèvement des travaux. Je rappelle que l’APC d’El-Kseur a réalisé des travaux de réhabilitation de la source d’eau fraîche du village, plus un château d’eau de 30.000 litres qui est inscrit, et nous assurons le transport d’écoliers vers la commune de Toudja où ils sont scolarisés. Nous avons aussi installé une antenne de la 4G pour l’internet. Mais, pour faire le bilan général, disons, qu’en réalité, nous n’avons, comme élus, travaillé que 24 mois durant notre mandat. Le reste a été amputé pour cause de la pandémie de Covid-19, mais aussi des marches du Hirak. Donc, il n’y avait pratiquement aucun projet en marche. Nous envisageons de transformer l’ancienne école détruite en centre de soins. J’ajoute que les villages de la commune d’El-Kseur doivent bénéficier d’une attention particulière des responsables de wilaya. Il y a vraiment nécessité à injecter une aide au développement sur le budget de wilaya.
M. L.