Un jour, un livre - Les croisades vues par les Arabes, d’Amine Maalouf : Une œuvre novatrice

Amin Maalouf, écrivain d'origine libanaise, a écrit ce roman des Croisades vues à travers le regard arabe. Ce qui constitue une approche inédite dès lors que l’histoire des Croisades a été et reste dans une large mesure la chasse gardée des chroniqueurs et des chercheurs occidentaux. Autant dire que l’impartialité, l’objectivité ne sont pas toujours respectées.  En ce sens, l’auteur a presque fait exception à la règle. Dans ce travail, les princes de l'Islam (Nourredine, Salah Eddine, Baibars...), dénigrés par les chroniqueurs occidentaux, sont présentés comme des héros. À l'inverse, les Croisés sont des barbares.  Comme dans son roman «Léon l'Africain», Amin Maalouf propose une nouvelle image de l'Orient arabe. Les hommes du combat contre «l'infidèle» sont pour la plupart des traîneurs de sabre et non des guerriers de Dieu.  Dans cet essai, on est loin, par exemple de ces images d’Epinal, montrant un Godefroy de Bouillon, drapé dans son «idéal» chevaleresque, repu de dithyrambes tressés à sa gloire de chevalier tout vêtu de blanc et apparaissant sur le Mont des Oliviers avec sa lance étincelante et son bouclier jetant mille feux, pénétrant dans Al-Qods, aux cris de «Dieu le veut». Plus récemment encore, dans le film «Kingdom of Heaven» de Ridley Scott, on a pu déceler chez ce cinéaste un désir de montrer les musulmans sous un visage assez positif, ce qui a déplu à certaines organisations chrétiennes conservatrices. 
Comme son nom l'indique, le livre met en scène le point de vue des Arabes sur les Croisés et les croisades, entre 1096 et 1291. Amin Maalouf a puisé les matériaux adéquats chez des historiens et des chroniqueurs arabes de l'époque, en particulier Ibn al-Qalanisi, Oussama Ibn Mounqidh, Ibn Jubair ou encore Ibn al-Athîr. Il a, donc, donné une autre image, assurément pas très élogieuse des Croisades. Maalouf raconte les pillages et les massacres perpétrés par les Franjs, terme qui désigne indistinctement les peuples européens dans le vocabulaire arabe médiéval. On y voit les contrastes de l'époque entre Orient et Occident.  
Publié la première fois en 1983 ; qualifié de premier essai historique de l’écrivain journaliste, il est tout à la fois un texte et un passage vers l’écriture des romans qui suivent, Maalouf a voulu écrire selon une perspective jusqu’alors négligée «le roman vrai» des Croisades. Cette version étant clairement en désaccord avec le point de vue dominant du monde occidental. 
Cependant, au-delà de cette volonté de restituer la vérité des faits, se dessine chez l’écrivain l’intention de reconsidérer les relations entre deux religions dans un monde où l’on voit s’effondrer la cohabitation pacifique entre chrétiens et musulmans, ce qui préfigure la réflexion de l’auteur sur la reconstruction de l’identité plurielle fondée sur l’imaginaire collectif et l’Histoire commune. Maalouf explore comment les croisades ont été perçues dans le monde arabe, en soulignant l'impact de ces événements sur les sociétés musulmanes. Il examine les motivations des Croisés, la dynamique des relations entre les différentes cultures et religions, ainsi que les conséquences des Croisades sur la politique et la société musulmane. Ce livre permet ainsi de comprendre une autre facette de cette période complexe et souvent marquée par des malentendus et des tensions interreligieuses. L'approche d'Amin Maalouf est donc très riche, puisqu'elle offre à la fois un aperçu détaillé des événements et une réflexion sur l'héritage de ces conflits dans les mentalités contemporaines. Ce livre a eu un impact important sur la compréhension des croisades et a contribué à redéfinir l'historiographie de cette période.
Cette minutieuse plongée dans l’histoire lui permet aujourd'hui de proposer une réflexion originale en porte-à-faux avec, notamment, les chroniqueurs occidentaux de l’époque. Du coup, l’intérêt est double. C’est un compte rendu détaillé de tous les événements du début à la fin des Croisades et surtout le point de vue de ceux qui ont subi ces invasions. On ne parle donc pas de Croisades mais d’invasion, pas de croisés (ou même des Anglais, des Francs, des Allemands...) mais des Franjs, etc. Même si des lecteurs ont des connaissances plus ou moins poussées sur les Croisades, ils apprennent davantage à la lecture de cet essai. Tellement, d’ailleurs, qu’on ne peut le lire en une traite. Autant s’aménager des pauses pour bien emmagasiner ce flot de connaissances qui ne sont pas de trop pour remettre les pendules à l’heure de la vérité. Une chose est sûre. Les Croisades vues par les Arabes est une mine d’informations foisonnante et très bien mise en valeur par la plume de cet auteur.        
 
M. B.

 

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