Comprendre le monde, Dr Ghenaiet Idir, Politologue : Les négociations de paix , seul moyen pour les Talibans d’exister

Entretien réalisé par  Tahar Kaidi

Plus de vingt ans sous occupation, l'Afghanistan sombre dans le chaos. Doter l’Afghanistan d’un gouvernement, d'une armée et d’une administration modernes, pour empêcher le retour des Talibans, était hier une illusion.

Que représentent réellement la reprise de ce pays par les Talibans ?
Les Talibans ont annoncé le contrôle de la plupart des régions afghanes, mais en revanche, malgré le discours du président américain Biden, dans lequel il déclare expressément la nécessité pour les Afghans d'assumer leurs responsabilités et de faire preuve de détermination à se battre, l'administration américaine exclut la détérioration de la situation sécuritaire en Afghanistan.
En dépit d'un début de recul l'armée afghane restera soutenue sur le plan logistique et financier.
Les Américains avaient multiplié les déclarations sur les capacités des forces afghanes à défendre leur territoire.
A Kaboul, il faut compter sur 300.000 membres des forces de sécurité, dont le fer de lance, les Forces spéciales, compterait près de 50.000 soldats.
Je pense que l’enjeu face à l'avancée des Talibans, c'est la force de la pression internationale pour faire respecter les pactes de négociations, et revoir les priorités avec le gouvernement afghan, maintenant que ceux-ci ont réussi à prendre la capitale.

Comment expliquer qu'une organisation supposée vaincue militairement et sans légitimité politique, puisse redessiner la carte politique d'un pays ?
Les conséquences géopolitiques de retour en force des Talibans ne tardent pas à se manifester. En effet, il y a quelques semaines, les Américains et leurs alliés espéraient qu’une solution politique négociée serait possible avec les Talibans. Mais en réalité, le retour des Talibans était presque attendu au vu du repli et du retrait des forces américaines. Dans leur avancée les Talibans ont évité de s'engager contre les Américains et ont adopté la stratégie d'occupation des multiples régions du pays, pour atteindre, enfin la capitale Kaboul. Maintenant que le gouvernement s'est effondré, les Talibans vont accentuer le contrôle sur les principaux axes du pays, pour s'assurer une maîtrise de la situation, pour assurer ensuite les pays voisins et tenter de neutraliser le rôle américain, qui, dans ce cas de figure est le pari à gagner pour les leaders, de cette organisation, qui veulent donner l'apparence de nouveaux venus incontournables.

Le monde est-il en phase de recomposition des forces ?
Je pense que dans un avenir proche, nous ne parlerons plus des Talibans, comme mouvement ou organisation terroriste eu égard à plusieurs facteurs dont les plus importants sont la chute du gouvernement, la restructuration de la cartographie politique en l'Afghanistan et la perte de légitimité par l'usage de la force. Il reste que des négociations de paix seront le seul moyen pour les Talibans de survivre et de continuer avec la possibilité d'une participation politique et d'un partage du pouvoir à l'avenir. À mon avis, les Talibans, dans la prochaine étape, devront revoir leur stratégie et abandonner le recours à la force militaire, pour pouvoir ouvrir un large champ de consultations politiques avec tout l'éventail politique et les acteurs régionaux et internationaux.

Comment analysez-vous l'évolution dans cette région ?
L'intervention d'acteurs internationaux en Afghanistan tient, je crois, à deux volets importants : le premier est l'annonce par les États-Unis que la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme est une responsabilité internationale commune qui requiert la contribution de tous.
La Maison blanche ne voit pas l'intérêt d'une présence des États-Unis en tant que force militaire en Afghanistan, alors qu'il existe d'autres moyens pour en finir avec le dossier afghan, en particulier l'implication d'autres forces qui ont un lien direct et vital avec ce pays, qu'il s'agisse d’intérêts stratégiques ou d'un point de vue purement géographique.
A mon avis, l'intervention de ces nouveaux acteurs aura comme conséquence d’acter un arrangement politique dont les retombées s'établissent au-delà de la question de terrorisme et de l'extrémisme dans cette région ; quoi qu’il en soit la région s’orientera vers d'autres options politiques fondées sur la coexistence.
T. K.

///////////////////////////

Biographie :
Directeur en Algérie du bureau de l'Union de la culture arabe.
Titulaire d’un doctorat de l'école nationale supérieure des sciences politiques, le Dr Ghenaiet Idir est membre chercheur au sein du groupe "Recherches, gouvernance et développement durable" à l'université Larbi-Tebessi. Il est également chercheur assistant à l'université du Minnesota et enseignant de sciences politiques à l'université d'Annaba. Ses travaux portent sur la géopolitique des conflits et les questions liées au soft power et à l'influence politique, il vient de publier un ouvrage sur la Chine et les logiques de redéploiement diplomatique.

Sur le même thème

Multimedia