Sidi Bou Saïd, l’envoûtant poème blanc et bleu : immersion dans le joyau de la côte tunisienne

De notre envoyé spécial à Tunis : Mohamed Mendaci

Quitter la bulle opulente et la quiétude feutrée de l'hôtel Golden Carthage, c'est s'engager dans une transition sensorielle immédiate, un court voyage où la Tunisie moderne et sa mémoire éternelle se côtoient et finissent par fusionner.

Dès que le véhicule franchit les grilles gardées et s'insère sur la route côtière de Gammarth, le paysage change de visage. La route, un ruban d'asphalte chauffé par un soleil généreux, serpente d'abord entre de luxueuses villas contemporaines dissimulées derrière de hauts murs blancs d'où s'échappent, en cascades fuchsias et pourpres, des bougainvilliers exubérants.
La brise marine, déjà perceptible, porte avec elle des effluves salins qui se mêlent au parfum de la pinède et à l'odeur plus âcre de la terre chaude. Sur la gauche, par intermittence, la Méditerranée se dévoile dans des éclats turquoises éblouissants, son immensité scintillante contrastant avec l'agitation discrète du trafic. On croise des taxis jaunes pressés, des voitures familiales. Puis, la route s'élève doucement, s'enroulant sur les flancs de la colline. L'architecture se transforme ; les lignes droites et le verre fumé cèdent la place à des formes plus douces, plus organiques. Les premières touches du bleu iconique apparaissent, d'abord timides — un volet, une grille de fenêtre, un pot de fleurs — avant de devenir une évidence. Le virage final est une révélation : soudain, c'est l'éblouissement.
Le village de Sidi Bou Saïd. Accroché à sa falaise, ce village tunisien n'est pas qu'une carte postale. C'est une expérience sensorielle, un voyage dans le temps où l'art de vivre se conjugue à la lumière cristalline de la Méditerranée. Reportage au cœur d'un mythe bien vivant. Il y a des lieux qui se contentent d'être beaux. Et puis il y a Sidi Bou Saïd. Arriver ici, c'est d'abord un choc chromatique, une évidence pour la rétine. Le blanc immaculé des murs passés à la chaux, vibrant sous un soleil généreux, et ce bleu, un bleu intense et unique qui ponctue chaque porte, chaque fenêtre, chaque moucharabieh. Ce n'est pas un village, c'est une déclaration d'amour à la mer qui lui sert d'horizon. Pour comprendre Sidi Bou Saïd, il faut d'abord lever la tête. Le village ne s'étale pas, il s'accroche, s'agrippe à une falaise majestueuse qui plonge dans les eaux couleur saphir du golfe de Tunis. Situé à une vingtaine de kilomètres au nord-est de la capitale, il est le voisin altier des ruines antiques de Carthage.
Sa position est un atout stratégique et esthétique : perché, il domine le port de plaisance et offre des panoramas à couper le souffle, où le ciel et la mer se confondent en une seule et même entité bleue. Cette géographie en balcon explique son magnétisme. On ne fait pas que visiter Sidi Bou Saïd, on y prend de la hauteur, au sens propre comme au figuré. C'est sous un soleil de plomb, typique de l'été méditerranéen, que notre groupe d'une dizaine de journalistes algériens a entrepris, au départ de la prestigieuse région de Gammarth, où foisonnent les complexes hôteliers, une immersion dans l'un des sites les plus emblématiques de la Tunisie : le village de Sidi Bou Saïd. Un lieu dont la réputation, teintée de légendes et d'esthétique, dépasse largement les frontières maghrébines. Dès les premiers pas dans les rues menant au cœur du village, le ton est donné.
Le blanc éclatant des murs contraste avec le bleu azur des boiseries, un spectacle visuel instantanément saisissant. Mais ce qui frappe d'abord les sens, c'est l'effervescence commerciale. Une véritable haie d'honneur, composée de petites boutiques et d'étals, borde l'allée principale. L'artisanat tunisien y déploie ses trésors : maroquinerie finement travaillée, poteries aux motifs berbères, tapis chatoyants, vêtements traditionnels aux couleurs vives, bijoux en argent, tableaux et céramiques... C'est un festival pour les yeux, une invitation à la découverte. Cependant, nos sens journalistiques, aiguisés par l'expérience, perçoivent rapidement une réalité moins poétique : celle des prix. L'ambiance de marché est palpable, mais les tarifs affichent souvent un niveau « touriste », bien éloigné du pouvoir d'achat local, voire parfois jugés élevés même par rapport aux standards régionaux. Les échanges avec les propriétaires de magasins, qui tentent par tous les moyens d'attirer le chaland, sont vifs, teintés de cet art de la négociation caractéristique des bazars méditerranéens. Pour nous, journalistes algériens, habitués à des structures de prix différentes, c'est une observation marquante de l'orientation résolument touristique et internationale du lieu.

M. M.

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Entre soufisme et douceur de vivre : 
L'âme d'un village paisible
 
Sidi Bou Saïd n'a pas toujours été une retraite pour artistes. Son nom même est un hommage à un saint homme. Au XIIIe siècle, le soufi Abou Saïd Khalaf Ibn Yahya el-Tamimi el-Béji choisit cette colline, alors appelée Jebel El-Manar («la montagne du phare»), pour y enseigner et y méditer. Sa tombe, devenue lieu de pèlerinage, a donné son nom et son âme spirituelle au village. Cette quiétude originelle a infusé les traditions locales. L'art de vivre ici est fait de lenteur. Il se savoure autour d'un verre de thé à la menthe brûlant, parsemé de pignons de pin, ou d'un café turc épais. C'est également un haut lieu du malouf, la musique arabo-andalouse, que le baron d'Erlanger contribua grandement à préserver en créant le Centre des musiques arabes et méditerranéennes dans son palais. Assister à un concert dans ses jardins est une expérience qui connecte directement à l'héritage culturel raffiné de la Tunisie.        
 
M. M.

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Alliance courante dans l'architecture méditerranéenne :
L’origine du blanc et bleu

Mais d'où vient cette fameuse bichromie ? Si l'alliance du bleu et du blanc est courante dans l'architecture méditerranéenne (on pense aux Cyclades grecques), sa systématisation à Sidi Bou Saïd est plus récente. Elle est l'œuvre d'un homme : le baron Rodolphe d'Erlanger. Ce peintre et musicologue franco-britannique, tombé amoureux du village au début du XXe siècle, y fit construire un somptueux palais, Ennejma Ezzahra ("L'Étoile de Vénus"), et milita pour la protection du site. Un décret de 1915 classa le village et imposa ce code couleur devenu signature : le blanc pour la pureté et la lumière, et ce bleu, dit "bleu Sidi Bou Saïd", pour évoquer le ciel et la mer, repousser le mauvais œil et inviter au rêve.

M. M.

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Colline perchée : Ce qu’il faut visiter

Se perdre dans les ruelles, le meilleur guide est l'instinct. Il faut flâner, oser pousser une porte entrouverte, se laisser surprendre par une cour intérieure noyée sous les bougainvilliers fuchsia. Le Café des Nattes : C'est une institution. On y accède par un escalier abrupt pour se retrouver dans une salle où l'on s'assied sur des nattes posées sur des banquettes. Commander un thé et regarder la vie s'écouler depuis ce poste d'observation est un must. Dar El Annabi : Visiter cette grande demeure du XVIIIe siècle, transformée en musée, c'est pénétrer dans l'intimité d'une famille bourgeoise tunisienne d'antan. Le patio, les costumes, le mannequin de cire de la mariée... tout y est pour un voyage dans le temps. Le palais du Baron d'Erlanger (Ennejma Ezzahra) : Un peu en contrebas du village, ce palais est un joyau d'architecture et un centre culturel vibrant. Sa visite est essentielle pour comprendre la genèse du Sidi Bou Saïd moderne.    
 
M. M.

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