Comprendre le monde, Afghanistan, Les talibans de retour : La région dans l’incertitude

Les talibans sont sur le point de reprendre le pouvoir en Afghanistan, après être arrivés aux portes de Kaboul où leurs combattants ont reçu l'ordre de ne pas entrer pendant que le gouvernement promettait une transition pacifique.

La région dans l’incertitude

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Le Président Ashraf Ghani quitte le pays

Ils ont aussi promis qu'ils ne chercheraient à se venger de personne, y compris des militaires ou fonctionnaires ayant servi pour l'actuel gouvernement. Appelant les Afghans à «ne pas s'inquiéter», le ministre de l'Intérieur, Abdul Sattar Mirzakwal, a assuré qu'un «transfert pacifique du pouvoir"» vers un gouvernement de transition va avoir lieu.
«Ne paniquez pas, Kaboul est en sécurité», a tenté de rassurer sur Twitter Matin Bek, le chef de cabinet du Président Ashraf Ghani. Les insurgés s'étaient emparés sans résistance dans la matinée de la ville de Jalalabad (Est), quelques heures après avoir pris Mazar-i-Sharif, la quatrième plus grande ville afghane et le principal centre urbain du nord du pays.
En à peine dix jours, les talibans, qui avaient lancé leur offensive en mai, à la faveur du début du retrait final des troupes américaines et étrangères, ont pris le contrôle de quasiment tout le pays. La déroute est totale pour les forces de sécurité afghanes, pourtant financées pendant 20 ans à coups de centaines de milliards de dollars par les États-Unis, et pour le gouvernement du Président Ghani, lequel semble désormais acculé à la capitulation et à la démission.
«Toutes perspectives de combat dans la ville elle-même déclencheraient une catastrophe humanitaire majeure», a déclaré Ibraheem Thurial Bahiss, consultant de l'International Crisis Group.

Joe Biden : «Une réponse rapide et forte»

Face à l'effondrement de l'armée afghane, le Président américain, Joe Biden, a porté à 5.000 soldats le déploiement militaire à l'aéroport de Kaboul, pour évacuer les diplomates américains et des civils afghans.
Le Pentagone évalue à quelque 30.000, le nombre de personnes à évacuer au total. Les hélicoptères américains continuaient leurs rotations incessantes entre l'aéroport et l'ambassade américaine, un gigantesque complexe situé dans la «zone verte» ultra-fortifiée, au centre de la capitale. Le Président américain a menacé les talibans d'une réponse «rapide et forte» en cas d'attaque qui mettrait en danger des ressortissants américains, lors de l'opération d'évacuation.
Mais il a aussi défendu sa décision de mettre fin à 20 ans de guerre, la plus longue qu'ait connue l'Amérique, lancée dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, pour renverser les talibans.
Londres a parallèlement annoncé le redéploiement de 600 militaires pour aider les ressortissants britanniques à partir.
Plusieurs pays occidentaux vont réduire au strict minimum leur présence, voire fermer provisoirement leur ambassade.
Les talibans, qui veillent à afficher aujourd'hui une image plus modérée, ont maintes fois promis que s'ils revenaient au pouvoir, ils respecteraient les droits humains, en particulier ceux des femmes, en accord avec les «valeurs islamiques».
La Russie œuvre avec d'autres pays pour la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU sur l'Afghanistan a déclaré Zamir Kaboulov, émissaire du Kremlin pour l'Afghanistan.
«La situation nécessite une intervention immédiate du Conseil de sécurité de l'ONU. Il est important d'éviter une nouvelle catastrophe humanitaire et une menace accrue pour la sécurité et la stabilité dans la région», a déclaré pour sa part le président de la commission des affaires étrangères au parlement russe, Léonid Sloutski.
Inquiétudes

«Nous ne pouvons pas permettre la création d'un nouveau foyer de terrorisme à proximité immédiate des frontières russes et de nos partenaires», a souligné M. Sloutski.
Le vice-président de la chambre haute du parlement russe, Konstantin Kossatchev, a de son côté estimé sur Facebook qu'il fallait «intensifier les efforts diplomatiques régionaux» et définir une «ligne commune» entre la Russie, les voisins de l'Afghanistan en Asie centrale et la Chine, l'Inde et le Pakistan.
Le Premier Ministre britannique Boris Johnson va convoquer en urgence, dans la semaine, le Parlement, actuellement suspendu pour les vacances d'été, ont rapporté les médias britanniques sur fond d'appels pressants à intervenir face à l'avancée des talibans.
Par ailleurs, la Turquie va œuvrer avec le Pakistan à une stabilisation de la situation en Afghanistan afin d'enrayer un afflux de réfugiés en provenance de ce pays en guerre, a affirmé le Président Recep Tayyip Erdogan.
L'Alliance atlantique a estimé, pour sa part, qu’il était «plus urgent que jamais» de trouver une solution politique.
Synthèse R. I.

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Ashraf Ghani : «les talibans  ont gagné»

Le Président afghan Ashraf Ghani a déclaré hier avoir fui son pays pour éviter un «bain de sang», reconnaissant que «les talibans ont gagné». Le Président Ghani, qui n'a pas précisé où il était parti, s'est déclaré convaincu que «d'innombrables patriotes auraient été tués et que Kaboul aurait été détruite» s'il était resté en Afghanistan.

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«Un air de déjà-vu»

Le retour des talibans a «un air de déjà-vu», explique à The Atlantic, le colonel américain à la retraite, Mike Jason. En Irak comme en Afghanistan, «les efforts déployés par l’armée américaine pour conseiller et encadrer les forces locales ont été pris à la légère, de manière informelle et sans stratégie». L’ancien militaire ajoute : «Nous avons rassemblé de petites équipes de soldats, de marins et d’aviateurs, nous leur avons enseigné quelques techniques de survie de base et leur avons donné une leçon d’une heure dans la langue locale avant de les placer auprès d’unités étrangères (…). Nous avons par ailleurs confié des missions tactiques à des hommes et à des femmes, formés à des tâches essentiellement administratives.» Les États-Unis, présents sur le terrain depuis 2001, n’ont pas réussi à «faire de ces forces des institutions». Pendant toutes ces années, l’armée américaine a eu le sentiment de mener «vingt guerres incohérentes, une année après l’autre, sans direction». Elle «peut et doit» être tenue responsable de l’effondrement actuel des forces de sécurité afghanes.

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Les seigneurs de guerre de retour

Tandis que, depuis le retrait de l’armée américaine, l’Afghanistan vacille face à l’offensive fulgurante des talibans, toutes sortes de personnages infréquentables issus du passé violent du pays reviennent sur le devant de la scène, se posant comme l’ultime recours contre le retour au pouvoir des fondamentalistes islamistes. Les seigneurs de guerre afghans, qui ont fait leurs armes aux côtés des moudjahidine dans les années 1990, n’ont jamais véritablement disparu du paysage, grâce à la valse-hésitation des forces américaines, qui tantôt les enrôlaient contre les talibans, tantôt cherchaient à neutraliser leurs milices pour mettre sur pied une armée nationale. Hamid Karzai, premier président afghan de l’ère post talibans, s’était vu fustiger pour avoir placé des seigneurs de guerre dans son gouvernement et leur avoir cédé une part du pouvoir, alors qu’ils faisaient l’objet d’innombrables accusations crédibles de crimes de guerre. Leur retour ostentatoire en première ligne du plan de bataille contre les talibans fait craindre que l’Afghanistan n’implose à nouveau dans une guerre de fiefs, sur fond de rivalité entre les hommes forts locaux.

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Vingt ans après, retour à la case départ

Tel un château de cartes, les villes afghanes tombent les unes après les autres sous le contrôle des talibans. Hier, ils étaient aux portes de Kaboul. Et alors que la capitale afghane est encerclée, un porte-parole a annoncé que les talibans souhaitent prendre le contrôle du pouvoir dans le pays «dans les jours à venir» par un transfert pacifique. Ce à quoi semble être disposé le gouvernement. En effet, le ministre de l’Intérieur a affirmé qu’il y aurait un «transfert pacifique du pouvoir» vers un gouvernement de transition. De son côté, le Président Ashraf Ghani a demandé aux forces de sécurité de garantir «la sécurité de tous les citoyens», en maintenant l’ordre public. Il a suffi d’une semaine aux talibans pour parvenir à leurs fins. La présence dans le pays, vingt ans durant, de forces étrangères, n’aura pas, au final, permis à l’Afghanistan de se prémunir contre la menace que les talibans n’ont eu de cesse de représenter depuis qu’ils ont été délogés du pouvoir.
Mais ce retournement de la situation était prévisible. Militaires et analystes avaient mis en garde le Président Biden et son prédécesseur Trump contre les risques encourus par l’Afghanistan si les soldats américains venaient à quitter le pays et laisser l’armée afghane à son sort. Mais le 46e Président américain a préféré ne pas tenir compte de ces mises en garde, y compris par le Pentagone.
«Rien ne justifie le fait que nous y soyons encore en 2021», avait-il déclaré, dans une allocution prononcée le 14 avril sur la voie à suivre en Afghanistan. «Il est temps de mettre un terme à la guerre la plus longue menée par les États-Unis». Le retrait des troupes américaines, entamé le 1er mai, conformément à l’accord signé entre l’administration Trump, le gouvernement afghan et les talibans, est censé s’achever fin août. Il n’en fallait pas plus pour les talibans. Dans la foulée, ils ont lancé leur offensive militaire. Une offensive couronnée de succès, puisque, depuis mai, ils ont repris tout le territoire qui était sous contrôle du gouvernement afghan et s’apprêtent à reconquérir leur pouvoir perdu. Pour rappel, les talibans ont dirigé le pays entre 1996 et 2001. Mais, pour le Président Biden, «seuls les Afghans avaient le droit et la responsabilité de diriger leur pays, l’arrivée sans fin de plus en plus de forces américaines ne pouvait ni créer ni maintenir un gouvernement afghan durable». Dès lors et en réponse à ceux qui souhaitaient voir les Américains prolonger la durée de leur présence, il rétorque qu’«une année ou cinq de plus de présence militaire américaine n’aurait fait aucune différence, quand l’armée afghane ne peut ou ne veut défendre son propre pays».
Il semble qu’il n’avait pas vraiment tort. Pour preuve, presque aucune résistance n’est opposée à l’avancée des talibans sur le terrain. Pire, nul n’aurait imaginé l’ampleur de la déroute et nul n’aurait pronostiqué la rapidité avec laquelle les talibans ont réussi à avancer jusqu’à Kaboul. Les médias anglo-saxons sont perplexes devant cette progression fulgurante de l’offensive militaire talibane. Et ils ne manquent pas de le faire remarquer : «Les analystes et les observateurs — ainsi que les Afghans eux-mêmes — se demandent ce qui a bien pu se passer avec les forces de sécurité afghanes.» Et de rappeler qu’en vingt ans, les États-Unis et leurs alliés ont investi des milliards de dollars pour développer, armer et former l’armée de terre, l’armée de l’air, les commandos des forces spéciales et la police afghane. Rien qu’en 2021, l’OTAN dit avoir fait don de plus de 70 millions de dollars de fournitures, notamment de matériel médical et de gilets pare-balles. Et pourtant, la réalité du terrain est loin de refléter cet effort logistique et humain. Aujourd’hui, ils ne peuvent que constater l’ampleur de la déroute militaire et politique à laquelle ont donné lieu vingt ans de présence de forces américaines et de l’OTAN. Pour les Afghans, la pilule est plus que amère.
L’Afghanistan semble désormais abandonné à son sort, et c’est seul qu’il doit faire face aux talibans. Samedi, le Président américain a autorisé l’envoi de 5.000 soldats afin d’évacuer les ressortissants se trouvant encore dans le pays. À l’instar des États-Unis, d’autres pays occidentaux ont accéléré l’évacuation de leur personnel diplomatique, de leurs ressortissants et des Afghans ayant travaillé pour eux.
De nombreux autres veulent aussi quitter le pays. Les demandes de visa se comptent par dizaines de milliers, ont rapporté des médias. La crainte de ce que sera demain en est la cause. Et même si les talibans ont pourtant promis qu’il n’y aura pas de représailles contre les personnes, y compris militaires ou fonctionnaires, ayant servi pour l’actuel gouvernement, ils ne sont pas rassurés. Et pour cause, nombre d’entre eux se souviennent forcément de ce que les talibans durant leurs années au pouvoir ont imposé à la population. L’application de leur vision ultrarigoriste de la charia a donné lieu à de nombreux abus et violations des droits de l’homme. L’accord de paix négocié entre le gouvernement afghan et les talibans avait laissé croire à la construction d’un autre Afghanistan. Mais l’illusion entretenue par l’administration américaine aura été éphémère ; la réalité afghane a repris le dessus, plongeant les Afghans et leur pays dans l’incertitude la plus totale quant à leur devenir.

Nadia Kerraz

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Chronologie  d’une déroute annoncée

1994 : le mouvement Taliban apparaît dans un pays dévasté par la guerre contre les Soviétiques (1979-89) et confronté à une lutte fratricide depuis la chute en 1992 du régime communiste  à Kaboul.

Octobre 1994 : prise par les taliban, sans combat, de Kandahar, l'ancienne capitale royale.
Les Talibans enchaînent les conquêtes territoriales jusqu'à Kaboul dont ils s'emparent le 27 septembre 1996 et chassent le Président Burhanuddin Rabbani. Au pouvoir, ils imposent la loi islamique .
Après les attentats du 11-Septembre aux États-Unis, perpétrés par Al-Qaïda, Washington et ses alliés de l'Otan lancent, le 7 octobre 2001, une vaste opération militaire suite au refus du régime taliban de livrer ben Laden. Le 6 décembre, le régime capitule. Ses chefs s'enfuient avec ceux d'Al-Qaïda.
La Mission de combat de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) de l'Otan, terminée fin 2014, est remplacée par celle de formation, conseil et assistance, baptisée Resolute Support. Les forces de sécurité afghanes combattent seules contre les talibans et autres groupes insurgés, soutenues par l'aviation américaine.

Juillet 2015 : le Pakistan accueille les premiers pourparlers directs, soutenus par Washington et Pékin, entre Kaboul et les talibans. Le dialogue tourne court. Parallèlement, la branche afghane du groupe État islamique, rivale des talibans, est créée et revendique une série d'attentats sanglants.

Mi-2018 : Américains et talibans entament de discrètes négociations à Doha, plusieurs fois interrompues après des attaques contre des troupes américaines.

29 février 2020 : Washington signe un accord historique avec les talibans, prévoyant le retrait des soldats étrangers en échange de garanties sécuritaires et de l'ouverture de négociations entre les insurgés et Kaboul.

1er mai 2021, les États-Unis et l'Otan entament le retrait de leurs 9.500 soldats, dont 2.500 militaires américains, encore présents en Afghanistan.

19 juin 2021 : face à la progression rapide des insurgés, le Président afghan Ashraf Ghani désigne de nouveaux ministres de l'Intérieur et de la Défense.

22 juin 2021 : les talibans s'emparent du poste-frontière de Shir Khan Bandar (Nord), principaux accès vers le Tadjikistan.

2 juillet 2021: les troupes américaines et de l'Otan restituent à l'armée afghane la base aérienne de Bagram, centre névralgique des opérations de la coalition, à 50 km au nord de Kaboul.

4 juillet 2021 : les talibans s'emparent du district-clé de Panjwai, à une quinzaine de kilomètres de Kandahar.

8 juillet 2021 : Joe Biden déclare que le retrait de ses forces, entamé en mai, sera achevé le 31 août.

10 juillet 2021 : Joe Biden dit ne pas regretter sa décision de quitter l'Afghanistan, estimant que les Afghans «doivent se battre pour eux-mêmes».

14 juillet 2021: Ashraf Ghani jure de remobiliser l'armée contre les talibans. Dans la soirée, ces derniers s'emparent de Mazar-i-Sharif "»sans rencontrer vraiment de résistance», selon des habitants.

15 juillet 2021 : les talibans prennent Jalalabad, dans l'Est, ce qui ne laisse plus que Kaboul, la capitale, comme grande ville encore contrôlée par le gouvernement.

15 août 2021: Le Président Ashraf Ghani quitte l'Afghanistan.

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