Tewfik Hamel (*) : «Le contexte international accélère les mutations dans la région arabe»

Le président Tebboune a souligné lors de l’ouverture des travaux du Sommet arabe à Alger, que ce rendez-vous «se tient dans une conjoncture régionale et internationale exceptionnelle d'une extrême complexité, marquée par la montée des tensions et des crises, en particulier dans notre monde arabe, qui, jamais dans son histoire contemporaine, n'a connu de périodes aussi difficiles et suscitant autant d'inquiétudes que celles que nous vivons aujourd'hui».

Commentant le discours, Tewfik Hamel, chercheur en histoire militaire et études de défense, et chef de la rédaction d’African Journal of Political Science, explique que «l'aggravation de la situation géopolitique pourrait entraîner des manifestations susceptibles de devenir politiques».
Dr Hamel revient sur ce qu’il qualifie de «conjoncture politique et sécuritaire complexe», pour brosser un tableau sombre, et souligne que «les pays arabes seront courtisés par les grandes puissances, d'où l'insistance du Sommet sur la convergence des vues». Pour le chercheur, «les tensions entre les pays arabes ne cessent de s'amplifier et de se multiplier», outre qu’«au niveau interne, une situation qui n'est pas meilleure, par les effets d’une crise interne multidimensionnelle politique, économique, sociale et identitaire, et qui s'aggrave de plus en plus dans de nombreux pays».
«Au niveau régional, les pays arabes ne cessent d'avoir des tensions avec les pays voisins, comme la Turquie et l'Iran, et leur voisinage est de plus en plus instable», indique le chercheur, tout en soulignant qu’au niveau international, «les rivalités entre les grandes puissances, notamment l’Union européenne, les États-Unis, la Russie et la Chine, jettent leur ombre sur les relations interarabes et sur les relations des pays de la région avec le monde extérieur». Cela risque, poursuit-il, «de conduire à fragiliser davantage le système régional arabe», car «les États arabes seront amenés à choisir leur camp».
Justement, «le Sommet met l'accent sur l'impératif d'unir leur voix et d’éviter la polarisation», souligne l’expert. L’analyse de Dr Hamel fait écho aux déclarations du président de la République pour qui «le contexte international exceptionnel accélère les mutations et changements qui modifient l'équilibre des forces et accentue les polarisations qui contribuent à amplifier et à entraîner l'escalade de la crise et de l'instabilité, avec ce que cela aura comme impact sur la paix et la sécurité mondiales». Dr Hamel fait savoir que «le monde arabe fait face à des défis structurels», dont «la sécurité alimentaire est un défi pour tous les pays de la région». Les conséquences pourraient être, selon le chercheur, « non seulement économiques et sociales, mais aussi politiques».

Impératif de la réforme de la Ligue arabe

Notant que «les transformations à apporter sont d'ordre structurel, dans la mesure où elles touchent à la structure de la Ligue arabe, à savoir ses acteurs, son contexte, ses institutions annexes et ses ressources», l’expert estime que «c'est en modifiant sa structure qu'il devient possible de sortir des impasses politico-stratégiques qui durent depuis des décennies dans la région arabe».
Le chercheur n’omet pas d’insister au passage que «le sommet aurait pu au moins permettre un début de mise en place des mesures confiances, une phase dans le processus des réformes de la Ligue arabe exigée par l'Algérie depuis 2005».
Par ailleurs, Dr Hamel n’y va pas avec le dos de la cuillère : «la Ligue arabe a montré son inefficacité, donc le besoin de revoir son fonctionnement se pose avec acuité, notamment le statut du secrétaire général, la procédure du vote, et l’abandon de la formule du consensus et son remplacement par la règle de la majorité qualifiée pour éviter le blocage.» En outre, le chercheur estime qu’il y a un problème «de déficit démocratique» dans la région arabe, précisant que «la démocratie est, à la fois, une pratique, un processus et une culture d'échange, de négociation et de compromis. Ce n'est pas le cas pour les pays arabes, où les dirigeants ont l'habitude de gouverner par le haut, et où la notion de compromis et d'échange est étrange et étrangère à leur manière de gouverner».

Tahar Kaidi

(*) Chercheur en histoire militaire et études de défense à l’université Paul-Valéry (France)

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