Forum d’El Moudjahid, Les journalistes durant la Guerre de libération : le combat de la plume

L'Algérie était la Mecque des révolutionnaires, et le journal El Moudjahid traduisait dans un style, à la fois percutant et poétique, l'ethos de l'Algérien. Ph. Billal
L'Algérie était la Mecque des révolutionnaires, et le journal El Moudjahid traduisait dans un style, à la fois percutant et poétique, l'ethos de l'Algérien. Ph. Billal

L’intérêt du Forum de la mémoire organisé par le journal El Moudjahid et l’association Machaâl echahid s’est porté mercredi sur le journalisme et la communication comme armes de guerre, l’histoire de ces femmes et hommes qui ont mené le combat de la plume.

A l’occasion de la Journée nationale de la presse, le 22 octobre, le Forum de la mémoire a voulu replonger dans l’histoire de la presse algérienne en mettant en lumière des noms que la mémoire collective avait oubliés et en rappelant l’impact et le rôle de la presse révolutionnaire face à la propagande coloniale. Ce sont deux hommes de communication et enseignants universitaires qui se sont attelés à rendre hommage à ces pionniers de la presse algérienne qui ont fait de la communication un soutien à la révolution, M. Mohamed Koursi, président-directeur général du journal
El Moudjahid, et Ahmed Adimi, professeur à la faculté de l’information et de la communication de l’université Alger 3. «Ce sont des géants de l’histoire qui ont poussé jusqu’au sacrifice suprême leurs idéaux pour produire un journal qui va parler aux Algériens mais aussi et surtout porter les mots, la souffrance et les revendications de l’Algérie combattante à l’environnement international», dira M. Koursi en parlant de ces pionniers du journal El Moudjahid né durant la guerre de Libération. Il évoquera ces journalistes qui ont pris le stylo comme arme pour contrecarrer la propagande coloniale et comme moyen de sensibilisation et de mobilisation du peuple pour le recouvrement de sa souveraineté nationale. Il citera Noureddine Nait-Mazi baptisé «l’Amiral», fils d’un fellah émigré qui, à 16 ans, a rejoint le PPA-MTLD et devient journaliste en 1954 jusqu’à son incarcération en 1956 pour insoumission et atteinte à la sûreté de l’Etat. Après l’indépendance, il fut nommé, en 1971, directeur du journal El Moudjahid. « Il est l’un des rares journalistes algériens à avoir travaillé avant et après 1962 dans la presse algérienne», dira M. Koursi qui rendra aussi hommage à Liès Hamdani «le maquisard» patron de la Nationale d’El Moudjahid, qui a lancé une génération de journalistes, un homme de foi et de devoir, à Djamel Bensaâd, «l’homme aux sandales de vent», la plume de l’APS, Horizons et
El Moudjahid. «Aventurier dans l’âme, il va arpenter les USA durant 7 ans et connaîtra les rédactions du Wall Street Journal et du Herald Tribune, derrière ses verres grossissants, ses yeux malicieux donnaient l’impression qu’ils annonçaient une blague, pourtant ses questions désarçonnaient», témoignera M. Koursi.

Ces pionniers de la bataille  médiatique

Le PDG d’El Moudjahid évoquera aussi Serge Michel, sympathisant français du FLN qui a fait partie de l’équipe d’El Moudjahid à Tunis et qui était le père technique de la presse quotidienne nationale, ou encore Daniel Huguet par la naissance mais Ali Habib devant l’éternel et par le cœur, le militaire français qui déserta pour rejoindre l’ALN, réalisant pour El Moudjahid des reportages qui restent un modèle du genre, non seulement par leur technique rédactionnelle mais aussi par la profondeur des analyses. Un autre journaliste façonné par l’histoire, évoqué par M. Koursi, Halim Mokdad, le ciseleur de mots qui excellait dans les formules ramassées, saisissantes poétiques, même si ses mots étaient trempés dans l’encre de la tragédie. Le conférencier rappellera également à l’assistance le souvenir d’Isa Bouzekri, formée à la sténodactylographie, qui avait eu l'honneur de taper les six premiers numéros du journal El Moudjahid ainsi que la plateforme du Congrès de la Soummam en août 1956. Dans son dernier témoignage juste avant de mourir, et lu aux présents au forum, Isa Bouzekri racontera ses premiers pas dans la lutte de Libération, sa rencontre avec Abane Ramdane qui deviendra par la suite son mari, et les différentes étapes de son destin consacré à la cause nationale, ne cherchant ni reconnaissance ni lauriers. Le directeur d’El Moudjahid citera parmi ces femmes de communication, Evelyne Lavalette, Nassima Halal, qui s’occupait des tracts et fut chargée avec l’équipe technique de sortir le premier numéro d’El Moudjahid. Un hommage a été aussi rendu à Pierre Chaulet qui avait l’Algérie au cœur, à Zahir Ihaddaden qui a fait partie de la rédaction de la résistance algérienne à Tétouan, professeur, journaliste, conseiller technique, historien et auteur de nombreux ouvrages. Enfin, le météore de la pensée révolutionnaire Frantz Fanon, qui collabora au journal El Moudjahid, fut également évoqué par M. Koursi. «Des hommes et des femmes avec un dévouement inégalé, au service du métier de la presse nationale. Une mission qui était de propager à l’intérieur de nos rangs mais aussi au sein des populations tous les messages que la direction politique du FLN voulait répandre pour lutter contre l’intoxication et le black-out de l’information de la partie adverse». L’intervenant affirmera que ces journalistes prenaient la plume pour rédiger des articles qui répondaient dans le détail aux affabulations et assertions parues dans les journaux de la colonisation ou instrumentalisées par la propagande.

La presse nationale acteur  de son passé et de son présent

«Il y a eu des périodes historiques de l'Algérie où des journalistes ont joué des rôles de premier plan à travers leurs écrits ; ils étaient pratiquement des acteurs de la scène politique presqu'à part entière grâce à leurs prises de position et à l'influence qu'ils avaient sur le lectorat. «L'Algérie était la Mecque des révolutionnaires, et le journal El Moudjahid traduisait dans un style, à la fois percutant et poétique, l'ethos de l'Algérien que moins d'une génération séparait du colonialisme. Des journalistes de talent sillonnaient le monde, surtout dans ses parties bouillonnantes et révolutionnaires (Amérique latine et Afrique) pour témoigner de l'attachement de l'Algérie à des principes énoncés dans ce premier communiqué de presse fondateur, à savoir la Proclamation du 1er Novembre 1954». Mohamed Koursi précisera que «chaque période enfante quelques journalistes, femmes et hommes, qui donnent à cette profession ses lettres de noblesse». De son côté, le Dr Ahmed Adimi a mis en avant le rôle de la communication de guerre face à la propagande française et sa réussite, en dépit du manque de moyens, mais grâce au génie des journalistes de l’époque, elle a porté loin et même très loin, la voix de la Révolution algérienne. Il a ainsi évoqué l’apport de ce Chahid à la création du journal El Moudjahid, l’élaboration d’un plan judicieux pour son impression, d’abord à La Casbah puis à Tunis mais aussi sa distribution ciblée en direction d'éminentes personnalités politiques dans le monde.
Soulignant le succès du journal face à la propagande française, à la faveur de divers canaux de communication, M. Adimi a rappelé, dans le même sens, l'importance des stations de radio créées à Tunis mais également à la frontière algéro-marocaine, dont l'objectif était de renforcer la confiance des Algériens en leur Révolution et en ses dirigeants.
Farida Larbi

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