
Abdelkrim Chelghoum, président du club des risques majeurs et Directeur de recherche à l’USTHB, plaide pour la mise en place un observatoire national de la gestion des crises, qui doit regrouper, selon lui, entre 200 ou 300 experts de divers domaines et, surtout, être sous tutelle de la présidence de la République, arguant que la gestion des risques majeurs relève de la sécurité nationale.
Entretien réalisé par Kamélia Hadjib
El Moudjahid: Plusieurs villes du pays enregistrent des inondations causées par les pluies. Quelles sont les causes de ces inondations?
Pr. Chelghoum : Les quantités de pluies qui s’abattent depuis quelques temps sont dues au changement climatique créant des ruissellements des eaux pluviales. Cette situation est liée à l’urbanisation, notamment au niveau des grandes villes comme Alger, Oran et Constantine. C’est l’aménagement du territoire local régional.
Si cette urbanisation est faite de façon débridée, archaïque et irréfléchie, les résultats sont là. On ne peut même pas corriger car si vous construisez sur tous les lits des oueds, que ce soit les lits majeurs, moyens ou mineurs, cela entraîne le risque d’inondations. Il faut savoir que plus de 100 oueds sont répertoriés à Alger depuis 1956. Ils sont tous devenus des cités urbanisés et on a construit à l’intérieur des oueds et à l’extérieur. Et comme l’eau reprend toujours son cours, l’on assiste de ce fait à ces inondations. C’est ce qu’on a vu au niveau des communes de Cheraga, Dely Ibrahim, Béni Messous, Ain Benian ou encore Ouled Fayet qui étaient complètement inondées. Le phénomène est général et ne touche pas uniquement ces zones citées.
Que peut-on faire pour gérer le risque des inondations ?
Cette question relève de l’Etat lequel demeure le seul responsable de la situation anarchique qui a amené les citoyens construire avec des permis de construire et un certificat d’urbanisme. Ils ne sont pas hors-la-loi bien que les textes législatifs du 25 décembre 2004 interdisent toute construction sur des sols non- constructibles. Ces sols sont cités dans la loi 04/ 20 alors que des projets et des constructions sont érigés dans ces zones. L’Etat n’a pas respecté cette loi en attribuant des permis de construire.
Est-ce que nous disposons d’une cartographie des zones non constructibles?
Absolument. Nous avons une cartographie précise, que ce soit pour les sols inondables ou pour les failles sismiques qui se trouvent à Alger, notamment dans le nord.
On les connaît de façon très précise mais malheureusement ça n’a pas été respecté. On connaît les sols lâches et les régions traversées par les gazoducs où il est interdit de construire. Toutefois, les pouvoirs publics actuels sont désormais très sensibles à cette question. Pour preuve, le ministre de l’Intérieur a été tellement affecté par les inondations d’Oued Meknassa qui se sont produites en mars dernier et qui ont causé la mort de 15 personnes qu’il a décidé d’organiser une grande conférence sur la gestion de tous les risques majeurs. On s’est pratiquement mobilisé et nous avons proposé une série de recommandations à très court terme, des recommandations à court terme pour la gestion des risques d’inondations et d’autres recommandations à moyen et à long termes. On aurait souhaité que les recommandations à très court termes soient mises en pratiques sur le terrain. On avait demandé la nomination d’un ‘’Monsieur risque’’ au niveau de chaque wilaya et de chaque commune avec une équipe qualifiée. Nous devons profiter du savoir-faire des experts du domaine. Il faut savoir que des milliers d’ingénieurs qualifiés sont formés au niveau de l’université de Bab Ezzouar sans parler des autres universités. Il faut profiter de cette manne de personnes qui sont bien formées pour gérer le risque et non la catastrophe. On doit aller dans l’anticipation des risques pour éviter les catastrophes.
Comment, dans ce cas-là, gérer le risque?
Gérer le risque, c’est d’abord l’atténuer. Il faut connaître le risque pour le prévoir. Ici ; on parle de l’utilité des cartographies précises des petits risques majeurs des séismes, des inondations, des glissement ou des risques industriels urbains pour ensuite superposer ces risques. Delà qu’on fait des expertises par commune. C’est d’ailleurs l’intérêt de mettre en place les spécialistes compétents au niveau de chaque commune et des wilayas. Après l’expertise, on peut quantifier et évaluer les risques par région pour dégager des modèles numériques par quartier, par commune et par wilaya pour pallier aux différents risques majeurs. Ça nous permet de devancer la catastrophe. Moi, en tant que spécialiste, mon but est d’essayer d’attirer l’attention. Je ne suis ni alarmiste ni catastrophique, je suis réaliste. Je calcule et je quantifie le risque. Tout ce que j’ai dit est en train de se produire et si des mesures ne seront pas mises en place, on pourrait assister à des scénarios catastrophiques. En 2001, il y avait environ 400 communes qui étaient menacées de risques majeurs d’inondations, aujourd’hui avec les constructions faites sur des sols non- constructibles dans toutes les wilayas, le nombre de communes dépasse les 850 qui sont menacées.
Peut-on aller vers une gestion efficace des risques majeurs pour éviter les catastrophes ?
A mon avis, pour assurer une gestion efficace des risques majeurs, l’Etat doit se désengager de ce segment. La gestion des risques majeurs est l’affaire d’experts, pas de l’administration. Par tout dans le monde ce dossier est géré par les experts qui s’endossent cette responsabilité. Il faut mettre en place un observatoire national de la gestion des crises qui doit regrouper entre 200 ou 300 experts et des compétences du domaine et qui relèvera directement du président de la République. Par ce que la gestion des risques majeurs ça relève de la sécurité nationale, pas d’un ministère.
K. H.