Le Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi s’est transformé, le temps d’une soirée, en un véritable carrefour du monde. Vendredi soir, les corps venus des quatre coins d’Algérie, du Sénégal et de la République tchèque ont tissé sur scène un poème vivant, mêlant rythmes, silences et éclats d’émotion. Sous les projecteurs finement calibrés, chaque geste, chaque souffle, chaque pause suspendue prenait la densité d’une prière.
Ce deuxième jour du Festival international de danse contemporaine d’Alger a offert au public du Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi, une soirée d’une rare intensité. Sur scène, des artistes venus d’Algérie, du Sénégal et de la République tchèque ont présenté des créations, où le geste devenait récit et la lumière partenaire de jeu. La soirée s’est ouverte avec I Am Placebo, du chorégraphe slovaque Michal Heriban. Seul sur scène, dans un dispositif épuré de lumières signées Kristýna Hauptová et Veronika Malgot, il a capté l’attention du public par une gestuelle précise, alternant mouvements structurés et improvisations.
La pièce, accompagnée de la musique de Jozef Vlk et des costumes sobres d’Andrea Pojezdalová, interrogeait la mémoire, les habitudes inconscientes et la possibilité de se reprogrammer. La salle suivait chaque geste comme une respiration, silencieuse et concentrée. Le plateau s’est ensuite ouvert aux couleurs et à l’énergie du Sénégal avec la Compagnie Artea, dirigée par Marianne Niox. Leur création Lénen, Fénen mettait en scène neuf danseurs formés à Dakar, dans une chorégraphie qui abordait la question sensible de l’émigration clandestine. Les corps racontaient l’attente, la décision de partir, le voyage semé d’embûches et le retour au pays. Entre silences, rythmes et chorégraphies collectives, la pièce adoptait des codes proches de la comédie musicale, pour sensibiliser un public souvent concerné par ce sujet. Les applaudissements nourris et l’ovation debout ont salué cette performance, où énergie et message se rejoignaient.
La programmation offrait ensuite un focus sur les créations algériennes. Hanine, duo interprété par Faiza Ouamane et Sanae, explorait le lien entre une mère et sa fille séparées à la naissance. Sur un plateau resserré et une lumière plus intime, les gestes étaient retenus, précis, presque sculptés, traduisant la distance, la recherche et la douleur du face-à-face. Le public a suivi cette pièce comme on suit un récit intime. Avec le Temps qui passe, une jeune troupe de Tizi Ouzou, soutenue par le centre culturel Mouloud-Mammeri, proposait une méditation chorégraphique sur le passage du temps. Les danseurs formaient et déformaient des cercles, ralentissaient, accéléraient, reprenaient, comme une horloge humaine.
La lumière découpait les silhouettes, soulignant l’impression d’une mécanique vivante. Puis Insan, autre création algérienne, emmenait le public dans l’univers d’un jeune artiste en lutte avec ses rêves et ses obstacles. Sur scène, un peintre réalisait une toile en direct, reflétant les émotions du danseur. Un moment fort a marqué la pièce : danseur et peintre ont joué de la musique ensemble, faisant de cette rencontre une bouffée d’air et d’énergie collective. Les ballons d’hélium attachés au danseur symbolisaient des rêves prêts à s’élever au-delà des contraintes. En filigrane, la soirée montrait la diversité des langages chorégraphiques présents à Alger : solos introspectifs, créations collectives, duos narratifs. Les lumières et les décors accompagnaient les histoires, discrètement mais efficacement, permettant à chaque œuvre d’exister dans son atmosphère propre.
Le Festival international de danse contemporaine d’Alger, qui se poursuit jusqu’au 22 septembre, a confirmé, ce soir-là, son rôle de plateforme, où s’échangent les expériences et se confrontent les regards. Dans le silence, puis les applaudissements nourris du TNA, le public était témoin, en un seul programme, de la richesse des expressions contemporaines et la capacité de la danse à raconter des histoires communes, sans un mot.
S. O.