
En juillet 2020, le président Emmanuel Macron a confié à l’historien Benjamin Stora la mission d’élaborer un rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie, dans l’objectif d’affirmer une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien ancrée sur un «travail de mémoire, de vérité et de réconciliation».
Pour le sociologue Said Bouamama, «l’exigence légitime de reconnaissance de la colonisation comme crime contre l’humanité est ainsi transformée en exigence de repentance».
Le chercheur estime que la question a basculé du champ du politique et de la caractérisation d’une des formes les plus ignobles de l’exploitation à ce qu’il qualifie «de la morale et d’une posture de contrition». «Le peuple algérien a toujours exigé que toute la vérité sur les horreurs de la colonisation soit reconnue».
«On ne peut que se satisfaire de la préconisation de reconnaissance par la France de l’assassinat de Ali Boumendjel, ou de celle d’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, grande figure féminine d’opposition à la guerre d’Algérie. La reconnaissance de quelques assassinats ignobles ne peut être un pas positif qu’à la condition de ne pas servir de prétexte à la négation des dimensions systémique et totale de la violence coloniale, des débuts de la conquête à l’indépendance», estime-t-il.
Le chercheur dira, à propos du rapport de l’historien français que «la logique consistant à reconnaître des bavures, des scandales, des dérives, pour mieux occulter le caractère consubstantiellement violent de la colonisation n’est pas nouvelle. C’est la même logique que nous retrouvons dans la dénonciation des violences de la guerre d’Algérie sur fond d’un silence assourdissant sur les violences de la conquête puis sur celles de 132 ans de colonisation. Benjamin Stora n’échappe pas à cette tendance à découpler la violence d’une séquence (la guerre d’Algérie) de celle de l’ensemble de la période coloniale».
Il explique que Stora «aborde les violences de la conquête et de la colonisation de manière allusive, l’essentiel de son rapport restant centré sur la période de la guerre d’Algérie». Selon Said Bouamama, le rapport minimise l’ampleur des violences de la conquête que d’autres historiens évaluent sur le seul plan des décès et de la disparition d’un quart à un tiers de la population algérienne de 1830 à 1870».
Enfumades et exterminations
absentes du rapport
Rappelant les enfumades, les exterminations de populations, l’horrible famine de 1866-1868, le sociologue note qu’ «elles sont tout simplement absentes d’un rapport censé faire progresser la vérité et la réconciliation. Ces occultations permettent en effet de dissimuler ce que les spécialistes appellent à juste titre le passé génocidaire de la France en Algérie».
M. Bouamama est catégorique : «Le rapport Stora est de fait un recul en comparaison avec les déclarations du président français lors de sa visite en Algérie en février 2017 où il avait assuré qu’il était inadmissible de faire la glorification de la colonisation.»
S’agissant de la problématique de la repentance, le chercheur dira que «les discours sur le refus de la repentance et sur la guerre des mémoires sont en fait une réponse à une autre revendication, bien réelle celle-ci : celle des réparations des crimes contre l’humanité que furent la traite, l’esclavage et la colonisation».
Le sociologue rappelle la Conférence mondiale des Nations unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui s’est tenue en 2001 à Durban, posant un triple principe. Le premier est celui de la reconnaissance du caractère de «crime contre l’humanité» de la traite et de l’esclavage, d’une part, et du caractère condamnable de la colonisation «quels que soient le lieu et l’époque où elles sont advenues», d’autre part. Le deuxième est celui de la reconnaissance des effets systémiques de long terme de l’esclavage et de la colonisation, «les effets et la persistance de ces structures et pratiques ont été parmi les facteurs qui ont contribué à des inégalités sociales et économiques persistantes dans de nombreuses régions du monde aujourd’hui». Le troisième est le principe d’une «réparation» de la part des pays esclavagistes et colonisateurs.
Pour conclure, le sociologue relève que le rapport Stora «met sur le même plan victimes et bourreaux, colonisateurs et colonisés, spoliateurs et spoliés, tortionnaires et suppliciés».
Tahar Kaidi