
Six mois après avoir été chargé de dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, l’historien Benjamin Stora a remis dans son rapport du 20 janvier dernier ses conclusions et recommandations, suscitant diverses critiques en Algérie où il a été reçu froidement par les académiciens et chercheurs en histoire
Pour Mouloud Grine, chercheur en histoire à l’université de Médéa, «le sujet de la mémoire commune est une problématique très complexe qui appelle les efforts concertés des historiens, universitaires, spécialistes du droit et archivistes et même de ceux qui ont vécu à l’époque coloniale ou qui continuent d’en subir les conséquences désastreuses».
«En aucun cas une seule personne ne peut préparer un dossier intégré dans lequel toutes les questions en suspens entre les deux pays sont traitées avec précision avec une vision unidimensionnelle de la problématique de la colonisation en Algérie».
Orientation idéologique et réflexion néocoloniale
Le chercheur estime que «le rapport de Benjamin Stora trahit une orientation idéologique et une réflexion néocoloniale, notamment le traitement des sujets sensibles tels que le dossier des harkis, les pieds noirs et les personnes disparues.
«Considérant que les Archives sont la propriété de la France et liées à sa souveraineté, et que l’Algérie était légalement une province française à l’époque coloniale, l’historien français oublie que l’Algérie a été spoliée par la force et la violence d’une occupation de peuplement oppressive qui a usurpé la souveraineté nationale et tenté en 132 ans de colonisation d’éliminer tout ce qui symbolisait la nation algérienne».
Mouloud Grine indique qu’eu égard aux lois et conventions internationales, les archives appartiennent au pays dans lequel elles ont été écrites et produites, par le biais de ce rapport «la France coloniale tente de se dérober à ces textes internationaux en promulguant des lois de contournement».
Le rapport suggère d’activer le groupe de travail conjoint sur les archives constitué en 2013 et s’est réuni à six reprises jusqu’au 31 mars 2016 ; il devra faire le point sur l’inventaire des archives emmenées par la France et laissées par la France en Algérie. Sur la base de ce travail certaines archives seraient récupérées par l’Algérie et celles laissées en Algérie pourront être consultées par les chercheurs français et algériens. Le comité de pilotage pourrait proposer la constitution d’un premier fonds d’archives commun aux deux pays librement accessible. L’universitaire estime «qu’il est temps d’arrêter le bricolage et d’être sérieux sur cette question pour que les Algériens puissent avoir accès aux archives et les exploiter». Selon notre interlocuteur, «la question des archives ne doit pas être otage de considérations politiques ou diplomatiques, elle doit être une revendication et une aspiration nationale.
L’histoire ne se raconte pas de la même manière à Alger qu’à Paris
L’Algérie ne doit pas tomber dans le piège de la démagogie française quant à la demande d’une restitution intégrale des originaux des archives rapatriées en France après l’indépendance. Ces archives ne se limitent pas aux rapports administratifs et à leur intérêt mais englobent tous les documents usurpés par la France en 1962, surtout les manuscrits qui constituent l’héritage civilisationnel de la nation algérienne».
Par ailleurs, quand bien même le rapport appelle à poursuivre le travail conjoint concernant les essais nucléaires français en Algérie entre 1960 et 1966 et leurs conséquences, ainsi que la pose de mines aux frontières, Stora fait des projections au-delà du réel contexte historique et géographique.
S’agissant de la volonté de construire une mémoire commune, le chercheur constate qu’il s’agit là d’un simple euphémisme destiné à une consommation médiatique pour certains lobbys. «La France, imbue de son histoire coloniale et des vertus du colonialisme, cherche à réconcilier les mémoires des deux côtés de la Méditerranée, mais elle n’offre ni repentance ni excuse au peuple algérien comme le confirment les déclarations de ses officiels. L’histoire de la colonisation et de la Révolution ne se raconte pas de la même façon à Alger qu’à Paris».
Tahar Kaidi