
Par Ahmed Halli
Des citoyennes françaises se disant "filles et femmes" de harkis, et qui se reconnaissent dans le "combat" douteux, sinon honteux, de leurs pères, et maris, récusent le "rapport Stora", dans une tribune. Un rapport qui fait pourtant la part belle aux harkis, et appuie la thèse selon laquelle les supplétifs de l'armée française, recrutés pour combattre les maquisards algériens, ont été des victimes. C'est Le Figaro, dont on connaît les sentiments pour l'Algérie, qui publie la tribune, précisant qu'elle comporte 51 signataires, dont Fatima Besnaci-Lancou et Dalila Kerchouche. Il est intéressant de connaître l'identité de ces dames que le journal présente comme "mères porteuses" de la tribune, qui serait banale s'il n'y avait pas cette tentative de blanchir les harkis. Mais quand ces dames se revendiquent héritières de "la mémoire meurtrie" des leurs, et tentent déjà de leur ériger un monument dans les colonnes d'un journal, il faut réagir. Surtout, lorsqu'au c’est au mépris du respect dû au combat des Françaises, et Français, qui ont dénoncé les méfaits de la colonisation, et ont soutenu la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. Ces dames s'inscrivent davantage dans la "lignée harkie" en s'opposant aussi au transfert des cendres de Gisèle Halimi au Panthéon, amie, et avocate des militants du FLN/ALN. Elles confirment, si besoin était, que leurs actions sont marquées par la nostalgie, et le revanchisme, des suppôts de la colonisation, qui semble leur avoir été transmis par leurs géniteurs. C'est apparemment le seul héritage qu'elles devraient revendiquer, sans être présomptueuses, et sans encourir le risque d'être rangées dans la catégorie des supplétives attardées. Il y a si longtemps, au demeurant, que nous n'avons pas entendu les descendants de cette engeance meurtrière, revendiquer un statut de victimes, voire de héros, pour leurs géniteurs, que nous avons fini par croire qu'ils avaient enfin compris. Car, il y en a qui ont compris, et même depuis leur enfance, de quel côté étaient les chairs, et les âmes violentées, et où se trouvent encore les mémoires meurtries. Ceux-là savent depuis longtemps la réalité violente, et amère, de l'existence de leurs parents, en tant que harkis engagés dans une guerre contre leur propre peuple, à contresens de l'Histoire. Ils sont les plus nombreux, pour ne pas dire la majorité écrasante, à vivre leur vie, à consommer leur part de bonheur, sans faire trop de bruit, car, ils le savent, le bruit réveille les mémoires assoupies. Mais là, c'est un vrai tintamarre qui nous vient de cette autre génération, décidée à revivre l'aventure honteuse des parents, en leur prêtant des vertus que nul ne peut décemment leur reconnaître.
Ainsi donc, Mesdames, si vous voulez vraiment revisiter la "mémoire meurtrie" de vos harkis, comme vous dites, vous devriez aller visiter les villages, et les contrées, où ils ont sévi, et vous en apprendrez plus. Ce village que je veux évoquer ici pourrait être le vôtre, ou celui de votre amie, mais disons que c'est le mien, par commodité, et parce que son cas est semblable à celui de milliers d'autres. Dans mon village aussi, on a eu des harkis, et de toutes sortes, des plus "gentils" qui étaient là parce qu'ils avaient choisi la voie facile, aux pires des salauds, plus haïs que les légionnaires.
Entendons-nous bien, si c'est encore possible : quand je qualifie des harkis, au service de la France, de "gentils", je veux juste dire que nous avions peur d'eux, mais qu'ils n'ont pas fait de mal. Et il y a les crapules, les salauds, qu'il faudra un jour nommer par leurs noms dans les registres de l'infamie, pour l'édification des nouvelles générations, pour qu'elles apprennent, enfin, la vérité. Il y en a qui sont arrivés directement de France, armés et casqués, pour faire la chasse, non pas aux maquisards de l'ALN, mais pour piller, violer les femmes, au mieux les épouser contre leur gré. L'un d'eux, mu par un esprit de vengeance inassouvie, avait même préparé, et organisé son mariage avec une femme, déjà mariée à un moudjahid qui opérait dans la région.
Le projet a échoué, car la "future mariée" échappa à son geôlier, qui avait déjà commis un forfait semblable au détriment d'un émigré, et alla se réfugier dans une famille qui habitait à Alger. Dois-je aussi vous parler du prisonnier, forcé d'assister au viol de sa femme ? Que croyez-vous qu'il aurait dû faire à cet homme s'il était tombé entre ses mains, après le départ de son armée ? Car, voyez-vous, les viols, les exécutions sommaires et la mort lente par la torture, tout cela était dévolu, en priorité, à vos "chers parents", qui étaient encore plus craints et détestés que les soldats français.
Qu'auriez-vous dit si cet Algérien, à la "mémoire meurtrie", avait réussi à atteindre le violeur, et à venger l’outrage ? Ou bien, auriez-vous laissé au seul Benjamin Stora le soin de parler de "cruelle répression". Oui, des populations se souvenant des exactions, et mues par un juste ressentiment contre des proches, meurtriers et prédateurs, ont cédé à un légitime, et compréhensible, désir de vengeance. Ceux dont vous avez choisi la pire espèce, comme frères et alliés, l'ont fait à la libération de la France, sans créer ce mouvement de sympathie que vous cherchez vainement à susciter. Libre à vous de vénérer vos parents, de leur édifier des stèles dans vos têtes, leur élever des mausolées, mais n'essayez pas de le faire sur les ossements de nos martyrs !
A. H.