Ouatmani Settar, professeur d’histoire à l’université de Béjaïa, à El Moudjahid : «De Gaulle a fini par accepter l’appartenance du Sahara à l’Algérie»

Entretien réalisé par Mustapha Laouer

Le professeur Ouatmani Settar, professeur d’histoire à l’université Abderrahmane-Mira de Béjaïa, traite, dans cet entretien, du volet économique dans les négociations des Accords d’Évian. Il souligne, à ce propos, que le négociateur algérien a marqué un point positif dans le chapitre en rapport à la déclaration sur la coopération économique et financière entre l’Algérie et la France. Là, il s’agit des garanties données par la partie algérienne par rapport aux intérêts français en Algérie et sur les acquis des personnes (pieds noirs) ; en contrepartie, la France s’engage à accorder une assistance technique (Formation de cadres algériens, envoi de techniciens…) et à aider financièrement l’Algérie pour une période de trois ans renouvelable. D’autres points traitent des échanges économiques entre les deux pays, avec tous les avantages fiscaux et douaniers, et également de la facilité du transfert d’argent en France et du libre exercice pour les sociétés françaises dans le cadre de leurs activités.

El Moudjahid : Le négociateur algérien a consenti tous les efforts pour garder le Sahara, alors que la France tenait à ce qu’il soit séparé du territoire algérien. Comment expliquez-vous cette victoire de la cause algérienne ?
Ouatmani Settar : Les négociations ont débuté en juin 1960, avec la rencontre de Melun entre Boumendjel et Ben Yahia, d’un côté, et la délégation française, de l’autre. Cette première prise de contact n’a pas abouti, les discussions étaient restées sur des questions de forme. Après un long silence, les pourparlers reprennent officiellement en mai 1961, et c'est là que les Algériens refusent que la France sépare le Sahara de l'Algérie du Nord. Les Français veulent exclure ce dernier point des négociations, comme c’est le cas pour le statut des pieds noirs dans l’Algérie indépendante. Ces deux sujets ont empêché les négociations d’avancer durant plusieurs mois. Je cite particulièrement le pétrole qui est découvert en 1956 et dont la France n’a pas encore tiré un grand profit. De Gaulle finit par accepter, en septembre 1961, cette vérité qui est l'appartenance du Sahara à l'Algérie.

Quelle analyse faites-vous des crimes de l’OAS ?
Les pieds noirs ont toujours imposé leur point de vue aux différents gouvernements français qui se sont succédé à Paris depuis 1830. Cette donne a changé depuis l’arrivée de de Gaulle au pouvoir en 1958. Depuis qu’il a reconnu le droit des Algériens à l’autodétermination, en septembre 1959, les pieds noirs ont commencé à mener une série d’actions pour s’opposer à sa politique : événements des barricades en janvier 1960, les manifestations contre sa visite en Algérie en 1960 et le soutien au coup d’État orchestré en avril 1961. L’OAS a perpétré des attentats contre les Algériens et les personnalités françaises qui soutiennent la cause algérienne. Son action touche également les infrastructures économiques, sociales et culturelles de l’Algérie. En réalité, l’OAS, à travers toute son activité criminelle, voulait stopper le vent de l’histoire. Cette organisation a été la première responsable des malheurs des pieds noirs qui étaient obligés de quitter l’Algérie dans la précipitation entre avril et juin 1962.

Qu’est-ce qui a facilité les négociations ?
À l’exception du premier round des négociations, qui s’est tenu à Melun, la délégation algérienne a toujours été dirigée par Krim Belkacem, qui était évidemment accompagné de cadres du FLN, militaires ou politiques, comme il y avait également les représentants de l’état-major. Ce que nous pouvons dire sur la partie algérienne, c’est qu’elle a privilégié le volet politique. Les négociateurs étaient des hommes politiques et non des experts. C’était même un vrai casse-tête pour les Français qui répètent que les discussions n’avancent pas parce que les délégués algériens ne maîtrisent pas certains aspects techniques et économiques. Sur ce point, les Français oublient souvent qu’à la fin de chaque réunion, lorsque les Algériens rentrent en Suisse pour passer la nuit, ils retrouvent les experts pour faire le point. Pour les Algériens, on ne confie pas le sort d’un pays à un expert. Le chef de la délégation algérienne était le seul historique parmi les neuf qui avaient déclenché la Révolution algérienne à être libre de ses mouvements. Cette légitimité lui confère une autorité de fait.
M. L.

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