
Comment penser l'écriture de l'histoire loin de la collusion avec la sphère politique et quelles responsabilités doivent assumer les historiens pour libérer la recherche «trop longtemps ligotée» par des clivages idéologico-politiques ? La problématique de la mémoire et de l'écriture de l'Histoire demeure au centre des débats des spécialistes et chercheurs de l'université algérienne.
Admettant que «l'écriture de l'Histoire est un exercice épineux et une tâche délicate», l’académicien et membre de l'association algérienne de la mémoire, Mustapha Hilouf, estime qu'il est temps de s'atteler à l'histoire de notre pays, «loin de toutes les querelles idéologiques, politiques et culturelles. Si l'on évoque la période coloniale, il y a de part et d'autre ce ton émotionnel dominant», qu'il n'hésite pas à qualifier de «forme d'angoisse et pressions circonstancielles qui habitent les chercheurs et historiens des deux rives». Il estime que «le ton émotionnel dominant empêche la réflexion objective» et souligne que «plusieurs sujets nécessitent un éclairage dans l'histoire de la Révolution algérienne», car «autant de problématiques restent toujours sans éclairage, notamment lors de la période 1954-1962». Ce qui veut dire, poursuit-il, que «le travail sur l'histoire de la guerre de Libération est encore un terrain en jachère», regrettant que «le terrain est miné aussi par les clivages politiques qui jettent un ombre sur la connaissance historique objective». Le chercheur précise également que «la liberté de la recherche historique permet de rétrécir l'influence de la sphère politique sur les questions de la mémoire et que le vol ou les falsifications de l'histoire auront certainement des conséquences politiques sur les générations futures». «Longtemps, la recherche académique a subi l'influence de l'orientation politique, ce qui n'a pas favorisé l'émergence d'une lecture objective des dates clés de l'histoire de l'Algérie, ni d'une École algérienne de recherche historique». L’universitaire regrette par ailleurs que les médias et les éditeurs mettent l'accent beaucoup plus sur les mémoires personnels de certains acteurs qui, loin de nier leur apport, ont quand même un regard subjectif sur les faits qu'ils ont vécus. «Cela amène à admettre qu'il est maintenant important de relancer les chantiers de l'écritureHde l'histoire, et celle de la Révolution, en élargissant l'espace de la création académique et en facilitant l'accès aux ressources, notamment les archives détenues par la France». Pour l'historien, la mémoire est une «source inépuisable» dans laquelle on peut puiser pour «s'instruire, s'éclairer, creuser et extraire ce qui reste intouchable». Mouloud Grine du centre universitaire de Tipasa considère que les clivages et les sensibilités que certaines vérités historiques soulèvent trouvent leur explication dans l'absence d'un référent académique solide. «Une recherche soumise aux exigences scientifiques rigoureuses permet d'éclairer les zones d'ombre de l'histoire et aide aussi à s'éloigner de l'estime de soi subjective et des interprétations et lectures fragmentées, orientées ou cadrées des faits. Cela permet surtout de faciliter l'écriture honnête de l'histoire». Ce dernier explique que la conscience collective est le fruit du travail de l'intelligentsia et des historiens, surtout ce qu’avaient fait nos ancêtres et ce qu’ils avaient été comme acteurs de l'histoire. «Les historiens restituent ce qui a été fait pour assurer ce que les sociologues appellent la surveillance de l'environnement, c'est à dire regrouper la communauté autour des valeurs et faire de l'histoire ce lieu commun. Les martyrs ont libéré le pays et à présent il faut libérer l'Histoire».
Tahar Kaidi