Mouton de l’Aïd : Quand l’achat devient un art

Ph : Wafa
Ph : Wafa

L’Aïd approche à grands pas, et avec lui, le grand moment pour des milliers de familles algériennes en quête du mouton à sacrifier. Sur de vastes espaces aménagés en bordure de routes ou dans des enclos montés à la hâte aux abords des villes, les points de vente se multiplient.

On observe, on compare, on négocie. Chacun cherche à faire le bon choix, selon ses exigences, mais surtout en fonction de ses moyens.
Sur des terrains vagues, plusieurs centaines de moutons attachés ou regroupés derrière des barrières de fortune, broutent ce qu’ils peuvent. Une odeur mêlée de foin, de poussière et de bête sature l’air. Les voix se mélangent entre celles des vendeurs, qui interpellent ; celles des familles, qui négocient, évaluent, hésitent. Des enfants courent de partout, des mères inspectent, des pères demandent le poids. Dans ces marché à ciel ouvert, l’achat du mouton prend des allures de rite : on regarde, on jauge, on discute… et parfois, on repart bredouille.
Sur le terrain, les pratiques varient, les méthodes aussi. Loin des circuits classiques, la vente et l’achat du mouton est une affaire de flair, de contacts, d’habitude, voire de stratégie.
Dans de nombreux points de vente, la scène se répète d’un vendeur à un autre. L’acheteur s’approche, repère un mouton, et lance la fameuse question devenue un réflexe : «Combien on vous a donné pour celui-là ?».
Dans ces marchés improvisés, les mots comptent, mais les gestes encore plus. Le vendeur reste attentif à tout : un regard insistant, une main qui s’attarde sur le dos du mouton, un soupir discret…
Une question qui lui permet d’évaluer la fourchette de prix avant d’engager la négociation. Le vendeur ne répond jamais directement. Il hausse les épaules, esquisse un sourire, puis finit par lâcher un montant de départ, généralement flou : «On m’a proposé 95 000 DA…, mais je ne l’ai pas libéré». Autrement dit, ce prix ne lui convient pas et il attend une offre plus élevée.
À partir de ce montant, le vendeur fixe ses attentes et invite l’acheteur à proposer un prix supérieur pour conclure la vente. Le tarif final se construit donc au fil de la discussion, prenant en compte la qualité de l’animal, le profil de l’acheteur et l’ambiance générale du marché.
Les prix actuellement observés tournent le plus souvent entre 90 000 et 140 000 DA, mais très peu sont annoncés d’emblée. C’est le regard qui jauge, la parole qui teste, l’insistance qui décide. Rien n’est arrêté, tout se joue sur place.
Un cas plus étonnant, parfois déconcertant pour l’acheteur. Dans certains points de vente improvisés, les vendeurs refusent de fixer le prix au motif que le marché n’a pas encore trouvé son rythme. Les vendeurs expliquent souvent qu’ils ne peuvent pas encore se prononcer, le temps, disent-ils, de prendre la température du marché, de voir comment les choses évoluent autour d’eux. Il ne s’agit pas d’une réelle incertitude, mais plutôt d’une attente prudente, presque instinctive pour ne pas risquer de vendre trop tôt, trop bas.
Et pourtant, cette incertitude n’empêche pas certains d’inviter le client à choisir son mouton dès maintenant, à le marquer ou le réserver, avec la promesse qu’il l’attendra. Mais sans garantie sur le prix.
Dans bien des cas, l’acheteur repart dans l’espoir de revenir pour retrouver le mouton de son choix et connaître enfin le prix final de celui qu’il a repéré. C’est un drôle d’équilibre : ni tout à fait un engagement, ni tout à fait une vente, mais une forme de confiance implicite, dictée par la tension du moment et par l’espoir, de part et d’autre, de ne pas passer à côté de l’occasion.
Certains optent pour une approche plus directe : ils réservent leurs moutons plusieurs mois avant l’Aïd, directement chez un éleveur de leur région.
À l’opposé des allées bruyantes et parfois désordonnées des marchés à ciel ouvert, certains optent pour une approche plus directe, plus rassurante. C’est le cas de ceux qui ne veulent pas prendre de risques. Chaque année, ils réservent leurs moutons plusieurs mois avant l’Aïd, directement chez un éleveur de leur région. Ce sont des habitués, souvent des clients fidèles, qui savent à qui ils s’adressent et ce qu’ils achètent. Ils viennent repérer l’animal, versent un acompte, puis reviennent quelques jours avant le sacrifice pour régler le reste. Pas de marchandage de dernière minute, pas de surprise. Un système rodé, basé sur la confiance, l’habitude et une relation de proximité.
Multiples sont les méthodes mobilisées pour convaincre… ou se laisser convaincre. Des gestes maîtrisés aux arguments bien rodés, chacun joue sa carte. Mais au cœur de chaque transaction, il y a deux regards qui ne se croisent pas toujours pour différentes raisons. D’un côté, l’acheteur, parfois sous pression, soucieux d’observer la sunna du sacrifice, malgré des moyens limités. De l’autre, le vendeur, qui voit dans cette période un moment attendu, l’occasion de rentabiliser des mois d’efforts et d’élevage. Entre les deux, tout un éventail de pratiques : des achats anticipés chez un éleveur de confiance, aux discussions longues et incertaines dans les marchés improvisés, en passant par les compromis de dernière minute et les réservations verbales. Au fond, chacun cherche simplement à faire au mieux. Et au-delà des différentes pratiques, ce moment conserve toute sa profondeur et son importance, symbolisant un attachement sincère à un rituel qui dépasse largement le simple acte d’achat.

K. H.

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