Le forum de la mémoire d’El Moudjahid rend Hommage au Dr Saïd Chibane : un homme au parcours exceptionnel

Ph.:T-Rouabah
Ph.:T-Rouabah

Dans le cadre du Forum de la mémoire, l’association Machaâl Echahid et le quotidien El Moudjahid ont rendu, hier, un vibrant hommage au Dr Saïd Chibane, à l’occasion du 3e anniversaire de sa disparition et du centenaire de sa naissance.

Ouvrant les débats, le président-directeur général d'El Moudjahid, Brahim Takheroubte, a dressé le portrait d’un homme « d’une stature exceptionnelle », capable, dit-il, « d’unir le savoir, le militantisme, la spiritualité et une profonde modestie ». Un équilibre rare qui, selon lui, a profondément marqué tous ceux qui ont croisé son chemin. Revenant sur ses origines, il a rappelé que le parcours de ce moudjahid et homme de savoir avait débuté à M’Chedallah, dans la wilaya de Bouira, avant de se poursuivre au lycée de Ben Aknoun, à Alger. « Un lieu décisif dans sa vie », a-t-il noté. C’est là, en effet, que se révèle sa double vocation ; celle du chercheur et celle du patriote. C’est aussi là qu’il avait rencontré des figures majeures du mouvement national tels Hocine Aït Ahmed, Omar Oussedik, Laïmèche ou encore Idir Aït Amrane. Des rencontres fondatrices qui ont façonné, selon M. Takheroubte, l’esprit de celui qui deviendra « l’un des intellectuels les plus respectés de notre pays ». Prenant la parole, le recteur de Djamaa El Djazaïr a ensuite évoqué une relation « tissée depuis des décennies » avec la famille Chibane et la zaouïa coranique de Chorfa, toujours à Bouira, un lien spirituel qui remonte aux années 1960. Cheikh Mohamed Maâmoun Al Kacimi Al Hoceini se souvient d’une collaboration étroite au début des années 1970, lorsqu’il dirigeait la Direction de l’orientation religieuse du ministère. « Durant le mois de Ramadhan, Saïd Chibane était un pilier. On le retrouvait à la télévision, à la radio, dans la presse… C’était un guide intellectuel et spirituel. Il était un homme exceptionnel qui alliait sciences médicales et islamiques. Surnommé le médecin des pauvres, il était un homme généreux et humble, ophtalmologue de profession, dont la porte était toujours ouverte à tous les patients », a-t-il témoigné. Pour le recteur de Djamaa El Djazaïr, qualifier le défunt de « chercheur de savoir » n’est pas un hommage, mais une vérité vécue. Il incarnait, selon lui, cette quête de connaissance qui accompagne l’homme du berceau jusqu’à la tombe. Il rapporte également comment, à partir d’une simple suggestion de Chibane, naquit l’idée d’un vaste projet de la ‘‘Fondation de la Mosquée’’ visant à redonner à la mosquée toutes ses fonctions éducatives, religieuses, culturelles et sociales. « Il voulait faire de la mosquée un acteur vivant de son environnement », a-t-il relevé. Auteur des mémoires du défunt, Fayçal Bakhouche a tenu à rappeler la profonde humanité de l’homme qu’il a accompagné dans cette aventure d’écriture et raconté que le projet n’est pas né d’une démarche réfléchie, mais d’un instant de vérité. « Lors d’une commémoration dédiée à Hocine Aït Ahmed, organisée par El Moudjahid, Chibane, alors simple auditeur, s’est levé pour rectifier certains faits historiques. C’est ce jour-là que j’ai compris qu’il portait en lui un véritable trésor de mémoire », a-t-il confié. « D’abord réticent par humilité, répétant ‘‘Que puis-je ajouter après ceux qui m’ont précédé ?’’, Chibane finit par accepter une semaine plus tard. Ce revirement révélait une volonté profonde, à savoir transmettre aux nouvelles générations ce qu’il avait vécu, vu et compris », a assuré Bakhouche qui relève l’importance capitale des mémoires dans l’écriture de l’histoire. « Elles racontent un parcours individuel, mais elles éclairent aussi la conscience d’une génération. Elles contiennent des confidences, des rencontres, des détails que l’on ne trouvera jamais dans les archives. L’itinéraire du défunt traverse toutes les étapes de la lutte nationale. Pendant la Révolution, il collectait des fonds pour l’Association des Oulémas. Plus tard, à l’université, il reversait son salaire à la faculté et refusait même une indemnité, demandant qu’elle serve plutôt à acheter des livres pour les étudiants. » Cofondateur de l’Union des étudiants musulmans algériens au Luxembourg, médecin engagé à l’hôpital ‘‘Bab Saadoun’’ de Tunis, il est ensuite envoyé en mission en Algérie par Benyoucef Benkhedda. « Au maquis, il joue un rôle essentiel au sein des structures sanitaires », a-t-il signalé. Après l’indépendance, il est témoin direct d’épisodes majeurs, notamment les troubles de 1963 en Kabylie et le décès du président Houari Boumediène. Même que, une fois retraité, il n’a jamais cessé d’agir : il est retourné enseigner et a continué à servir. À travers ces récits croisés se dessine le portrait d’un homme entièrement dévoué au savoir, à la foi et à la nation. Le professeur Saïd Chibane s’est éteint le 4 décembre 2022 et repose dans le cimetière de son village natal, à Chorfa, laissant derrière lui un héritage durable de savoir, de générosité et de service à la communauté.

R. B.

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ILS ONT DIT :

Dr Nafis Karim Chibane, fils du moudjahid Saïd Chibane : «un médecin brillant, un homme humble»

«Mon père était un médecin de grand talent, toujours prêt à répondre aux sollicitations scientifiques, culturelles ou religieuses. Au-delà de ses compétences remarquables, il était d’une grande humilité qui le caractérisait, une qualité qui était visible dans tout ce qu’il faisait. Il avait une autre facette que peu de gens connaissent, son attachement profond au saint Coran. Il collectait les traductions des récitations du Coran et les révisait dans différentes langues. Il lui arrivait même de corriger personnellement les versions en français et en anglais. Mon père accordait une importance à la rigueur linguistique et à la fidélité du sens. Il avait cet engagement dès son enfance, l’a développé dans le mouvement scout où il a forgé son sens du service, de la discipline et de l’esprit collectif. C’était un homme profondément humain. Nous sommes fiers de son parcours, et nous espérons qu’il restera un exemple non seulement pour nous, sa famille, mais aussi pour toute la jeunesse algérienne.»

Aïssa Kasmi, Moudjahid et historien : «il croyait en la mission de l’intellectuel»

Le Dr. Chibane avait des qualités exceptionnelles qui le distinguaient des autres. Il était d’une humilité touchante, d’un altruisme profond, d’une générosité sans limite et d’une tolérance rare. Il possédait une bonté naturelle, un désintéressement total et un dévouement constant au service du bien public. Il était de ceux dont la position élève, et non de ceux qui s’en vantent ou en tirent orgueil. C’est un homme généreux et magnanime, versé dans les sciences et la médecine islamiques, connu comme le ‘‘médecin des pauvres’’. Le défunt appartenait à une génération qui croyait en la mission de l’intellectuel et en la responsabilité du chercheur envers la société. Il a consacré ses connaissances et son expertise scientifique au service de la nation, à la préservation de l’identité arabo-islamique et à la promotion du progrès et du développement. »

Noufel Chibane, neveu de Saïd Chibane : «un homme d’exception»

Lors de la cérémonie, un message du neveu du défunt, Noufel Chibane, a été lu à l’assistance par son représentant. Dans cette lettre empreinte d’émotion, la famille a tenu à exprimer sa gratitude et à rappeler l’héritage laissé par le Professeur Saïd Chibane. « Je suis heureux de m’adresser à vous au nom de toute la famille Chibane », écrit-il, saluant la mémoire d’un homme qui fut, pour les siens, « un modèle de dévouement et de service à la nation ». Le message rappelle le rôle majeur du défunt dans le secteur de la santé, où il a contribué aux réformes et œuvré sans relâche pour bâtir un système médical « plus efficace », guidé par une vision scientifique et un engagement « constant ». La famille souligne également son influence dans le domaine religieux, où il a laissé « une empreinte indélébile » en promouvant la modération, les valeurs éthiques et une compréhension apaisée de la religion, orientée vers la conscience et la mesure. « Votre initiative d’aujourd’hui est un geste noble », conclut Noufel Chibane, exprimant la reconnaissance de la famille envers ceux qui perpétuent le souvenir d’un homme qui a tant donné à son pays.

Propos recueillis par : Radja Benhameurlaïne

 

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