Forum de la mémoire d’El Moudjahid – Les médias révolutionnaires face à la propagande coloniale : vibrant hommage à M’hamed Yazid

Ph.:T-Rouabah
Ph.:T-Rouabah

Un hommage a été rendu à M’hamed Yazid, génie de la communication du GPRA, avec une réflexion sur le rôle stratégique de l’information face à la propagande coloniale.

À l’occasion de la Journée nationale de la presse, célébrée le 22 octobre, l’association Machaal Chahid et le quotidien El Moudjahid ont organisé, hier, dans le cadre du Forum de la Mémoire, une conférence autour du thème : ‘‘Les médias révolutionnaires face à la propagande coloniale’’.

L’occasion pour rendre un hommage appuyé à l’une des grandes figures de l’information et de la communication révolutionnaire : M’hamed Yazid, ancien ministre de l’Information du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), à l’occasion du 22e anniversaire de sa disparition. Dans son allocution d’ouverture, le PDG du journal El Moudjahid a tenu à saluer la mémoire de celui qu’il a qualifié, avec émotion, de génie de la communication. « Je ne sais pas pourquoi, mais c’est la première chose qui me vient à l’esprit quand j’entends son nom », a déclaré Brahim Takheroubte, évoquant la capacité ‘‘hors pair’’ du défunt à manier les outils de communication comme de véritables armes face à la propagande coloniale française. Il a rappelé, dès les premières heures de la guerre de Libération nationale, que la presse avait été mobilisée comme un levier stratégique. « Elle n’était pas un simple vecteur d’information, mais bel et bien une force de combat idéologique et politique, portée par des figures majeures du FLN tels Abane Ramdane, Abdelhafid Boussouf, Réda Malek et M’hamed Yazid.

Des centaines de communiqués, des conférences de presse, des campagnes diplomatiques, mais aussi le théâtre, le sport et la culture ont été mis à contribution pour contrer une machine médiatique coloniale bien rodée, déterminée à défigurer la cause algérienne. » Né à Blida en 1923, M’hamed Yazid a fait ses premiers pas militants dès le collège (actuel lycée Ibn Rochd), aux côtés d’autres jeunes qui allaient former l’un des noyaux actifs de la future élite politique, médiatique et diplomatique du pays. Sur le plan international, son rôle fut tout aussi central ; présent à Bandung en 1955 avec Hocine Aït Ahmed, il a participé activement à la création du premier réseau de lobbying algérien à l’ONU, en partenariat avec Abdelkader Chanderli. En 1958, M’hamed Yazid est nommé ministre de l’Information et porte-parole officiel du GPRA. « Il avait la conviction profonde que la guerre d’indépendance ne pouvait être gagnée sans une bataille médiatique parallèle. Il fallait faire entendre la voix de l’Algérie combattante au monde entier, et particulièrement en Occident.

On a peut-être beaucoup dit sur M’hamed Yazid, mais on n’a rien dit », a conclu le PDG d’El Moudjahid, appelant à un « véritable » travail de mémoire, académique et historique pour mettre en lumière le parcours « extraordinaire » mais « encore méconnu » de ce grand militant. Il a également rappelé une phrase chère du regretté Réda Malek, directeur d’El Moudjahid entre 1957 et 1962, à propos de la communication lorsqu’il avait dit que ‘‘Le FLN a expérimenté avec intensité le dicton ; seule la vérité révolutionnaire suffit. Nul besoin de masquer la réalité, car elle est à nous’’. De son côté, Kherfia Djoudi, enseignante à l’École nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information, a mis en avant le rôle « crucial » des médias révolutionnaires dans le combat contre la désinformation coloniale. « Ils étaient une arme équivalente au fusil. La guerre d’indépendance ne fut pas uniquement armée, mais aussi intellectuelle, culturelle et identitaire », a-t-elle soutenu avec force. Elle a adressé un panorama des outils médiatiques utilisés pendant la guerre (communiqués, tracts, journaux clandestins) mais aussi productions culturelles et actions diplomatiques et relevé que les médias révolutionnaires ont permis de « déconstruire le mythe » d’une “France invincible” et de mobiliser à la fois la population et la sympathie internationale.

Parmi ces outils, l’universitaire a cité le journal El Moudjahid qui occupe une place particulière. Fondé en juin 1956, après la conférence de la Soummam, il devient le porte-parole officiel du FLN. Ses éditoriaux, a-t-elle rappelé, étaient repris par des grands journaux comme Le Monde pour suivre la position algérienne sur les affaires internationales. Elle a ensuite évoqué la puissance de la radio clandestine, en particulier des émissions diffusées depuis Le Caire, Tunis, Damas, Bagdad et Tripoli.

« Ces canaux alternatifs ont permis de briser le mur du silence médiatique imposé par les autorités coloniales et de faire entendre la voix des maquis à l’échelle arabe et internationale. A l’exemple de la voix du journaliste Aïssa Messaoudi qui exerçait une grande influence sur le moral des Algériens », a-t-elle noté. A cet effet, l’intervenante a tenue a salué le travail du ministère de l’Information du GPRA, dirigé par M’hamed Yazid, qui avait su structurer une « véritable stratégie médiatique » tels la création de départements spécialisés dans le cinéma, la photographie, la communication, la production de documentaires comme Notre Algérie, et ouverture de bureaux de presse dans plusieurs capitales. De Beyrouth à Tripoli, en passant par Djeddah, Le Caire, Damas et des capitales européennes, ‘‘La voix de l’Algérie libre’’ s’organisait et s’exportait, avec un message clair : l’indépendance était légitime, juste, inévitable. Par ailleurs, le Dr. Djoudi a insisté sur la nécessité de transmettre cet héritage aux nouvelles générations. Les médias révolutionnaires, a-t-elle rappelé, n’étaient pas seulement un outil conjoncturel, mais un pilier fondamental de la conscience nationale.

« La Révolution algérienne a su allier la lutte armée à une créativité médiatique sans précédent. Parfois, la liberté d’expression peut être plus puissante que les balles », a-t-elle conclu.

La guerre d’indépendance ne fut pas uniquement armée, mais aussi intellectuelle, culturelle et identitaire.

R. B. 

----------------------------------------------------------

Aïssa Kasmi, Moudjahid et historien : «Les médias révolutionnaires aussi redoutables que le fusil»

Le moudjahid Aïssa Kasmi est revenu sur le rôle stratégique qu’ont joué les médias durant la guerre de Libération nationale, les qualifiant de véritable pilier de l’arsenal du FLN et de l’Armée de libération nationale (ALN). « Les médias révolutionnaires ont été bien plus que de simples vecteurs d’information. Ils ont représenté une arme à part entière, complémentaire du fusil, dans une bataille acharnée contre la propagande coloniale française, dont l’objectif était de déformer l’image de la révolution et de présenter les combattants algériens comme de simples rebelles isolés », a-t-il expliqué, affirmant que les autorités coloniales ont construit un récit destiné à convaincre l’opinion publique, en France et à l’étranger, que les Algériens étaient attachés à la France, et que la rébellion n’était qu’un épiphénomène. Et d’ajouter : « Ils affirmaient même qu’elle pouvait être écrasée en un quart d’heure. Face à ce discours réducteur et mensonger, le FLN et l’ALN ont très tôt pris conscience de l’importance du contre-récit. Dès le déclenchement de la Révolution, en 1954, les médias ont été intégrés à la stratégie globale du combat libérateur, mobilisés sur tous les fronts, du local à l’international ». Kasmi a rappelé que les six wilayas historiques ne disposaient pas de structures médiatiques officielles, mais elles produisaient des bulletins secrets, des tracts, des journaux en arabe et en français, destinés à deux publics cibles : le peuple algérien qu’on devait mobiliser et sensibiliser et l’opinion publique internationale, à convaincre de la légitimité du combat algérien. A ses yeux, les médias révolutionnaires ne se résumaient pas à quelques journalistes ou rédacteurs. « C’était un effort collectif. Même cette vieille femme d’un village reculé, quand elle parle de la Révolution, quand elle bénit les moudjahidine, elle fait des médias révolutionnaires à sa manière », a-t-il observé. Évoquant les grandes figures de la communication durant la Révolution, il a salué la mémoire de M’hamed Yazid, le premier ministre de l’Information du GPRA. « Je lui ai un jour demandé : Quel était le secret du succès médiatique du FLN ? Il m’a répondu : Le secret est simple. Quand nous étions à New York, en pleine conférence de presse, ou face à une délégation, nous entendions, dans nos têtes, l’écho de la poudre à canon dans les montagnes du Djurdjura. Cet écho, c’était notre carburant. Il nous donnait la force de défendre l’Algérie », a-t-il témoigné.

R. B.

Sur le même thème

Multimedia