
Entretien réalisé par : Kamélia Hadjib
L’expert agricole, Laâla Boukhalfa, souligne que plusieurs éléments prouvent que l’agriculture en Algérie a réussi. Selon lui, la disponibilité des produits agricoles, la qualité et la stabilité des prix, ainsi que l’élargissement des superficies cultivées, notamment dans les wilayas du Sud, en sont des preuves tangibles. Ces progrès, a-t-il précisé, témoignent du chemin parcouru et de l’objectif ambitieux d’atteindre l’autosuffisance alimentaire à l’horizon 2025, fixé par le président de la République, désormais à portée de main.
El Moudjahid : Les dernières précipitations ont été particulièrement abondantes. Peuvent-elles être considérées comme bénéfiques dans l’ensemble, ou risquent-elles au contraire d’avoir des effets négatifs sur certaines cultures ?
Laâla Boukhalfa : C’est une très bonne question, car si la pluie est indispensable à l’agriculture, elle peut, dans certains cas, devenir un facteur de risque si elle survient de manière excessive ou inadaptée à certaines cultures. Il faut donc nuancer. De prime abord, on pourrait dire que la pluie est bénéfique pour toutes les cultures, puisqu’elle constitue une source naturelle d’irrigation. Toutefois, selon le type de culture, le stade de développement des plantes, le sol et la région, une pluie excessive peut aussi entraîner des dégâts. Cependant, ce que nous avons constaté cette année, c’est que, contrairement aux années précédentes où les pluies étaient souvent irrégulières et localisées, cette saison a été marquée par des précipitations généralisées sur l’ensemble du territoire national, ce qui constitue une véritable aubaine pour l’agriculture.
Cette abondance d’eau a permis le remplissage significatif de nos retenues hydrauliques. Aujourd’hui, l’Algérie compte 86 barrages en activité, avec un volume de remplissage qui atteint jusqu’à 8 milliards de mètres cubes. Cela nous offre une marge de sécurité très appréciable, tant pour l’irrigation des grandes superficies agricoles que pour le renouvellement des ressources hydriques naturelles, notamment les nappes phréatiques.
Mais, il faut toutefois, prendre en compte la nature des sols, des cultures et des périodes de semis ou de récolte. Dans certains cas, les pluies peuvent endommager des productions : par exemple, lorsqu’elles surviennent en période de récolte, ou sur des cultures sensibles à l’excès d’humidité, cela peut provoquer des pertes. Il est donc essentiel de mettre en place des systèmes de drainage et de réagir rapidement en cas d’inondations localisées, afin d’évacuer l’eau et de protéger les cultures. Autre point important : on ne peut pas laisser une récolte dans un champ détrempé, au risque de perdre tout le rendement. C’est pour cela que nous insistons aussi sur l’amélioration du stockage et sur la logistique post-récolte. L’agriculture moderne doit intégrer ces paramètres climatiques pour gérer les aléas et préserver la production. En résumé, oui, ces pluies ont été largement bénéfiques, mais elles exigent aussi une vigilance technique, selon le type de culture, la région et le calendrier agricole.
Comment évaluez-vous la saison agricole 2024-2025 ? Qu’est-ce qui, selon vous, la caractérise par rapport aux précédentes campagnes ?
Je qualifie cette saison de véritablement exceptionnelle, une saison que l’Algérie n’a jamais connue depuis l’indépendance. C’est le terrain qui le prouve ; l’agriculture est en bonne voie. Le constat est clair : tous les produits alimentaires agricoles, fruits et légumes, sont disponibles, aussi bien en termes de qualité que de prix, lesquels sont devenus accessibles pour les consommateurs. Tous ces éléments prouvent que l’agriculture a bien réussi en Algérie. Tous les moyens nécessaires ont été mis à la disposition des agriculteurs : les semences, les engrais, l’encadrement technique… L’État a joué pleinement son rôle pour soutenir les exploitants dans cette phase cruciale. En conséquence, les perspectives de récolte pour cette année sont très positives, et nous sommes en bonne voie pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, un objectif ambitieux fixé par le président de la République à l’horizon 2025.
On observe un intérêt croissant des investisseurs étrangers pour l’agriculture algérienne. Que pouvez-vous nous dire sur cette dynamique ?
Il y a, en effet, un engouement international croissant pour l’agriculture en Algérie, et cela ne se limite plus à des intentions. Des partenariats structurants ont déjà été concrétisés, à commencer par le méga projet entre l’Algérie et le Qatar. Ce projet couvre une superficie de 117.000 ha et comprend plusieurs composantes : des fermes dédiées à la production de fourrages, des unités d’élevage de vaches, de production de lait et de viande, ainsi qu’une usine de fabrication de lait en poudre. D’autres projets sont également en cours de concrétisation, à l’instar du partenariat avec la société italienne BF et avec des opérateurs turcs. Cela confirme que plusieurs pays s’intéressent sérieusement à l’agriculture en Algérie. Nous assistons à un démarrage exceptionnel d’une nouvelle ère de coopération et d’investissement dans le secteur.
Le développement agricole au Sud semble lui aussi connaître une accélération. Qu’en est-il ?
C’est une autre révolution. Par le passé, l’agriculture dans le Sud était limitée aux oasis, notamment à El Oued et Biskra. Aujourd’hui, la réalité est tout autre. Toutes les wilayas du Sud s’impliquent désormais dans l’agriculture, à l’image d’Adrar, Timimoun ou El Menia. Ces régions, autrefois considérées comme marginales sur le plan agricole, sont devenues des zones de production majeures, capables de fournir des volumes importants, à des prix abordables, tout en respectant des standards de qualité. Cela a un impact direct sur l’approvisionnement des marchés nationaux, mais ouvre aussi des perspectives d’exportation. C’est pourquoi je n’hésite pas à dire que l’Algérie peut devenir un pôle agricole par excellence, non seulement pour satisfaire ses propres besoins, mais aussi pour s’ouvrir aux marchés extérieurs.
Vous semblez optimiste quant à l’avenir du secteur…, un dernier mot à ce propos ?
Oui, tout à fait. Tous les indicateurs sont au vert : la mobilisation des moyens de production, l’intérêt des partenaires étrangers, le développement du Sud, la disponibilité et l’accessibilité des produits agricoles… Tout cela prouve que l’agriculture a changé de cap en Algérie. Aujourd’hui, nous pouvons compter sur notre agriculture pour assurer notre sécurité alimentaire.
K. H.