Ismaël Sacko, Ex-collaborateur de l’ancien Président malien, Ibrahim Boubacar Keita, à El Moudjahid : «La junte de Bamako souhaitait s’offrir une nouvelle virginité»

Le Mali multiplie les propos belliqueux et les attitudes provocatrices envers l’Algérie, mettant en péril les relations historiques et de bon voisinage. Pour nous éclairer sur les raisons d’une telle posture qui laisse présager de grands dangers, El Moudjahid s’est entretenu avec Ismaël Sacko, président du parti dissous PSDA, ancien collaborateur de l’ancien Président malien, Ibrahim Boubacar Keita, et coordinateur de la coalition Sahel démocratie. À cet effet, il a brossé un tableau noir sur les pratiques, mais également sur les intentions douteuses de la junte au pouvoir dans son pays.

El Moudjahid : L'Algérie partage avec le Mali des liens historiques, géographiques et de sang. Pourquoi une telle agressivité de Bamako à l'égard d'Alger ?

Ismaël Sacko : Les putschistes de Bamako ont adopté une posture agressive vis-à-vis d’Alger parce qu’ils se sentent isolés. Le général Goïta n’a pas apprécié l’asile fraternel qu’Alger a accordé à son hôte, notre très respecté imam Mahmoud Dicko. La junte refuse, par ailleurs, d’assumer son échec sécuritaire et ses erreurs diplomatiques. Cette dernière fait mine d’oublier avoir torpillé le processus de paix au Mali, et ce, en sortant unilatéralement des accords d’Alger de 2015, signés à Bamako. Enfin, les putschistes pensaient pouvoir intimider Alger, avec l’intrusion du drone en territoire algérien, et profiter de cette agression pour faire oublier les vrais problèmes des Maliens. La junte voulait jouer sur la fibre patriotique et souhaitait s’offrir une nouvelle virginité. Ce qui n’a pas fonctionné, les Maliens n’ont pas joué le jeu.

Selon de nombreux experts, les putschistes seraient instrumentalisés. Autant par des puissances extérieures au continent que par le Maroc. Votre avis à ce propos ? Le Sahel est-il, par ailleurs, en train de basculer vers le pire ?

Je ne suis pas convaincu que des puissances étrangères aient pu manipuler le dictateur Assimi Goïta. La junte a son propre agenda. Elle souhaite garder le pouvoir et se refuse d’aller aux élections. Pour elle, le retour à l’ordre constitutionnel n’est pas d’actualité, pour la simple raison qu’elle ne dispose plus du soutien des Maliens. Aujourd’hui plus que jamais, elle est au summum de son impopularité. Le Sahel vit des moments graves. La junte a réussi à exporter les putschs dans la région et, par ricochet, à déstabiliser le Sahel. Ils ont échoué à protéger notre pays face aux terroristes du JNIM et de la Katiba Macina, qui ont pignon sur rue sur les 80% du territoire, ce qui constitue un danger pour la sécurité au Sahel. En outre, l’insécurité et l’instabilité chronique favorise la fuite des capitaux et des investisseurs, avec comme conséquence directe, l’augmentation du chômage et de la pauvreté, ainsi que le recrutement de jeunes Maliens désœuvrés par ces groupes terroristes.

À Ménaka, Tombouctou et dans d’autres localités, la colère gronde entre pénuries, attaques terroristes et perte de contrôle de pans entiers de territoires par la junte. Devant une telle situation chaotique que peut faire l'opposition pour remédier à la situation ?

Face à la pénurie de denrées alimentaires dans les régions du Nord du Mali, notamment à Menaka, Gao et Tombouctou, l’opposition politique et tout citoyen épris de justice, ainsi que du bien-être des populations, déplorent cette situation. La junte est seule responsable des désagréments causés à notre peuple, abandonné à son sort par le régime tortionnaire qui ne pense qu’à son confort uniquement. Nous lançons un appel à la solidarité africaine et internationale pour ravitailler les régions touchées. Aussi, nous demandons aux forces vives maliennes de l’intérieur et de la diaspora à travailler pour activer la désobéissance et exiger le départ d’Assimi Goïta.

Transition indéterminée, suspension des partis politiques et atteintes à la liberté d'expression, autant de caractéristiques marquant le développement de la situation. Quelle lecture en faites-vous ?

Le Parti social démocrate du Mali (PSDA), que je préside, a été dissous en mars 2023, il est toujours en procès contre l’État malien. Le Parti Solidarité africaine pour la démocratie et l'indépendance (SADI), du Dr Oumar Mariko, est aussi sous le coup d’une décision de dissolution, bien qu’il ait gagné son procès. Les mouvements et plateformes politiques, à l’instar de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l'imam Mahmoud Dicko (CMAS) et l’appel du 20 février ont été dissouts. Il s’agit là d’un recul flagrant des principes démocratiques. Au début du mois d’avril, le régime de Bamako a fait part de sa décision de dissoudre l’ensemble des partis, en violation flagrante de la Constitution. Le bâillonnement du peuple malien, l’absence des libertés fondamentales et de l’État de droit constituent le talon d’Achille de ce régime. Nous assistons clairement aux suppressions des voies dissonantes et à l’arrestation de journalistes. La division n’aide pas à la cohésion et à l’unité nationale. C’est la raison pour laquelle nous lançons un appel pressant aux Maliens et à la communauté internationale pour accompagner les acteurs porteurs d’espoir, qui constituent une alternative crédible au marasme que vit notre patrie. Notre objectif est de remplacer la junte de Goïta par une transition citoyenne et civile, afin de rebâtir le Mali avec tous ses enfants. Nous y travaillons et nous y arriverons.

Un mot pour conclure…

J’appelle à la paix et au dialogue entre le Mali et l’Algérie. L’ONU et des pays amis comme l’Afrique du Sud, le Sénégal ou la Chine pourraient jouer le rôle de médiateur. Les peuples malien et algérien sont frères et nous nous devons de consolider nos liens séculaires pour bâtir ensemble une Afrique forte et prospère.

S. K.

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