Forum de la mémoire d’El Moudjahid - Il y a 170 ans, les massacres de Laghouat : Quand la barbarie est planifiée
Ph. : Wafa
Le quotidien El Moudjahid, en coordination avec l’association Machaâl Echahid, a organisé, hier, une conférence consacrée aux massacres de Laghouat, animée par l’avocate Fatma-Zohra Benbraham et le docteur Amar Mansouri.
La conférencière a privilégié l’approche juridique pour traiter d’un crime monstrueux perpétré par les troupes coloniales françaises contre une population civile sans armes. Une armée conventionnelle, dotée de tout son arsenal de guerre, placée sous les ordres du général Aimable Pélissier, a commis, en 1852, une atrocité qui restera gravée dans notre histoire.
C’est un véritable génocide car il s’agit de l’élimination méthodique d’un groupe humain en piétinant les lois de la guerre et les conventions internationales, planifié par les plus hautes autorités coloniales, insiste l’intervenante. «La France ne veut pas reconnaître cette forfaiture parce qu’elle redoute d’être accusée d’avoir commis un crime contre l’humanité.» L’intervenante a évoqué l’usage, pour la première fois, de l’armement chimique, à savoir des obus chargés de chloroforme, un composant toxique létal dont l’inhalation provoque une forte inflammation des poumons et la mort par asphyxie, une expérimentation faite sur des êtres humains.
Un bombardement de la ville a été exécuté sous la conduite des généraux Pélissier, Puscaren et consorts contre les résistants menés par le valeureux Bennacer Benchohra, un disciple et combattant de l’Emir Abdelkader, participant à ses combats jusqu’en 1847. C’était un dirigeant charismatique de la résistance populaire dont il faut rapatrier les restes en Algérie sur la terre de ses ancêtres.
Le paroxysme de la sauvagerie
La cruauté avait atteint son comble quand des femmes, des vieillards et des enfants encore vivants, ont été mis dans des sacs et achevés impitoyablement par étouffement. Les colonialistes étaient convaincus que cette expérience chimique allait provoquer la mort de nombreuses personnes, à moindre coût. Tout le problème était de lancer des gaz et de laisser mourir les gens. Ce sont plus de 2.500 morts, soit les trois quarts de la population de la cité, qui ont été décimés à Laghouat de façon inhumaine. C’est une ville morte qui a fait l’objet d’un siège méthodique pour affamer, assoiffer, humilier…
La conférencière a mis l’accent sur l’inégalité des forces et des moyens mobilisés par la soldatesque française face à des résistants très faiblement armés. Elle a réfuté le terme de bataille qui est, étymologiquement parlant, un affrontement entre deux armées ou deux belligérants.
Agresser, annexer et exterminer
Juridiquement, l’armée française est une armée d’agression qui a commencé par le nord du pays, puis ce fut le tour des territoires du Sud. L’objectif était d’exterminer la population. Laghouat en est l’illustration parfaite. Malheureusement, elle ne fut pas la seule. Le recours à une telle barbarie, selon Benbraham, demeure pour l’armée coloniale, la seule manière de faire plier Laghouat, une ville-forteresse ceinte de remparts de tous côtés. Poursuivant son approche juridique, elle a précisé qu’un massacre est une destruction physique par les armes et le feu, d’une population raciale, ethnique et religieuse. C’est encore le cas dans la tragédie innommable qui a accablé la cité martyre de Laghouat. Le plus surprenant est que ce massacre est glorifié comme un acte de bravoure par une certaine historiographie française.
Des cobayes humains en guise d’expérimentation
Les habitants de Laghouat étaient considérés comme des cobayes, selon Dr Ammar Mansouri, chercheur en génie nucléaire. L'agression s’est soldée par plusieurs jours de massacres pour punir la population insurgée. «Le traitement brutal des habitants de la ville faisait partie de la tactique de la terre brûlée menée par l'armée française.» Ce colonialisme a commis de multiples crimes contre le peuple algérien. Parmi ces crimes, explique-t-il, figure l'utilisation d'armes interdites au niveau international. La France a utilisé ce produit chimique pendant la phase d'invasion de Laghouat. Son usage s'est répandu pendant la lutte de libération et à grande échelle.
Ces crimes restent méconnus à cause du fameux prétexte «Secret Défense». La France se cache derrière ce prétexte pour éviter les accusations et les scandales sur son passé qui regorge de multiples violations des lois internationales et des droits de l'homme. «Les opérations militaires ne s'étaient pas seulement limitées aux combats mais à des actes de barbarie et de violences extrêmes envers les civils sans armes: éventration des femmes, égorgement des vieux et des bébés. Les soldats ont saccagé les jardins, coupé les palmiers, pillé les maisons, brûlé les métiers à tisser, vidé les silos de blé et d'orge, laissant les survivants dans la misère, selon le témoignage de l'écrivain et peintre Eugène Fromentin.»
Kafia Ait Allouache et M. Bouraib
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Statistiques macabres
Ces crimes ont causé des pertes humaines et matérielles : 2.500 à 3.000 morts, 42 résistants brûlés vifs, des hommes et des enfants capturés furent mis dans des sacs de jute et jetés dans des tranchées, des centaines de cadavres jetés dans des puits… Le conférencier a cité plusieurs témoignages de responsables français, dénonçant ces actes barbares, dont celui du général François Charles du Barail, lieutenant-colonel appelé au commandement supérieur du cercle de Laghouat. La commémoration de ces évènements est une opportunité pour se pencher sur ce lourd héritage colonial, les tragédies, les souffrances et les ravages infligés au peuple algérien comme l'attestent les nombreux témoignages et documents. «Ces crimes coloniaux dépassent les entendements et l’imaginaire», fait-il observer, citant, outre les explosions nucléaires et autres essais chimiques et biologiques, les mines antipersonnel. «La contamination des populations sahariennes par les explosions nucléaires françaises n’est plus à démontrer. Des décennies après, la radioactivité continue de tuer et de causer des malformations congénitales parmi les nouveau-nés à Reggane (Adrar) comme à In M’guel (Tamanrasset)», s'indigne celui qui se penche, depuis des années, sur le dossier du nucléaire français au Sahara algérien.
K. A. A. et M. B.
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Ils ont dit :
Moussa Boudehane, universitaire, spécialiste en droit constitutionnel :«Poursuivre la France en justice»
«La France a commis des crimes contre l’humanité durant la période coloniale. Le président Macron a reconnu finalement que son pays a commis des crimes de guerre. Les historiens sont appelés à coordonner les actions afin de préparer les documents historiques et les supports juridiques permettant de poursuivre la France en justice pour ses actes criminels.»
Merzak Ramki, ex-Commissaire à l’énergie atomique : «Mettre la pression sur le gouvernement français» «Nous avons fait une étude sur les crimes commis par la France en Algérie. Il n’y a pas que le génocide de Laghouat , d’autres ont été commis. Il faut mettre la France devant ses responsabilités, notamment sur le plan juridique. Nous avons de la matière en ce qui concerne ce génocide. Nous pouvons aussi demander à la France de déclarer, conformément aux articles de la convention, les armes chimiques qu’elle a utilisées sur notre territoire et de nous fournir des renseignements. Pour cela, il faut que le gouvernement français reconnaisse les crimes qu’il a commis.»
«Ne rougissez pas de vouloir la Lune. Il nous la faut !» Cette phrase trouve tout son sens dans les 265.000 km de fibre optique réalisés par l’Algérie, une distance qui se rapproche de celle qui nous sépare de la Lune.