Forum de la mémoire d’El Moudjahid - Chouhada sans sépultures : L’autre crime de la France coloniale

Ph. : B.B
Ph. : B.B

De nombreux militants de la lutte de Libération, disparus sans la moindre trace, ont été séquestrés, torturés et exécutés individuellement ou collectivement. Ces chouhada ont aussi été jetés à la mer, dans les vallées et dans les forêts, ou bien enterrés dans des fosses communes inconnues. À nos jours, le nombre exact de ces valeureux combattants n’est pas établi avec précision, bien qu’il soit extrêmement élevé, selon plusieurs sources historiques concordantes.

La France coloniale maintient toujours, une espèce de chape de plomb, cultive le secret et oppose une fin de non recevoir à tous ceux qui, désireux de retrouver les traces de leurs proches, pères, victimes de ce traitement hideux. 
C’est un douloureux dossier qui a été traité hier, par le quotidien El Moudjahid, dans le cadre de son forum de la mémoire. Boualem Chérifi, ancien moudjahid, a, non sans émotion, déclaré que cette question mérite des études, incitant les chercheurs et les médias à chercher les raisons qui ont poussé les colonialistes à dissimuler la vérité, à cacher les dépouilles de ces militants.
Il cite Cheikh Larbi Tebessi, homme de foi, engagé dans l’enseignement et l’éducation des jeunes, membre de l’association des Oulémas, enlevé le 4 avril 1957, porté disparu. Proche compagnon d’Abdelhamid Ben Badis, sa tombe n’est pas identifiée. Cheikh Abdelkrim Aggoune est un autre chahid, imam et enseignant à la mosquée Athaoura, à El Mouradia, enlevé à son domicile, personne ne sait où il est mort. 
Hamid Didouche, frère du martyr Didouche Mourad, est un moudjahid et responsable, arrêté et porté disparu, malgré toutes les actions entreprises pour retrouver sa trace. Kessouli Mohamed Saïd, mort sous la torture, où a-t-il enterré ? Mystère. Hamou Boutlélis, un militant de la première heure, arrêté, jugé en 1950. A sa libération de la prison d’El Harrach, après avoir purgé une peine de sept ans de détention, il fut enlevé et assassiné. 
Othmane Khodja, dans son livre Le miroir, a indiqué qu’à la veille de la colonisation de l’Algérie, il y avait 10 millions d’habitants. 
1830-1962 : qu’est-il advenu des millions de Chouhada ? S’est-il demandé avec une pointe d’amertume. Des tribus entières ont été exterminées, dans le but de vider l’Algérie de ses habitants et de les remplacer par une colonie de peuplement, a-t-il conclu. 
 
Martyrs d’Aïn Benian, un exemple de dévouement 
 
Abdelkrim Lounis, fils d’Ahmed Lounis, un disparu, a décliné toute la peine qui l’habite quand il parle de son père tant il se désole encore de sa disparition. «Quand j’ai pris conscience de ce qui s’était passé, j’ai alors compris que ceux qui sont tombés au champ d’honneur, ont contribué à la libération de notre pays.»
«J’ai contacté une enseignante universitaire, fille du maire de Guyotville (actuellement Ain Benian). Elle a cherché à savoir quel fut le sort rFservé aux 17 martyrs d’Ain Benian. On les a jetés à la mer, lui a-t-on rétorqué.» Ces 17 personnes étaient ciblées par les autorités avant 1954. C’était des jeunes gagnés par l’enthousiasme de servir la cause, à s’y investir sans retenue au sein de la Zone autonome. Il y aurait plus de 120.000 disparus entre janvier 1957 et fin décembre de la même année, les recherches ne sont pas encore entreprises et la matière pour écrire l’histoire fait défaut, a-t-il dit. 
 
 Décoloniser l’histoire
 
Aissa Kasmi, ancien moudjahid, cadre de la police en retraite, a insisté sur la préservation de la mémoire et sur l’utilité d’arracher notre histoire, 
des griffes de l’ancien colonisateur. Il faut se garder d’oublier et en cette occurrence, Mohamed Chérif Sahli, a écrit ceci : «Comment être fier d’un pays sans mémoire, les grands hommes ont existé et existent encore, et doivent avoir une place de choix dans nos cœurs et dans nos pensées, honorons-les, en les faisant connaitre et renaître à notre jeunesse, à notre peuple afin qu’ils soient fiers d’être Algériens.»
Aissa Kasmi a évoqué le sort infligé à Cheikh Larbi Tebessi, brûlé vif et jeté à la mer, Hamou Boutlélis, lui aussi torturé et jeté à la mer, Zeddour Brahim Belkacem, il fut enlevé, torturé et jeté à la mer, Salah Bouakouir, selon Dahou Ould Kablia, était un militant qui a participé à la révolution, fut également tué et jeté à la mer. Les Algériens d’Ain Benian qui ont fait preuve de nationalisme étaient fichés, ils ont contribué à l’effort de lutte en cotisant, transportant des armes, et combattu au sein de la Wilaya IV, dans le cadre de la Zone autonome d’Alger. 
Sur les 17 martyrs d’Ain Benian, il dira qu’ils furent conduits au lieu-dit Salaison, puis «liquidés». Le conférencier a indiqué, à propos des disparus, et selon certains historiens, que leur nombre pourrait être de 200.000. 
En conclusion, il a plaidé pour la création dans chaque APC, d’une commission chargée de faire le recensement de tous ses martyrs. 
 
M. B. 
 
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Ils ont dit :

Ismaïl Mira, fils du chahid Abderrahmane Mira :
«Mon père était un exemple de courage»

«L’armée a mis tout le paquet pour arrêter mon père qui était chef de la wilaya III historique dans la région. Ce dernier sait que les Français vont lui faire du mal car était un exemple de courage et de loyauté. Non seulement c’était un commandant hors pair, mais il n’hésitait pas à braver le danger, en se portant toujours aux avant-postes pour prêter main forte à un djoundi se trouvant en mauvaise posture, il a déjoué tous les plans et tous les pièges tendus par l’armée coloniale et ses supplétifs, il fut emmenés par le tristement célèbre général Belounis, la dépouille reste toujours introuvable.Une autre figure illustre de la guerre de Libération nationale fait de nouveau parler d’elle, en s’ajoutant à la liste, déjà longue, des moudjahidine tombés au champ d’honneur et dont on n’a toujours pas réussi à localiser, à ce jour, l’endroit où ils ont été inhumés. Notre souhait que les autorités nous aident à trouver notre père qui était parmi les grands symboles qui ont écrit l’histoire de l’Algérie.»

Ahcene Osmani, scénariste, réalisateur et producteur de films :
«La préservation de la mémoire nationale est l’une des priorités du président de la République»

«Je remercie le journal El Moudjahid et Machaâl Echahid qui nous ont fait un énorme plaisir, celui de préserver la mémoire de nos chouhada.
Nos héros ont beaucoup donnés pour que notre pays soit libre et digne. Il est important que des chouhada doivent avoir des tombes. A ce titre, le président de la République a fait de la question de la préservation de la mémoire une priorité dans son programme d’action.
Il s’agit d’un projet politique qui vient consacrer les valeurs et les principes pour lesquels un million et demi de martyrs se sont sacrifiés. «Nous devons veiller à ce que notre mémoire nationale soit préservée et protégée des tromperies des haineux quant à la victoire de l’Algérie indépendante et souveraine.»
La mémoire du patriotisme algérien est très riche et a besoin d’exploration, de recherche et d’attention pour la mettre en valeur».

Tahar Hocine, moudjahid :
«Le colonialisme a fait des ravages»

«De nombreux chouhada n’ont pas de dépouille. C’est un sujet qui fatigue les familles des disparus. A titre d’exemple, le 18/12/1956, l’Organisation de l’Algérie Française, considéré comme la grande mère de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), est une organisation terroriste clandestine française proche de l'extrême droite créée le 11 février 1961 pour la défense de la présence française en Algérie par tous les moyens, y compris le terrorisme à grande échelle.
D’ailleurs, ils ont arrêté Mohamed Bougara, ils l’ont ramené à Boudouaou et l’ont jeté dans les eaux usées. La plupart des chouhada n’ont pas de tombe à cause de ces actes criminels.»

Propos recueillis par Zine Eddine Gharbi

 

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