
Par Rachid Lourdjane
Et si on osait cette question à deux dinars : qu’y a-t-il de plus important que la ressource humaine comme force motrice d’une société organisée ? La question, qui trouve toute sa résonnance dans l’actualité, invite sérieusement à une profonde réflexion pour évaluer l’apport de nombreux jeunes seniors utiles comme force de travail démise de ses fonctions. La retraite ne rime pas toujours avec la déchéance physique et intellectuelle. Loin de là. Il importe de fédérer les générations pour un transfert du savoir utile et dans l’objectif d’avancer.
Parfois nous regrettons l’enseignement de la philosophie, cette matière de lycée qui, contrairement aux idées reçues, n’est pas ce truc sans importance dont on entend parler vaguement. Surtout quand l’objet d’étude touche le monde réel. La philosophie, c’est cette matière qui permet de mettre de l’ordre dans la tête et de se poser les bonnes questions.
Nos regards conditionnés par une modernité de prêt-à- porter fixent arbitrairement les richesses que la nature nous a données généreusement. De ce point de vue, sommes-nous si différents de l’homme du Capsien qui vivait d’escargots dans la banlieue de Tébessa au VIIIe millénaire avant JC ? La dévaluation du capital humain, toutes générations confondues, peut nous faire encourir le risque de passer à côté de valeurs essentielles pour notre présent et devenir. De très nombreux cadres de la nation dans des secteurs stratégiques, je pèse mes mots, se retrouvent au placard à la retraite, socialement inutiles, du jour au lendemain, parce que la vision bureaucratique et la façon de penser — ou de ne pas penser — font que des hommes et des femmes, dans la plénitude de leur force physique et intellectuelle, sont brutalement rétrogradés comme des encombrants. Un scandale économique et social qui passe sous silence. Et comme pour mieux neutraliser cette gigantesque ressource humaine, nos lois maniaques sur les âges en ajoutent une couche quand un employeur veut puiser dans cette réserve.
En effet, le recyclage dans la vie active n’est pas interdit par la loi. Mais trop onéreux pour les opérateurs économiques qui veulent recruter des seniors pour leur expertise. Ainsi, la charge salariale est alourdie par un taux excessif aux alentours de 35 pour cent du salaire brut au profit exclusif de la Sécurité sociale. Alors que les impôts, moins hostiles sur cette section, se limitent à l’imposition de l’IRG.
Cette coupe financière ne présente, du reste, aucun bénéfice pour l’employé. C’est juste une manifestation de la brutalité bureaucratique à l’encontre d’un employé dont la position de retraité lui confère un ‘‘statut’’ d’hostilité. Cette procédure, sortie d’on ne sait quel cerveau, achève d’exclure des centaines de milliers de gens riches de leurs expériences sur le terrain parmi lesquels d’anciens hauts cadres de la nation détenteurs d’expertises. Les exemples de non-reconnaissance, voire de mauvais traitement à l’encontre de nos anciens cadres alimentent l’essentiel de la rumeur et sont trop nombreux pour être ignorés à tous les échelons de la gouvernance.
Pour la gestion du facteur humain, le droit à l’erreur ou l’arbitraire n’est pas permis, en ce sens que les dégâts psychologiques considérables s’inscrivent dans la durée.
Ils sont universitaires, anciens ministres, cadres de l’armée et spécialistes dans des panoplies de métiers divers, parfois pointus. Isolés, recalés dans une oisiveté imposée, ils réapprennent à jouer aux dominos. Ils s’enferment quelquefois, ils lisent, ils dépriment, passant leur temps devant l’écran, espérant un appel salutaire, une proposition pour reprendre du service et quitter l’antichambre de la mort sociale. Certains d’entre eux vont trouver refuge à l’étranger où ils sont accueillis comme une bénédiction. Dans la déperdition et l’hémorragie du capital humain, le cas algérien est sans doute une rareté. Dans les pays de l’hémisphère nord, le traitement réservé aux séniors va dans une direction de valorisation et d’intégration des capacités. Dans l’Algérie nouvelle, telle que définie par le Président Abdelmadjid Tebboune, ce mépris à l’encontre d’une frange importante de notre élite n’a plus sa place au sein de notre gouvernance. La question mérite d’ interpeller les pouvoirs publics dans le cadre d’une réflexion à hauteur de certaines institutions, comme le CNES, pour réhabiliter cette force de travail à haute valeur ajoutée.
R. L.