ESCALE : L’Apollon de Gaza

Par Rachid Lourdjane

lCe n’est pas un conte des Mille et une Nuits, combien même il en a l’air. Il s’agit d’une histoire réelle où Apollon, l’une des plus fameuses divinités grecques des temps anciens, apparaît au peule de Ghaza comme un don du ciel. Un vrai miracle qui va, un temps, briser le blocus de Gaza par une remontée en surface après des siècles d’immersion. C’est l’incroyable aventure vécue par Djoudat Gharab, jeune pêcheur palestinien de 26 ans, qui, au cours de cette matinée d’août 2013, voit ses filets accrochés par le fond à quelques dizaines de mètres des rivages sous étroite surveillance ennemie. C’était la fin du mois de Ramadhan. Il faisait chaud. Pour ce pêcheur bredouille et déçu, il ne restait plus qu’à assurer le sauvetage des filets, seul moyen de subsistance, puisque rien ne sert à fustiger l’infortune quand elle s’acharne. Pas de poisson et rien à offrir à sa mère qui l’attend pour garnir la table du mois le plus béni en cette veille de Nuit du Destin, où tout croyant s’attend au miracle.
À la première plongée, Djoudat aperçoit ses filets mêlés à un énorme machin métallique couvert d’algues. Aidé par des cousins, il remonte une statue de 1m70, qu’il traîne vers la plage. On saura plus tard que c’est un Apollon entier coulé dans le bronze. Il s’agit d’une découverte archéologique majeure d’une valeur exceptionnelle, connue aujourd’hui dans le monde des Antiquités sous le nom de «l’Apollon de Ghaza».
La prodigieuse pêche est accueillie sous le toit de la modeste demeure de Djoudat Gharab, posée sur un matelas mousse et couvert d’une couverture imprimée de personnages des Schtroumpfs.
L’encombrante statue dont la présence heurte un peu les sentiments religieux de la dame de maison sera ensuite déposée chez un cousin bijoutier. Elle sera mise en vente aux enchères sur Ebay. L’annonce est accompagnée de deux photos. Le vendeur anonyme demandait l’équivalent de 350.000 euros avec la mention «N’assure pas la livraison». Immédiatement, c’est l’onde de choc qui traverse le monde des Antiquités pris de passion pour cette œuvre qui, sous réserve d’expertise, dépasserait le plafond des 250 millions d’euros. Alerté le jour même, l’ambassadeur de la Palestine auprès du siège de l’UNESCO à Paris publie un flag ; «l’Apollon de Ghaza est une propriété du peuple palestinien». Donc invendable. L’annonce est retirée en moins de 24 heures.
À Ghaza, les choses se précipitent. Le ministère des Antiquités délègue Hoyem El-Batr, une archéologue palestinienne, pour une expertise. Elle prend une série de photos et conclut à l’authenticité de la découverte. Pour des raisons de sécurité, Hamas, qui mesure l’importance de l’affaire, s’empare de la statue, craignant une intervention de l’ennemi ou une disparition au profit de l’avidité des nombreux marchands d’art. L’enthousiasme s’empare des spécialistes du monde entier pris de passion pour cet Apollon sauvé des eaux, comme la légendaire histoire de Moïse, par un pêcheur palestinien.
Les scientifiques du British Muséum et du Musée du Louvres répondent à l’appel de Hamas, pour l’expertise et la restauration de l’œuvre. Mais c’est le désenchantement. Les gouvernements français et britannique opposent leur veto au motif que Hamas, détenteur du trésor, est classé comme un groupement terroriste par les USA et les pays de l’Union européenne. Mahmoud Abbas, oui. Hamas, pas question. Aussi, toute coopération autour de cette découverte majeure est interdite. Le veto cachait la menace de la destruction au motif clair que cette antiquité serait une entorse au blocus. Il n’empêche que de nombreux journalistes occidentaux indépendants feront le voyage à Ghaza dans l’espoir de voir cette statue. À défaut de voir l’objet de convoitise planétaire, il découvrent l’autre face du peuple de Ghaza. Un monde différent de ce que les médias imprégnés des approches sionistes martèlent à travers leurs chaînes de télévision. Un jeune cinéaste suisse, Nicolas Wadimoff, consacra un film à l’événement, avec un regard empathique et émouvant sur le peuple de Ghaza. Pour les Israéliens, l’Apollon de Ghaza surgit comme un ambassadeur du fin fond de l’histoire, pour soutenir la résistance palestinienne. Il faut donc le faire disparaître à jamais. Hamas prend ses devants. L’Apollon sera enfoui dans le jardin privé d’une maison appartenant à une famille ghazaouie. Mais, au cours des bombardements israéliens de 2014, la maison est rasée. La famille est entièrement décimée. L’aviation s’acharne sur les ruines. L’antique objet sera endommagé est décapité par les tirs ciblés. L’Apollon de Ghaza et remis à l’abris en un lieu secret. Et, depuis, ce don de la mer a quitté les espaces médiatiques. J’avais découvert cette affaire à travers une courte information parue sur la Toile aux débuts de l’année 2014. Ce qui m’avait inspiré pour un article de quelques lignes à caractère de simple curiosité archéologique dans un environnement soumis au blocus et à la guerre d’extermination approuvée par les puissances soumises au diktat d’Israël. Cette vision a pris une autre dimension.

R. L.

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