ESCALE : Conduire n’est pas un jeu

  • Par Rachid Lourdjane

Quand les conducteurs ne font pas le lien entre l’infraction et la sanction, la route devient dangereuse. Ce rapport entre la commission de la faute et sa conséquence financière fait toute la différence «culturelle» entre les quatre grands blocs de la planète classés par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) en fonction de leur mortalité routière par nombre d’habitants. Le classement va du vert pâle (Australie, Union Européenne) qui stagnent à 2 pour 100.000, au rouge foncé ; l’Inde et l’Afrique subsaharienne qui galopent à 65 morts pour 100.000 habitants. L’Algérie, avec un taux de «seulement» 25 par 100.000 habitants se trouve dans la zone orange. Comment faire mieux, ou comment remonter au niveau des pays les moins à risque ? Ces classés «Vert» ont réussi ce pari en inscrivant la sécurité routière dans leur programme politique avec des figures audacieuses qui se positionnent comme défenseurs du piéton contre les affronts des automobilistes et motocyclistes en milieu urbain et sur les routes. Le relatif désordre routier que nous observons tire son origine de nombreux facteurs et notamment de la non-conformité des lois sur les grands chapitres retenus par l’OMS, à savoir la vitesse, la conduite en état d’ivresse, la ceinture de sécurité, le port du casque, le dispositif de retenue pour enfant et l’usage du téléphone au volant. Sur l’ensemble de ces points essentiels, nous accusons des retards, y compris pour la ceinture de sécurité qui n’est toujours pas obligatoire pour les passagers à l’arrière du véhicule. Un laxisme intolérable avec des préjudices en vies humaines et une dépense à la charge du Trésor public estimée à 100 milliards de DA en 2005. Il importe donc de regarder du côté de la loi et de son application ainsi qu’au fonctionnement de la surveillance routière et non au «facteur humain» comme on se plaît à le répéter depuis plus d’un demi-siècle. L’ancrage têtu de la dissuasion par le retrait du permis de conduire et les barrages fixes n’ont pas d’effets. Ils sont largement décriés et lourds de conséquences sur le plan des dépenses publiques. Nous comptabilisons des centaines de commissions de retrait de permis impliquant un nombre astronomique d’heures de travail rémunérées et des pertes de temps pour des résultats insignifiants sur la réalité du terrain. Et comme dans la préhistoire de l’automobile, nos assureurs ne font pas de distinction entre les bons et les mauvais conducteurs. En 2014 déjà, elles remboursaient 54 milliards de DA. Cette injustice s’aggrave. Le système de bonus/malus en vigueur partout dans le monde intervient comme un bon facteur dissuasif. Nos assurances font la sourde oreille en mettant tout le monde dans le même sac, endossant ainsi une lourde responsabilité dans le désordre et la délinquance routière. Dans les pays classés «Vert», la grande majorité des conducteurs roule avec une certaine appréhension tant que «l’honnêteté commence par la crainte du gendarme» quand toute infraction implique une sanction financière avec tolérance zéro. C’est dire que l’administration de la sécurité routière relève d’une gouvernance à la hauteur des risques avec des moyens techniques modernes que n’avons pas, certes, mais qu’on peut compenser par une nouvelle politique routière, en commençant par les centres urbains, y imposer une vitesse limitée à 50 km à l’heure, respecter la signalisation aux abords des écoles et des lieux fréquentés. Le constat endémique du nombre élevé d’accidents n’est pas forcément le fait du conducteur, aussi mauvais soit-il, mais à la permissivité et au vide autoritaire. Un lourd dossier dont le traitement exige, dès aujourd’hui, des instruments de gestion et un encadrement par des lois à la mesure des nouveaux paramètres liés à la croissance très rapide du parc automobile national qui comptait déjà en 2018 près de 7 millions de véhicules immatriculés sur un réseau routier de près de double trois voies sans péages et des tarifs dérisoires des prix du carburant. C’est dans ce décor que s’invite l’opération portant sur la prévention des accidents de la route à la promenade des Sablettes à Alger sous le signe d’un «Ramadhan sans deuils» dans une ambiance festive. Sans vouloir pousser l’ironie, les chauffards seraient donc priés de se retenir un peu. Plus que deux semaines à tenir avant l’Aïd El Fitr pour se relâcher à nouveau. En bref, quand la sécurité routière veut faire de la pédagogie souriante, elle quitte le champ de la loi et sa rigueur. L’ordre dans la route ne se gère pas dans la tolérance et la convivialité. L’art de bien se conduire au volant relève du travail des associations. Voire des médias spécialisés. Cette énième campagne sur un sujet qui fait beaucoup de mal a tout de même le mérite de relancer le débat sur nos méthodes qui n’arrivent pas à s’élever au niveau de la gravité du problème.

R.L..

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