Chronique de Mohamed Bouraïb : Main basse sur l’agroalimentaire

Un fait est sûr. Les géants de l’agroalimentaire persistent à vouloir dicter leurs lois fondées sur les surprofits. Les grands perdants sont les ouvriers agricoles et les petits paysans du Sud, qui sont le plus souvent victimes de la faim. L’industrialisation croissante menace de plus en plus les écosystèmes.
Pis encore, les multinationales veulent faire croire qu’elles sont la solution à la pauvreté, au changement climatique, aux problèmes qu’elles ont elles-mêmes créés ou au moins fortement aggravés, affirment des spécialistes. Elles se réinventent perpétuellement pour imposer leurs fausses solutions et empêcher l’adoption de toute mesure qui viendrait contraindre leurs activités, de les mettre sous contrôle, ou menacerait leurs profits. Elles ont réussi à imposer leur logique aux gouvernements et bénéficient d’une véritable architecture mondiale de l’impunité.
Au niveau international, alors que plus de 3.400 traités de commerce et d’investissement protègent leurs profits, aucun traité ne les soumet au respect des droits humains et l’environnement. Exemple parmi tant d’autres : la firme américaine Cargill, un mastodonte mondiale, détentrice d’un chiffre d’affaires mirobolant, dépassant les 100 milliards de dollars. Elle a amassé sa fortune sur la production, la vente et la distribution de maïs sur la planète. A l’origine de l’industrialisation de l’agriculture, elle est pointée du doigt comme un acteur majeur de la crise alimentaire mondiale en 2008 du fait de la spéculation sur les matières premières.
« Ils sont en train de s’emparer de toutes les plantes qui existent sur la planète ! » s’indigne-t-on, non sans inquiétude. « Ils », ce sont les industriels semenciers. Monsanto, Pioneer, Syngenta. Une poignée qui contrôle le marché de la semence… et l’avenir de l’agriculture.
Tel Christophe Colomb découvrant l’Amérique, la compagnie Syngenta « trouve » un poivron jamaïcain résistant à un parasite. En laboratoire, grâce au marquage moléculaire, les chercheurs parviennent à identifier la séquence génétique qui permet à la plante de survivre aux attaques de l’insecte... et la brevettent. Problème : nombre de paysans cultivent déjà des poivrons résistants. Comble d’ironie, Syngenta pourrait demander de payer des droits de licence, explique Emilie Lapprand, juriste pour le Réseau Semences paysannes. « Ils disent, cette plante résiste à tel insecte, j’ai trouvé la séquence génétique qui lui permet de faire ça, toutes les plantes qui résistent à cet insecte m’appartiennent donc, résume Guy Kastler.
C’est la rançon à payer, rubis sur ongle, au modèle de l’agrobusiness qui cherche non pas à nourrir les populations mais à réaliser des gains démesurés. L’orthodoxie économique, en cours en ce bas monde, entraîne une transformation des aliments en marchandises qui sont soumises à la volonté d’un nombre réduit de sociétés transnationales qui contrôlent largement le marché des céréales, formant un oligopole, et augmentent en permanence leurs dividendes sur le dos des populations.
Moralité de l’histoire. Il faut mettre un terme à la mainmise des multinationales sur la gouvernance alimentaire.

M. B.

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