
Depuis l'invention du cinématographe, les créateurs n'ont eu de cesse de filmer, de recréer l'histoire. Qu'ils expriment de manière consensuelle une interprétation historique largement acceptée ou qu'ils réinterprètent les événements dans une perspective polémique, qu'ils le fassent à travers une approche documentaire ou fictionnelle, les films historiques offrent plusieurs possibilités aux cinéastes qui souhaitent revisiter le passé, récent ou lointain.
Malgré le dédain affiché par un certain public érudit, pour qui ces films sont inexacts et déforment le passé, banalisent et romancent les personnages, les événements, ces productions cinématographiques continuent de fasciner les foules.
L'histoire au cinéma est devenue une force, comme l'histoire au théâtre a pu l'être, avec les œuvres de Shakespeare, ou encore sous sa forme romanesque, avec Tolstoï ou Dumas, avant qu'existe le cinéma.
Mais son omniprésence et sa popularité n’impliquent pas forcément qu’il est le moyen privilégié d’apprendre l’histoire, où qu’il fasse l’économie de controverses. Loin s’en faut.
Dernière polémique en date. L’acteur afro-américain Denzel Washington est pressenti pour incarner Hannibal, le célèbre général carthaginois, dans une production de la plateforme californienne Netflix. Ce choix n'a pas plu à tout le monde.
Des Tunisiens ont lancé une pétition en ligne contre Netflix. «Ils [Netflix] veulent réécrire l’histoire avec de fausses informations sans aucune preuve et tenteront sans aucun doute de faire taire toute personne instruite qui voudrait la corriger.»
«Déformation de l’histoire», «afro-centrisme», «blackwashing» terme désignant le fait de confier à des acteurs noirs des rôles de personnages historiques ou fictifs qui ne sont pas noirs dans la réalité ou l’œuvre d’origine.
Le journal tunisien La Presse a publié un article affirmant que le choix d’un acteur noir représentait une «erreur historique».
Toutes les études du génotype maghrébin montrent une présence prépondérante des caractères méditerranéens ou berbères et de très faibles traces africaines», écrit un médecin biologiste. D’autres crient à l’afrocentrisme, dénonçant une volonté de Netflix de plaire à son public afro-américain.
Denzel Washington n’est pas un Amazigh maghrébin, s’insurge une internaute dans un long post. «Pourquoi cet Antoine Fuqua [le réalisateur] n’a-t-il pas essayé de recruter au moins l’acteur international Saïd Taghmaoui pour ce rôle ?»
Mary Lefkowitz, spécialiste éminente en histoire ancienne, souligne qu’Hannibal venait d’une famille élite de Carthage.
On rappelle que Netflix s'est déjà attiré les foudres du public avec une Cléopâtre noire pour sa série documentaire. Sa mémoire est sujette à débat, non pas pour ses escapades politiques et romantiques, mais pour sa couleur de peau.
Le ministère égyptien des Antiquités a ensuite publié un communiqué affirmant que la souveraine avait «une peau blanche et des caractéristiques hellénistiques. Le bouillonnant égyptologue Zahi Hawass n’était pas en reste.
La controverse ne se limite pas à Hannibal. Selon des médias, quatre projets potentiels sur Alexandre le Grand et deux autres sur Jules César seraient en cours, ce qui ne manquera pas de susciter également des débats houleux. La question se pose. Le cinéma nous apprend-il réellement l’Histoire ? Lui est-il fidèle ? Pas si sûr, pour certains puristes.
M. B.