Assia Benmoukadem, moudjahida de Cherchell : «La liberté de mon pays valait bien ma vie»

Pendant quinze jours, les deux jeunes sœurs ont subi les pires sévices. « Dès notre arrivée, ils nous ont dépouillées de nos vêtements. Leur chef nous a lancé : soit vous parlez, soit vous mourez »,

À 90 ans, Assia Benmoukadem, épouse Chabni, garde le regard vif et la mémoire précise. Née à Cherchell, cette ancienne institutrice, connue sous le nom affectueux de Sidati Assia, incarne la force et la dignité des femmes de la Révolution. Malgré un corps fatigué par le temps, elle conserve une force intérieure intacte. Sa voix reste ferme lorsqu’elle évoque, avec émotion, les épreuves qu’elle et sa sœur Fadhéla ont endurées dans un centre de torture à Bouzaréah, en mars 1957.

Pendant quinze jours, les deux jeunes femmes ont subi les pires sévices. « Dès notre arrivée, ils nous ont dépouillées de nos vêtements. Leur chef nous a lancé : soit vous parlez, soit vous mourez », raconte-t-elle. Mais Assia, portée par une foi inébranlable en la cause nationale, refuse de céder. « J’étais jeune, mais déterminée. La liberté de mon pays valait bien ma vie », confie-t-elle. Les tortionnaires usent de toutes les méthodes : coups, électricité, humiliations. « Ils nous disaient que l’autre avait tout avoué pour nous faire craquer. Mais nous savions que c’était faux. Aucune de nous ne trahirait la Révolution », ajoute-t-elle. Présentées ensuite devant le tribunal de Cherchell, les deux sœurs gardent leur calme. « Le juge voulait des aveux. Je lui ai simplement répondu que ma religion m’interdit de mentir. » Faute de preuves, la Cour d’appel de Blida les condamne à une peine avec sursis avant de les relâcher.

Ce n’est que plus tard qu’Assia apprend que leur arrestation a été provoquée par une dénonciation sans fondement. Si le réseau de Cherchell n’a jamais été découvert, c’est grâce à la discrétion et à la loyauté de ses militantes. « Le silence était notre arme. L’armée française n’a jamais pu remonter nos liens », explique-t-elle, un léger sourire au coin des lèvres. Assia rejoint la lutte à la fin de 1954. À l’époque, personne, pas même sa famille ni ses collègues de la Médrassa Errachidia, ne soupçonne son engagement. C’est à travers la chahida Ella Zoulikha, de son vrai nom Yamina Oudaï, qu’elle entre dans la résistance. Les deux femmes se connaissent bien : la maison d’Ella Zoulikha se trouve à côté de l’école. « Un jour, elle m’a proposé de rejoindre son réseau. J’ai accepté sans hésiter et j’ai même proposé d’y faire entrer mes cousines Zoubida et Zahia », se souvient-elle.

Le réseau féminin de Cherchell joue un rôle essentiel dans le soutien logistique à la Révolution. Bien avant cela, Assia a déjà conscience de l’injustice coloniale. « J’avais dix ans quand les massacres du 8 mai 1945 ont eu lieu. Ces images ne m’ont jamais quittée », confie-t-elle. Dans sa famille, l’engagement nationaliste est une tradition. Son cousin Mohamed Benmoukadem, dit Dziri, et son oncle maternel Abdellah Hamdaoui militent alors au sein du PPA. « Ce sont eux qui m’ont appris que seule la lutte armée pouvait libérer notre pays », dit-elle avec émotion. Dans le réseau d’Ella Zoulikha, Assia et ses proches accomplissent de nombreuses missions : collecte de médicaments, confection de vêtements pour les maquisards, transmission de messages et ravitaillement. Elle se souvient notamment d’une mission périlleuse : remettre une arme à un moudjahid chargé d’un attentat avant de rejoindre le maquis. « Après l’opération, il m’a rendu le pistolet.

Lors d’une fouille, j’ai caché l’arme dans une pâte d’amande. Les soldats ont tout fouillé, sans rien trouver », raconte-t-elle avec un sourire discret. Ces gestes simples, mais d’un courage immense, témoignent du rôle crucial des femmes dans la lutte pour l’indépendance. Après l’indépendance, Assia Benmoukadem poursuit son engagement au service de l’Algérie à travers l’éducation. « En 1953, c’est le cheikh Larbi Tebessi qui m’a remis mon attestation d’aptitude à enseigner », dit-elle fièrement. Elle enseigne jusqu’en 1994, formant des générations d’élèves à qui elle transmet les valeurs de patriotisme et de droiture.

Pour elle, enseigner, c’est continuer le combat, cette fois par le savoir.

S. E.

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