Réfugiés dans le pays depuis le début de la guerre en 2011 : à quoi rêvent les syriens d’Algérie ?

Dès les premières heures de l’annonce de la chute du régime de Bachar Al Assad, des milliers de réfugiés syriens à travers le monde n'ont pas hésité à exprimer, via les réseaux sociaux, leur désir de retourner en Syrie, leur pays d'origine, qui a vu plus de la moitié de sa population, soit plus de 8 millions, contrainte à l'exil, depuis le début de la guerre en 2011.

Qu’en est-il des Syriens réfugiés en Algérie ? Comment vivent-ils cette situation ? Sont-ils tous décidés à regagner leur pays ? El Moudjahid s’est rapproché de cette population très intégrée dans le pays, pour écouter ses préoccupations et comprendre sa projection. À Bordj El-Kiffan ou à Baba Hacène, les Algériens sont, désormais, familiers de la présence de Syriens. Ce sont les enseignes et affiches publicitaires qui indiquent leur présence dans ces quartiers, au point où les visiteurs n’entendent presque rien d’autre que l’accent syrien, ironise Mustapha, un Algérien copropriétaire d’un fast-food qu’il gère avec son ami syrien Monaem. Ce dernier nous dit qu’il «n’a pas le temps pour parler de politique». Il semble s’imposer le silence, même pour une simple question sur les récents développements en Syrie. «La politique donne parfois le tournis», assène-t-il, en montrant du doigt la télévision affichant en bandeau d’information, «la poursuite des bombardements israéliens sur les territoires syriens». Inutile d’évoquer le retour en Syrie en «ces temps d’incertitudes», dit-il. Pour Monaem, «la situation actuelle douche l’espoir de voir la Syrie se relever dans un avenir proche» ; c’est pourquoi, dit-il, «il n’est pas encore temps d’évoquer le retour au pays, car, après des années de guerre et de bouleversements politiques Souriya dispose-t-elle d’une infrastructure qui pourrait accueillir les millions de rapatriés ?» lâche-t-il, amer. Pour ces réfugiés, le choix de rester semble aujourd'hui plus difficile que celui de partir. Nadim, 33 ans, arrivé en Algérie en 2014, considère que se précipiter pour le retour peut être «très risqué actuellement». «Il y aura certainement un mouvement de retour», mais, poursuit-il, «je ne m’attends pas à ce que des dizaines de milliers de personnes partent toutes en même temps». Se rappelant de la brume sale et grisâtre qui a chassé le ciel bleu en cette fin d’année meurtrière de 2013, Nadim évoque son arrivée en Algérie. «Ma famille a choisi l'Algérie alors que la distance est lointaine, c’est 3.000 km de la Syrie», se rappelle-t-il de son premier voyage vers l’Algérie. Malgré la distance éloignée, Nadim affirme n’avoir eu aucun problème depuis son arrivée en Algérie. Contrairement aux membres de son entourage partis en Turquie, en Jordanie, au Liban ou en Allemagne, il n’a pas fait dans la mendicité. «Ici, en Algérie, nous étions mieux encadrés du point de vue humanitaire, j’ai pu visiter plusieurs régions du pays et alterner des travaux saisonniers, mais essentiellement dans la restauration», ajoute-t-il. Originaire d’El-Tal, Nadim n’a qu’un seul souhait : voir le pays se relever : «Ma génération peu préparée aux intrigues et aux affrontements claniques, nous voulons effectivement rentrer chez nous mais... » Il marque un long silence, et poursuit : On ne sait pas ce qu’on va rencontrer là où on ira. Quelle école donner à son enfant, quel emploi ? Dans quel hôpital poursuivre ses soins ? Des raisons aussi humaines et simples que celles-ci freinent les Syriens. Reconstruire les villes détruites nécessite peut-être des milliards de dollars, quel pays apportera cette ressource ?» La pauvreté profonde et l’effondrement des infrastructures en Syrie inquiètent ce jeune Syrien, conscient que «ce ne sont pas des problèmes qui seront facilement résolus en peu de temps». Les mêmes questionnements intriguent un autre Syrien, préférant rester anonyme. Il explique que pour lui, il n’est pas question de passer ses vieux jours en Syrie, car «il pourrait y avoir encore des bombes et des mines non explosées dans plusieurs régions, et ceux qui s’empressent de revenir en Syrie ont besoin de savoir à l’avance où se trouvent leurs maisons dans les villes détruites». Il ajoute que «si les agriculteurs ensemencent leurs champs qui n’ont pas été traités depuis des années, ils recevront la récolte au moins un an plus tard, par conséquent, il faudra peut-être du temps pour que les activités économiques reprennent». Il évoque, par ailleurs, la question de la scolarité et souligne qu’«il y a des enfants, des collégiens et des étudiants des universités, quelle sera leur éducation si leurs familles décident de retourner en Syrie maintenant ? La nouvelle administration n’a même pas encore de ministre de l’Éducation». Porté par la certitude obsédante que le futur ne sera qu’une version pâle du passé, il prédit qu’au mieux, dans au moins cinq ans, si les préparatifs nécessaires sont fournis, un «retour progressif» aura lieu. «Il y a encore des risques en Syrie, tant sur le plan de la sécurité que du maintien des services de la vie quotidienne». En Algérie, selon les statistiques des autorités, ils sont plus de 50.000 réfugiés syriens ayant fui la guerre depuis 2011. C’est en 2014 que les Algériens ont vu le déferlement massif des Syriens. Nadim se rappelle de ses premiers jours en Algérie : «Certes, c’était très difficile pour nous de quitter notre pays, d’abandonner nos biens et parfois nos familles mais je suis heureux d’être en Algérie. J’ai accumulé de bons souvenirs dans plusieurs wilayas. Je me suis entouré d’un bon réseau d’amis et de voisins algériens qui m’ont pris en charge et m’ont aidé, partout où je suis allé, et les gens sont toujours accueillants et chaleureux.» Son unique problème, à son arrivée dans le pays, était celui de la langue, car «les Algériens alternaient entre l’arabe et le français», et il était, poursuit-il, «difficile de comprendre la réponse des gens qui vous indiquent une route ou vous orientent dans votre chemin ; je voulais faire des efforts pour apprendre le dialecte algérien, mais c'était très, très difficile». La communauté syrienne suit de près les derniers développements dans son pays, espérant pouvoir y retourner un jour après toutes ces années d'absence. Cependant, ils sourcillent à l'idée de quitter définitivement l'Algérie pour le moment. Certains n'auraient jamais imaginé passer leurs vieux jours loin de la Syrie. Mais l’histoire n’aime pas les processus linéaires, ce sont toujours les distorsions, les ruptures et les recommencements qui font les destins des uns et des autres. «Des amis m'ont conseillé de venir ici, ils y connaissaient des Syriens installés quelques années avant, déclare M., arrivé en Algérie en 2017. Je n'allais pas bien, certains membres de ma famille venaient de mourir là-bas. J'avais un peu peur, je ne connaissais personne.» Mais, il ne regrette rien : «La Syrie, c'est fini ! Je n'y retournerai pas. Je me sens bien ici. Après un passage en Turquie, j'étais toujours jugée sur mes habits, les apparences, je n'étais pas assez bien. Ici, tout le monde est accueillant.» La proximité culturelle, du fait de la langue et de la religion, a aussi joué dans son choix de l’Algérie. «Je peux rentrer à pied tard le soir seul sans me poser de questions, explique ce Syrien. En Syrie, j'ai déjà été témoin des affres de la guerre.» La conversation dérive vers l'appréhension et le doute sur l’avenir de ce pays, qui «va de plus en plus mal». «Je suis choqué de voir qu’Israël a déjà attaqué la Syrie», déplore-t-il, à propos de son pays d'origine. «Je sais que tout n'est pas parfait ici, mais l'atmosphère est différente.» Le discours nostalgique d'une Syrie «qui allait mieux avant» revient dans la bouche de plusieurs réfugiés. «Il n’y a toujours pas d’eau dans de nombreuses régions en Syrie, l’électricité arrive à certains moments de la journée. On ne sait même pas qui va gouverner le pays, mais nous devons, un jour, revenir pour panser le pays de ses blessures.» L’accueil des Syriens par l’Algérie illustre la solidité des liens et la solidarité entre le Maghreb et le Machrek. Cette solidarité s’était manifestée à diverses reprises au cours de l'histoire. Il y a un siècle, il s'agissait des Algériens chez les Syriens, dans la même posture. Fuyant la barbarie du colonialisme français, plusieurs Algériens avaient décidé de quitter l'Algérie pour la Syrie, sur les pas de l’émir Abdelkader, qui s’établit à Damas en 1855. L’histoire est un éternel recommencement, à condition d’en retenir les leçons…

  •  «Je suis heureux d’être en Algérie, je suis entouré d’un bon réseau d’amis et de voisins algériens qui m’ont pris en charge et m’ont aidé, partout où je suis allé, et les gens sont toujours accueillants et chaleureux.»
  • Nadim affirme n’avoir eu aucun problème depuis son arrivé en Algérie : «Nous étions mieux encadrés du point de vue humanitaire, j’ai pu visiter plusieurs régions du pays et alterner des travaux saisonniers.»
  • Il ne regrette rien. «La Syrie, c'est fini! Je n'y retournerai pas. Je me sens bien ici. Après un passage en Turquie, j'étais toujours jugé sur mes habits, les apparences, je n'étais pas assez bien. Ici, tout le monde est accueillant .»

T. K.

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