Carnet de voyage : si tu vas à Niamey

«Premiers pas sur le sol nigérien : entre effervescence des marchés étouffants et regards implorants de l’avenue de l’Indépendance. En l’espace de quelques jours, nous avons découvert un Niger où le fleuve abreuve des rizières luxuriantes et des champs d’ananas prometteurs, où les mains gercées des paysans cultivent tomate acidulée et manioc robuste.

Le kilichi, une viande séchée aux épices, nous est offert en signe d’hospitalité. Mais derrière cette générosité, la pauvreté mordante, les intermédiaires voraces, l’absence d’usines. Une leçon : ici, la terre donne, mais les hommes peinent à recevoir. Notre regard neuf capte autant la détresse que l’espoir têtu d’un peuple qui refuse de se laisser engloutir.»

À la découverte de l’authenticité nigérienne

Ce vendredi 21 février 2025, sous un soleil ardent qui faisait grimper le thermomètre au-delà des 32°C, notre guide a choisi de nous éloigner des circuits traditionnels de Niamey. Plutôt que les incontournables Grand Marché ou Marché Katako, réputés pour leurs étals de kilichi et leurs produits du terroir, il nous a entraînés vers une escapade mêlant nature et artisanat discret. Une décision surprenante, mais qui s’est révélée riche en découvertes. La journée avait pourtant commencé par une immersion culinaire : dès le matin, nous avions savouré le fameux kilichi, cette viande séchée et épicée, directement achetée aux marchands ambulants de l’avenue de l’Indépendance. Entre les effluves de piment et les rires des vendeurs, l’expérience avait déjà ancré en nous le goût authentique de l’hospitalité nigérienne. Toujours dans cette avenue grouillant de monde, alors que le véhicule avançait lentement, des marchands ambulants nous proposaient qui des mangues juteuses, qui des beignets dorés à base de farine de blé, encore tièdes et parfumés de sucre. Mais il y avait aussi les noix de cola, appelées localement «Gooro» dans les deux principales langues du pays (hausa et zarma). C’est notre guide qui en acheta deux, nous invitant à les déguster : en mâchant une petite partie de la noix, libérant une saveur amère et tannique suivie d’une légère effervescence en bouche, avant de l’avaler. «C’est de la caféine, nous dit Oumar, un stimulant naturel. Ici, ça donne du courage pour la journée.» Autour de nous, les appels des vendeurs se mêlaient aux klaxons, tandis qu’une fumée épicée montait des grillades de viande… En effet, les noix de kola sont utilisées pour leurs propriétés stimulantes contre la fatigue, pour maintenir éveillé et diminuer la sensation de faim. Ces propriétés ont contribué à créer une aura de bienfaisance autour de la graine utilisée depuis des siècles dans les coutumes d’Afrique, comme cadeau d’amitié, de bienveillance ou comme offrande dans les cérémonies traditionnelles. Fraîchement prélevées à partir des cabosses sur l’arbre, épluchées puis mâchées longuement en bouche avant d’être avalées. Les noix de kola sont utilisées en médecine traditionnelle pour tonifier, mais également pour diminuer la sensation de soif et de faim, comme aphrodisiaque, pour traiter les nausées matinales, les migraines, la fièvre, la mauvaise digestion et également la dysenterie... Notre périple s’est poursuivi au parc zoologique de Niamey, où la chaleur semblait moins pesante sous l’ombre des arbres. Entre les allées poussiéreuses, nous avons observé un couple de lions majestueux, à la crinière éparse, symbole d’une Afrique sauvage en résistance. Plus loin, un singe espiègle s’est mis à sautiller près des barreaux de sa cage, attirant les regards amusés. Le porc-épic, recroquevillé dans un coin, et les crocodiles immobiles, presque sculpturaux, ont ajouté une touche d’exotisme à cette balade. Si le zoo rappelle les défis de la conservation dans un climat hostile, il offre aussi une fenêtre sur la biodiversité locale, souvent méconnue des visiteurs pressés. La véritable surprise nous attendait à l’atelier-marché artisanal attenant au zoo. Loin de l’agitation des grands bazars, ce lieu hors des sentiers battus nous a plongés dans une ambiance intimiste. Ici, pas de vendeurs insistants ni de prix gonflés pour touristes. Sous les conseils avisés de notre guide Oumar, fin négociateur et médiateur linguistique, nous avons déambulé entre les échoppes sans subir les habituelles «huées» ou sollicitations pressantes. Les artisans cisèlent des bijoux touaregs en argent, d’autres polissent des statuettes en bois évoquant des scènes pastorales, d’autres encore étalent des tissus bazin aux motifs vibrants. Chacun attend un geste de notre part pour lui signifier notre intérêt pour sa marchandise. Finalement, grâce à l’intervention discrète de notre guide, qui maîtrisait aussi bien les codes culturels que les dialectes locaux, les transactions se sont faites sans heurts, à des prix raisonnables.

De retour à l’hôtel, alors que le soleil était au zénith et la température étouffante, nous avons été submergés par une sensation de bien-être grâce à cette visite insolite, qui avait un charme unique. En évitant les foules des marchés centraux, nous avions découvert un Niger à la fois paisible et profondément authentique. Cependant, les images des personnes pauvres croisées le matin au niveau de l’avenue de l’Indépendance, leurs demandes insistantes de quelques pièces de monnaie, le regard menaçant du guide qui les pourchassait en les interpelant dans leur dialecte avec des mots prononcés dans leur idiome… Tout cela résonne encore dans nos oreilles et dans notre tête. Avec le kilichi de l’avenue de l’Indépendance, les rugissements étouffés du couple de lions, et les mains habiles des artisans, Niamey nous a révélé, l’espace d’une demi-journée de vendredi, ses multiples visages faits de traditions résilientes et d’accueils discrets, mais sincères.

Le fleuve, l’artère vitale de l’agriculture

Samedi 22 février. Notre périple se poursuit sous un soleil ardent, le long de la rive Est du fleuve Niger, aux portes de Niamey, et se transforme en une plongée au cœur des paradoxes agricoles du Niger. Guidés par Oumar, nous découvrons un monde où la fertilité des terres contraste avec les défis structurels, où le riz et l’ananas incarnent à la fois l’espoir et les limites d’une nation en quête d’autosuffisance. Le fleuve Niger, serpentant paisiblement, offre un spectacle de vie. Ses berges grouillent de paysans affairés dans des champs verdoyants qui s’étendent à l’infini. Oumar, notre guide, esquisse un sourire en nous présentant ce paysage : «Ce fleuve est notre sang. Sans lui, Niamey ne serait qu’un désert.» Son eau irrigue des rizières luxuriantes, des plantations d’ananas et des jardins maraîchers où s’entremêlent potirons, oignons et plantations de manguiers. Pourtant, derrière cette abondance apparente, les obstacles sont palpables.

Entre tradition et précarité

Dès les premières étapes après la traversée du pont, Oumar attire notre regard vers les rizières. Des hommes et des femmes, courbés sous le soleil, transplantent des pousses ou récoltent des gerbes de riz à la main. «Ici, chaque famille vit au rythme du riz», explique-t-il. «Cette culture nourrit des milliers de foyers, mais nos méthodes sont ancestrales. Pas de machine, peu de semences résistantes. Un orage peut tout anéantir. Comme les inondations d’octobre 2024 qui avaient fait plus de 400 morts et anéanti toutes les cultures.» Malgré ces fragilités, le riz demeure un pilier de la subsistance, symbolisant la résistance quotidienne d’un peuple face à l’insécurité alimentaire. Sur cette berge Est, les rizières qui forment une sorte d’excavation de quelques dizaines de mètres de diamètre, des cultures maraîchères pullulent. On y trouve de tout : de la tomate, de l’aubergine, des potirons, des poivrons, des haricots verts, du melon, des pastèques ; tout pousse dans ces endroits ensoleillés et une eau disponible à volonté. On trouve aussi, et surtout, des champs d’ananas. Pour le moment, nous sommes face à des carrés de semis d’ananas, prêts à être repiqués pour que, dans deux mois, ils deviennent des fruits succulents. Oumar s’arrête devant une parcelle de jeunes plants prêts au repiquage. «Ce fruit est une bénédiction ! Son goût est célèbre jusqu’en Europe, mais nous ne profitons pas de sa valeur.» Les paysans, explique-t-il, vendent leur récolte à des intermédiaires à des prix dérisoires, faute de circuits d’exportation fiables et d’unités de transformation locales. Imaginez si nous avions ne serait-ce qu’une usine pour conditionner ces ananas…, murmure-t-il. Le Niger gagnerait des devises, et ces paysans sortiraient de la pauvreté.» Alors que nous avancions le long de cette berge, nous sommes tombés sur un autre groupe de paysans, qui semblent être des travailleurs d’un propriétaire terrien. Sur place, il y a avait des potirons étalés à même le sol, proposés à la vente ; et un peu plus loin, deux piles de gerbes de riz asséchées, attendent le battage. Nous étions impatients de les entendre et même de les voir à l’œuvre dans le cadre du battage de ces gerbes de riz. Nous avons vite déchanté : l’accueil des paysans était timide, presque méfiant. Oumar, jouant les médiateurs, nous confie : «Ils vous prennent pour des français. Depuis les récentes tensions politiques, la défiance envers l’Occident est vive.» Malgré nos tentatives de détendre l’atmosphère, les sourires sont restés rares. «Ce n’est pas personnel, c’est l’héritage d’une histoire douloureuse», soupire-t-il, tout en saluant un vieil homme, binette à la main, en train de remuer son petit carré… Plus tard, sous l’ombre généreuse des manguiers qui bordent les chemins, Oumar partage une réflexion plus intime. «Ces arbres, voyez-vous, sont nos silencieux alliés. Leurs fruits nourrissent les enfants, leurs feuilles abritent les discussions. Ils survivent à la sécheresse, aux crises… Comme nous.»

Un avenir à cultiver

La journée s’achève sur le pont du fleuve qui scinde la capitale en deux. Des pêcheurs lancent leurs filets dans les reflets dorés du couchant. Oumar, contemplatif, résume : «Le Niger a tout pour réussir : une terre fertile, un fleuve généreux, des cultures prisées. Mais sans routes dignes de ce nom, sans investissements dans l’irrigation ou la transformation, nous resterons dépendants.» Oui, Oumar a raison : Le Niger agricole est un géant aux pieds d’argile. Le riz et l’ananas, et même la mangue, s’ils sont cultivés avec abnégation, peinent à hisser le pays vers l’autosuffisance, encore moins vers l’exportation. Pourtant, dans le regard des paysans, persiste une lueur d’espoir. Celui que, un jour, les fruits de cette terre bénie profitent pleinement à ceux qui la cultivent. Et pour y arriver, le peuple nigérien a besoin de soutiens directs des pays frères. Comme l’Algérie.

Y. Y.

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Le Niger en quelques lignes

Le Niger, pays enclavé d’Afrique de l’Ouest, s’étend sur 1,27 million de km². Il est dominé par le désert du Sahara (nord) et le Sahel (sud). Sa population, environ 26 millions d’habitants (2023), croît à un rythme élevé (7 enfants par femme en moyenne), avec une majorité de jeunes (<15 ans). La capitale, Niamey, concentre une partie des activités économiques, mais le pays reste l’un des moins développés (IDH 189ᵉ/191 en 2022). L’économie dépend de l’agriculture (80% de la population active, vulnérable aux sécheresses), de l’uranium (4e producteur mondial) et, plus récemment, du pétrole et de l’or. Les groupes ethniques principaux sont : Hausa, Zarma, Peuls et Touaregs qui cohabitent, avec l’islam comme religion majoritaire. Les traditions nomades et les festivals (ex. cure salée) témoignent d’un patrimoine riche. Cependant, le pays subit des défis majeurs : insécurité alimentaire chronique (sécheresses, inondations), pression démographique, terrorisme (groupes liés à Boko Haram ou à l’État islamique, …) Le Niger joue un rôle stratégique dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, avec des partenariats internationaux. Malgré ses ressources naturelles, la pauvreté persiste, aggravée par les changements climatiques et les crises sanitaires. Le pays mise sur des projets comme la «Renaissance» (barrage hydroélectrique) ou le corridor agricole du fleuve Niger pour stimuler son développement. Son avenir dépendra de la stabilisation politique, d’investissements durables et d’une gestion équitable de ses ressources. Sur le plan environnemental, le Niger paie un lourd tribut aux dérèglements climatiques : 80 % de son territoire, situé en zone saharienne ou sahélienne, subit une désertification croissante. Pourtant, le fleuve Niger, long de 4 180 km et décrivant un arc unique à travers cinq pays, irrigue 135 000 hectares de terres agricoles. Après avoir traversé le Mali en formant une boucle spectaculaire, il entre au Niger par l’Ouest, arrosant Niamey, la capitale, et Tillabéri, avant de poursuivre vers le Nigeria. Ce cours d’eau vital, qui coule d’abord vers le Nord-Est puis bifurque au Sud-Est, reste peu navigable en raison des rapides et des variations saisonnières. Malgré cela, il constitue un pilier pour le riz, le maraîchage et l’élevage, même si 56 % de la population rurale n’a pas accès à l’eau potable. Les défis sanitaires et éducatifs restent criants : l’espérance de vie est de 62 ans, la mortalité infantile s’élève à 47 décès pour 1 000 naissances, et seulement 37 % des adultes sont alphabétisés (15 % chez les femmes rurales). Si 72 % des enfants sont scolarisés en primaire, ce taux chute à 36 % dans le secondaire. Pourtant, des lueurs d’espoir émergent. Quatrième producteur mondial d’uranium, le Niger mise sur un potentiel solaire immense (5,7 kWh/m²/jour) et une agriculture résiliente pour sortir de la dépendance aux importations. Mais sans infrastructures routières, sans usines de transformation et face à l’insécurité croissante, le pays peine à convertir ses richesses naturelles en progrès social. Entre une jeunesse nombreuse et des ressources sous-exploitées, le Niger incarne le paradoxe d’une terre fertile où l’avenir se joue à la croisée des urgences. 

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La culture du riz au Niger : entre défis et espoirs d’une autosuffisance

Le Niger, pays sahélien où l’agriculture occupe près de 80 % de la population, voit dans le riz une culture clé pour répondre à l’urgence alimentaire et à la croissance démographique. Longtemps dominée par le mil et le sorgho, la riziculture s’impose progressivement comme un pilier stratégique, portée par les plaines fertiles du fleuve Niger et les efforts de modernisation. Pourtant, malgré son potentiel, cette culture reste confrontée à des obstacles structurels qui freinent son essor. Le long des berges du fleuve Niger, de Niamey à Tillabéri en passant par Dosso, s’étendent des milliers d’hectares de rizières. Ces terres irriguées, nourries par les eaux du fleuve, constituent le cœur de la production nationale. Environ 70 000 hectares y sont consacrés au riz, avec une production annuelle oscillant entre 250 000 et 300 000 tonnes de riz paddy. Bien que ces chiffres marquent une progression, ils restent insuffisants pour couvrir les besoins d’une population en constante augmentation. Aujourd’hui, le Niger importe encore près de 500 000 tonnes de riz par an, principalement d’Asie, pour combler un déficit alimentaire chronique. La riziculture nigérienne repose majoritairement sur des méthodes traditionnelles. Le labour manuel, l’usage de semences peu résistantes et l’absence de mécanisation plafonnent les rendements à 3 ou 4 tonnes par hectare, loin des 7 tonnes atteintes dans d’autres régions du monde. Les aléas climatiques, comme les sécheresses récurrentes ou les inondations, exacerbent cette fragilité. Seulement 15 % des surfaces rizicoles bénéficient d’une irrigation pérenne, laissant la majorité des cultures à la merci des caprices de la saison des pluies. Face à ces défis, des projets émergent pour moderniser la filière. La Haute Autorité de la Vallée du Niger ambitionne d’aménager 50 000 hectares supplémentaires d’ici 2030, avec l’appui de partenaires internationaux comme la FAO ou la Banque mondiale. Ces programmes promeuvent des semences améliorées, comme le riz NERICA, adapté aux climats arides. Parallèlement, des coopératives locales, souvent pilotées par des femmes, investissent dans des mini-rizeries pour valoriser la production. Ces unités de transformation artisanales permettent de décortiquer le riz sur place, ajoutant de la valeur et réduisant les pertes post-récolte. Le gouvernement nigérien, à travers l’initiative «Les Nigériens nourrissent les Nigériens» (Initiative 3N), tente d’accélérer cette transition. Des subventions aux engrais, des formations techniques et des crédits agricoles ciblent les petits producteurs. Cependant, ces efforts se heurtent à des réalités socio-économiques complexes : l’insécurité dans les zones rurales, le manque d’infrastructures routières et la concurrence du riz importé, vendu à bas prix, découragent souvent les paysans.

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Le Kilichi, Symbole d’Hospitalité et de Tradition au Niger

Au Niger, le kilichi incarne bien plus qu’une simple spécialité culinaire : il est un héritage culturel et un geste d’accueil profondément ancré dans l’identité nigérienne. Préparé à partir de viande séchée, généralement de bœuf ou de chameau, ce met savoureux et épicé se distingue par sa texture croquante et ses arômes relevés. La viande, finement tranchée, est longuement marinée dans un mélange d’épices locales — piment, ail, gingembre — parfois agrémenté de pâte d’arachide, avant d’être séchée au soleil selon des techniques ancestrales. Ce processus, typique des régions sahéliennes, confère au kilichi sa saveur unique, tout en permettant sa conservation dans un climat aride. Considéré comme un symbole de bienvenue, le kilichi est traditionnellement offert aux visiteurs à Niamey, la capitale, ou dans d’autres régions du pays. Ce geste, empreint de générosité, reflète les valeurs d’hospitalité des communautés haoussa et zarma, majoritaires au Niger. Il marque le respect envers l’invité et scelle les relations sociales, que ce soit lors de rencontres familiales, de cérémonies (mariages, baptêmes) ou de festivités communautaires. Son partage transcende les simples échanges culinaires : il renforce les liens collectifs et incarne la convivialité propre à la société nigérienne. Au-delà de sa dimension culturelle, le kilichi joue un rôle économique essentiel. Sa fabrication artisanale et sa vente dynamisent les marchés locaux. Pour de nombreuses familles, sa production représente une source de revenus vitale, perpétuant un savoir-faire transmis de génération en génération.

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