
Kamel Bouchama (*)
Ne devons-nous pas rappeler, constamment, en guise d’introduction, avant d’arriver à Novembre 1954, que cette historique et décisive date ouvrant la porte à des actions concrètes de décolonisation de l’Algérie n’est pas venue du néant, comme une décision spontanée et imprévue ?
Pour nous les Algériens, de même que pour tous les peuples épris de paix et de liberté, le 1er Novembre se renouvelle chaque année, avec autant de ferveur que de vénération, car il est le symbole d’une Révolution sacrée «Grande révolution du XXe siècle» par tous les historiens de la planète.
En effet, puisque Novembre est l’œuvre d’un peuple fait de nationalistes qui refusaient tout compromis et qui militaient, avec une extrême, énergie pour réhabiliter les valeurs qui ont été perverties par le colonialisme et son système d’oppression. Oui, c’en est l’œuvre de tous ces militants, pour la plupart des jeunes, qui ont défié les prévisions de la puissance coloniale, appuyée par l’OTAN, et qui ont suscité l’admiration du monde parce que leur combat a été d’une ampleur telle que «les sacrifices consentis sont bouleversants par leur étendue et ont peu d’équivalents dans l’Histoire universelle» (1)
Cette Révolution était celle de l’Algérien, cet homme courageux, qui a montré qu’il savait et pouvait surmonter ses difficultés, car dans sa nature existent ces gênes d’appartenance au nationalisme sincère, à une foi solide et à une volonté inébranlable. Et même nos Algériens d’ailleurs, ceux vivant au Moyen-Orient, principalement en pays du Levant - Bilad el-Chem, aujourd’hui la Syrie -, ont compris, depuis longtemps, que Novembre n’était pas le fait d’une réaction intempestive de responsables «révoltés». Ils savaient que c’était du sérieux, c’était, en fait, l’engagement de tout un peuple et ses nombreux sacrifices qui allaient aboutir à la libération de notre pays, et le leur, de l'emprise colonialiste.
Dans le mouvement de décolonisation
Voyons donc cette participation concrète de nos Algériens «d’ailleurs» dans ce vaste mouvement anticolonial qui remonte loin dans le passé du mouvement national, bien avant l’appel de Novembre. Oui, il faut parler de cette participation qui prenait de l’ampleur, au fur et à mesure des événements, sous la conduite de gens illustres que l’Histoire doit rappeler aux jeunes générations pour qu’elles s’imprègnent de la valeur et de la grandeur de leurs ancêtres. Tout d’abord, il faut rappeler que leur esprit d’abnégation, bien plus leur amour de la liberté, leur imposait de se regrouper constamment sous un même étendard, pour ne pas aller vite en besogne, et en rangs dispersés. À cet effet, ils étaient les premiers, bien avant la constitution de l’Etoile nord-africaine (ENA), à créer deux Associations qui allaient regrouper tous les jeunes maghrébins. Il s’agit de «l’Association des combattants de l’Afrique du Nord» et l’autre, «l’Association des émigrés de l’Afrique du Nord». Ces deux regroupements étaient complémentaires, voire très bien coordonnés, du fait qu’ils pouvaient maitriser et contrôler plusieurs fronts en même temps, grâce à leur partage de responsabilités.
Alors, les Algériens, toujours prêts au sacrifice, n’ont pas hésité de partir en campagne, parce qu’ils faisaient dans le positif pendant tout leur séjour au Moyen-Orient.
Et ils ne pouvaient se comporter autrement, parce qu‘ils étaient mus par cette flamme révolutionnaire..., toujours incandescente. Pour cela, et avant d’entamer leur participation effective au mouvement nationaliste de leur pays et, plus tard, à la guerre de Libération nationale de 1954, rappelons-nous cette insurrection de 1871, où il est nécessaire d’évoquer la présence - les prouesses, nous les verrons plus tard - de l’Émir Mohieddine, fils de l’Émir Abdelkader, dans l’Est algérien, dans les régions de Tébessa et d’Oum El-Bouaghi.
L’Émir Khaled se dresse contre les Français
Ainsi, pour être plus précis, disons que ce qu’on appelait communément «l’insurrection de 1871» ou celle du «Bachagha El-Mokrani », qui prenait rapidement des dimensions nationales, était également soutenue par des militants algériens qui venaient du Chem.
Et, le meilleur exemple est celui de l’Émir Mohieddine, fils de l’Emir Abdelkader qui était là, chez nous - pardon, chez lui -, en Algérie, le 3 janvier 1871, venant de Syrie en Algérie, via la Tripolitaine, accompagné du révolutionnaire Nacer Ben Chohra, l’enfant de Laghouat, pour mener leurs opérations contre l’ennemi, qu’ils ont soigneusement préparées en 1870...
L’Émir Mohieddine et son compagnon Ben Chohra, je les raconte amplement dans leur combat dans les régions de Tébessa et Meskiana, de même que les pertes qu’ils ont infligées aux colonialistes français(2). Ce furent, sans conteste, les premiers combattants de l’insurrection de 1871.
Le jeune Émir Khaled, ancien officier de l’armée française, ne pouvait plus accepter le poids de la colonisation. Ainsi, frappé d’ostracisme à cause de ses idées et de sa position contre la politique française, il rejoint l’Algérie, en 1913, et fonde le «Mouvement des jeunes Algériens», le partisan de l’autonomie. Plus tard, en 1920, ce personnage, fascinant et «intrigant» à la fois dans l’esprit des colonialistes, forme, sous son égide, le Mouvement nationaliste algérien, dresse un programme pour combattre les mesures répressives coloniales et gagne l’adhésion d’une large majorité de la population. Il dirige le journal Al-Iqdam, dès 1920, et publie des articles virulents.
N’est-il pas clair ce discours ?
Il fonde également la «Fraternité algérienne», une Association qui aura beaucoup de succès à travers tout le pays. Initiateur d’un fait nouveau dans le pays, l’Émir Khaled, qui ne lésine pas sur les efforts, organise des meetings à Alger et à l’intérieur du territoire national. Ainsi, celui qui avait beaucoup de contacts avec les jeunes et les travailleurs répondait aussi, courageusement, par des idées révolutionnaires et unificatrices. Il lançait à la face des Français : «Vous désespérez les indigènes, vous les exaspérez et lorsqu’il sera prouvé que, avec vous, il n’y a rien à gagner et, qu’après tout, à se révolter les armes à la main, il n’y a rien à perdre puisque tout est déjà perdu, depuis longtemps, depuis toujours et de votre fait, ils vous diront, à la première occasion propice : «Qu’êtes-vous venus faire ici ? Rentrez chez vous !».
Et les événements se poursuivaient, douloureusement pour les Algériens, qui en tiraient le maximum de leçons, leur concédant ce droit inaliénable de se mobiliser davantage et d’avoir ce courage résigné pour lutter âprement contre le front colonial et ses pratiques impérieuses qui n’auguraient aucune quiétude et aucun espoir pour l’avenir de notre peuple.
Messali lui succédera peu après
L’Émir Khaled ne désemparait pas. Et, en 1926, en plein ébullition politique, en ces années où l’Algérie vivait de plus en plus les affres du joug colonial, et à quelques années du centenaire de ce sinistre débarquement de juillet 1830, il prit la décision de créer «l’Étoile nord-africaine». Messali lui succédera peu après. Jacques Berque le confirme en expliquant dans l’Islam et la Révolution algérienne, par la voix d’Ahmed Ben Bella, que : «C’est le propre petit-fils de l’Émir Abdelkader, l’Émir Khaled, qui initie cette nouvelle voie en devenant président de «l’Étoile nord-africaine», mouvement politique créé en 1926 et regroupant des dirigeants maghrébins.
Cela veut dire, en termes clairs, concernant le patriotisme de ces «Algériens d’ailleurs», notamment les émigrés, que toutes les manipulations, ottomanes ou françaises, ne pouvaient «déteindre» sur eux…, qu’ils aient été princes ou simples citoyens. Cela démontre aussi cet esprit nationaliste qui les animait tous, et qui les rapprochait de leur pays, malgré la distance qui les séparait.
Cette allusion concerne l’Émir Khaled, et également cet autre, Mahmoud Latrèche, d’origine algérienne, né à Jérusalem au début du XXe siècle, qui a créé à Haïfa, en 1917, le premier syndicat des ouvriers du bâtiment, tout en adhérant, plus tard, en 1926, au Parti communiste palestinien (PCP). Ainsi, l’on comprendra que les tentatives de dépersonnalisation, les intrigues, les brimades et les outrages, qui persistaient d’une façon directe ou indirecte, ne pouvaient venir à bout de la volonté des Algériens qui redoublaient d’ardeur et de conviction pour mener à bien leur lutte pour l’indépendance.
À l’issue de tout ce bouillonnement, et lorsque le «Danger Khaled» devenait sérieux, la France coloniale décida de l’expulser d’Algérie. En 1925, il partait pour l’Égypte, puis s’installait en Syrie en 1926. Partout où il passait, il était acclamé et respecté, il était considéré comme un leader, un symbole de la «Nahda», l’éveil arabe. Il décédait en 1936, à l’âge de 58 ans, mais, en 1919 déjà, il portait la question algérienne devant l’Assemblée de la société des Nations, à Paris. Il demandait, à cette époque, la protection du peuple algérien par la Société des Nations (SDN). Il avait réussi à émouvoir le président américain Wilson, en lui rappelant son principe de «liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes». Un principe que l’Émir Khaled défendait jusqu’à la fin de sa vie. En tout cas, d’aucuns disent qu’il a bien réussi dans cette initiative très concrète.
K. B.
(*) Ambassadeur, ancien ministre et sénateur
(1) Comme l’affirmait Henri Alleg.
(2) Kamel Bouchama dans Les Algériens de Bilâd ec-Shâm, de Salah Eddine El-Ayyoubi à l’’Émir Abdelkader.