
Kamel Bouchama (*)
L’Émir Mohamed Saïd, fils de l’Émir Ali et cousin de Khaled, a envoyé un message rigoureux au Président du Conseil français, Pierre Mendès France, à partir du Caire, peu avant le déclenchement de la lutte armée en Algérie. Il lui demandait de respecter la volonté des peuples d’Algérie, de Tunisie et de Marrakech – comprenez du Maroc –, d’accéder à leur liberté et à leur indépendance, par la voie du dialogue, pour éviter de graves conséquences, comme celles de l’Indochine, de Syrie et d’ailleurs.
Dans le même message, il lui faisait savoir que les membres de sa famille, les enfants et petits-enfants de l’émir Abdelkader, ne pouvaient plus supporter cet exil qui leur a été imposé depuis plus d’un siècle et qu’ils voulaient retourner à leur pays d’origine. N’était-elle pas – cette supplique – assez éloquente pour démontrer les attaches de cette noble famille, de même que celles de tous les Algériens qui vivaient dans ce grand Shâm, avec leur pays d’origine ?
L’autre odyssée
Cependant, l’Émir Saïd El-Djazaïri, cet homme incontournable, effectivement, celui qui a proclamé la création de la République arabe syrienne en 1918, après le départ des Ottomans et a été le premier – quoiqu’éphémère – Président du Conseil des ministres de la Syrie indépendante, un Conseil des ministres où il y avait 4 ministres algériens, a été sollicité par les Français, en tant que personnage emblématique, pour s’asseoir sur le trône de ce pays, en tant que roi, à la place de «l’importun Fayçal». Les Allemands lui ont proposé, également, d’être le roi de la Cisjordanie, en remplacement de la famille de Hussein Ibn Ali, le Chérif de La Mecque. Mais son refus a été on ne peut plus clair, du fait qu’il n’était pas impressionné ni influencé par cette proposition mirifique pour d’aucuns.
Et pourtant, les Français ne s’attendaient pas à cette réponse, car ils supposaient qu’il ne pouvait décliner l’offre, parce qu’en l’acceptant, il allait d’abord narguer les Anglais, ensuite, sur le plan personnel, il aurait eu énormément de privilèges et de bénéfices. Cependant, son refus procédait d’une position politique en même temps qu’il appréhendait les implications de la situation internationale et les problèmes qu’elles allaient engendrer. Enfin, et ce n’était pas un moindre souci, il redoutait les dessous d’une soudaine «considération» de la part des Français et des Allemands. Mais son refus n’a pas été sans élégance, pour le petit-fils de l’Émir qui savait manier les expressions politico- diplomatiques et surfer sur les détails qui font de grandes choses. Voyons sa réponse : «Je suis très honoré par votre proposition et je l’accepterai pour régenter ce pays que j’aime tant et que j’ai eu l’insigne honneur de diriger, pour une courte période, en 1918, après le départ de nos frères ottomans, qu’à condition d’être le roi également de mon pays, l’Algérie, cette terre que feu mon grand-père l’Émir a tant défendue pour recouvrer sa souveraineté… Voyez-vous, il serait impossible pour moi d’accepter une responsabilité sans l’autre, tant la Syrie et l’Algérie sont complémentaires dans leurs ambitions vers la paix, le progrès et l’amitié entre les peuples.»
Après ces conditions, impossibles, irrecevables, c’est-à-dire après ce refus de l’Émir Saïd, quelle a été la réaction des Français ? Néfaste, bien entendu, à l’égard de tous les Algériens. Ils ont utilisé tous les moyens de rétorsion, et les Algériens devenaient un autre «problème» qui a resurgi après 1847. Devaient-ils être considérés, eux qui étaient contre la France, avant et après la fin de la guerre de l’émir Abdelkader, comme des Français ou comme des Syriens, et les laisser s’occuper de plus en plus du mouvement national dont ils ont eu le temps de le structurer en organisations et en associations, pour qu’il soit à l’avant-garde du nationalisme arabe au Machreq et au Maghreb ? Ainsi, a commencé une autre odyssée pour l’ensemble des Algériens vivant au Shâm. Des entraves, des inquiétudes, et toutes sortes de contraintes, leur ont été opposées par les autorités françaises qui n’ont pas accepté la position de ceux dont le pays, à des milliers de kilomètres de la Syrie, se «pacifiait», selon le concept colonialiste, dans le calme et la discipline, et eux refusaient une main tendue, dans un autre pays qui allait rentrer de plain-pied dans la civilisation, et dans lequel ils pouvaient bénéficier de tant d’avantages.
Ce langage devenait inaudible chez ces Algériens qui refusaient tout contact avec les Français, avec ceux-là mêmes qui investissaient la Syrie en conquérants et qui colonisaient leur pays, l’Algérie, qui demeurait encore sous leur joug depuis presque un siècle. Il y a eu des représailles contre tous les Algériens, sans exception, et c’est la «culture» des colonialistes pour mener à bien leur domination.
Et il crée «l’Association la Maison d’Algérie»
Après avoir accompli plusieurs missions au profit de l’Algérie, l’Émir Saïd, et l’ensemble des notables se regroupaient à Damas, là où ils vivaient depuis des lustres, pour créer «l’Association la Maison d’Algérie». Elle se composait des membres créateurs suivants, selon les documents recueillis dans les archives. Il s’agit de sommités du Moyen-Orient, les : Adnane El Moubarek, l’Émir Abdelaziz El Djazaïri, Mamdouh El Moubarek, Abdesselam Habib, Hani El Moubarek, Zoheïr Et-Tayeb, Ahmed Gherbiya, Kheir Allah Zamenzar, Mahmoud El Yahiaoui, l’Émir Haïder El Djazaïri, Ahmed Soheil El Fodhil, Abderrezak Ferhat et Abdallah Ferhat.
L’Association, qui montrait ses capacités, rassemblait tous les militants et la société civile de Syrie, pour faire échouer plusieurs tentatives de diversions françaises, plusieurs opérations destinées à créer des situations conflictuelles dans les rangs de combattants algériens, de même qu’elle se mobilisait pour détruire l’important réseau d’écoutes affecté pour intercepter les messages des stations de Damas, de Beyrouth et du Caire.
Elle organisait des collectes pour l’achat des armes pour les combattants algériens dans les maquis. Cette opération et une autre, plus forte, à savoir l’acheminement d’importantes quantités d’armes syriennes et irakiennes, à travers les ports de Tartous, de Latakieh ou d’Europe, s’organisaient sous les auspices d’officiers syriens, d’origine algérienne, à l’image de l’officier supérieur de l’armée syrienne, l’Algérien Abderrahmane Khelifaoui, qui faisait le maximum pendant la Révolution de Novembre. Celui qui deviendra, plus tard, le Premier ministre du temps de Hafez El Assad et restera a ce poste pendant treize ans.
En 1956, un collectif de personnalités syriennes, avec la collaboration de quelques Algériens, responsables de l’Association organisait une semaine de quête et de collecte d’armes au profit des combattants algériens. On notait la présence de notables : le Dr Mâmoun El Kouzbari, président de l’Assemblée nationale, Sabri El ‘Assali, ministre de l’Intérieur, Cheikh Ahmed Kaftaro, Mufti de la République, Cheikh Abderrahmane Et-Taba’, ministre d’El Awqaf, Cheikh Othmane En-Nouri, grand mécène de Damas, Cheikh Mohamed Mekki El Kettani (algéro-marocain), président de l’Association de libération du Maghreb arabe, et les Algériens Mohamed El Moubarek, ministre de l’Agriculture, Mamdouh El Moubarek, président de l’Association et autres, dont le Dr Mohamed Saïd El ‘Arbi, professeur d’université.
Concernant ces actions, il y avait une des plus déterminantes, qui s’ajoutait aux grands efforts que prodiguaient les Algériens et les Syriens au profit de la lutte de Libération nationale. C’était celle qui organisait les départs de volontaires vers les maquis algériens. Ainsi, un bon nombre de jeunes, parmi ceux de la communauté algérienne, des «fidayine» de la cause palestinienne et syrienne – encore en vie – ou, tout simplement, leurs enfants, de même que de nombreux Syriens qui se comptaient parmi les élites, les médecins, notamment. Parmi ces derniers, nous citons Nouredine El Atassi, devenu chef d’État en Syrie, Yusuf Zuaïyn, son Premier-ministre, Ibrahim Makhos, ministre des Affaires étrangères et Habib Haddad, ministre de l’Information, de même que d’autres, parmi les hauts cadres de la Syrie.
L’Association accueillait également les combattants algériens venant des maquis, pour des raisons de soins ou d’études. Pour ce dernier aspect, il faut expliquer qu’un bon nombre de jeunes combattants à l’époque, sortis directement des maquis, ont bénéficié de solides études militaires dans les académies d’Alep, Homs, le Caire, Bagdad. Pour ceux de Syrie, la liste est assez riche, tant au niveau du nombre qu’au niveau de la qualité des promotions que ces jeunes combattants ont «arrachées» devant de solides concurrents syriens et autres élèves officiers de pays arabes.
Ceux-là, de véritables combattants, ont été aussi talentueux dans leurs études que respectables dans leur comportement. Nous avons à l’esprit les Abderrezak Bouhara, major de promotion à l’Académie militaire de Homs, et son ami Hocine Benmaâlem, autre promu dans les hautes études militaires, de même que d’autres officiers, les Kamel Ouartsi, Si Larbi Lahcène, Mohamed Alleg et Abdelhamid Ibrahimi. Nous citerons encore la promotion des élèves-officiers pilotes de l’air qui suivaient leurs études à l’Académie d’Alep : les Yahia Rahal, Mustapha Doubabi, Tahar Bouzghoub, Ismail Ouyahia, Rabah Chellah et Salah Boudaoud. Il y avait encore une promotion de hauts techniciens de l’aviation à Lattakieh. Il s’agit de Belkacem Moussouni, Faouzi Abderrahmane, Kamel Chikhi, Hadfi Rahal et Azzedine Mellah.
Nous n’allons pas oublier, dans ce cadre-là, la promotion de la plus grande Académie d’aviation du Moyen-Orient, située à Belbis en Égypte, celle qui a donné de grands aviateurs, comme les Hocine Senoussi, M’hamed Bencherchali, Mustapha Daouadji, Nour Eddine Benkhoucha et Mohamed Belmechri.
K. B. (*) Ambassadeur, ancien ministre et sénateur