OPEP+ face aux tensions géostratégiques, M’hamed Hamidouche à El Moudjahid : «anticiper les incertitudes du marché»

El Moudjahid : L'Algérie est prête à prendre les mesures nécessaires pour maintenir la stabilité du marché pétrolier. Selon le ministre de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, l’OPEP+ se réunira le 5 septembre prochain pour évaluer les développements du marché pétrolier et ses perspectives ; quelle est votre analyse ?

Pr Hamidouche : Le prix du pétrole est déterminé en fonction de l’offre et de la demande. Je rappelle que l’offre provient des compagnies qui extraient le pétrole et la demande émane des raffineurs qui transforment le pétrole brut en produits finaux (carburants, combustibles, matière première pour  différentes industries). Et L’OPEP, qui représente actuellement près de 40% de la production mondiale de brut, cherche à réguler le prix du pétrole par un effort coordonné entre ses membres dans lequel chacun dispose d’un quota de production arrêté lors de chaque réunion. Il faut, toutefois, qu’il y ait une unanimité des membres pour qu’une décision de hausse ou de baisse de la production de pétrole soit actée. Or l’offre mondiale pétrolière dépend des capacités des producteurs caractérisées par des gains ou des pertes d’unités productives à caractère conjoncturel (ouragan, tempête, inondation, sabotage, etc.) et temporaire (Nigeria et Angola pour des raisons internes à vocation politique et/ou technique) ou permanent (Venezuela, Iran et Russie à cause de tensions géopolitiques et le déclin de certains gisements (mer du Nord, l’exemple le plus connu). En plus, cette offre a été affectée par le manque d’investissements depuis la crise des subprime de 2008/2009 où les investissements annuels mondiaux avant ces dates ont été revus à la baisse depuis cette date, accentuée par le covid-19 en 2019, passant de 800 milliards de $ US/an  à moins de 400 milliards de $ US/an. Ainsi, c’est la baisse des cours sur cycle long qui a dissuadé les efforts d’investissement, en rendant plus incertain le rendement de toute découverte future de nouveaux champs pétroliers, et en particulier le pétrole de schiste rentable au prix supérieur à 60 $ US. En conséquence, les capacités de production stagnent et l’offre totale en mb/j était évaluée à 100,6, 40,6 et 95,2 respectivement pour les années 2019, 2020 et 2021 et estimée à 101,1 pour 2022 et 2023. Soit une croissance de 4,9% entre 2021 et 2022 et que cette croissance est revue à la baisse entre 2022 et 2023 à un taux moins de 1%. Alors que la demande mondiale de pétrole est significativement dépendante de la dynamique de la récession ou de la croissance économique, et très influencée par celle des grands pays consommateurs tels que la Chine —suite  aux efforts d’investissement pour le développement d’infrastructures, l’extension du parc automobile, etc.) donnant lieu à des besoins énergétiques croissants. La demande totale pétrolière en mb/j a été évaluée à 100,7,  91,7 et  97,5 respectivement pour les années 2019, 2020 et 2021 et estimée pour les années 2022 et  2023 à 99.2 et 101,3 soit une croissance de 1,7% entre 2021 et 2022 et de 2,1% entre 2022 et 2023. Et par voie de conséquence, l’année 2022 a connu un déficit entre l’offre et la demande durant son premier trimestre de 700 mille b/j, face un excédent qui oscille entre 1,1, 1,8 et 1,2 mb/j respectivement pour les deuxième, troisième et quatrième trimestres. Il reste entendu que cet écart entre l’offre et la demande sera réduit à un excédent de 600 et 300 mille b/j  pour les deux premiers trimestres de 2023, et un déficit (manque) en pétrole estimé à 500 mille b/j et 1,1 mb/j pour les deux derniers trimestres de l’année 2023. Ces écarts seront compensés en cas d'excédent d’offre par un effort collectif de réduction de production des pays de l'alliance entre l'Organisation des treize pays exportateurs de pétrole (Opep) et ses dix alliés, dirigés par la Russie en prenant en compte une série de paramètres et contraintes propres à chaque pays. En cas de déficit en pétrole (la demande supérieure à l’offre), les stocks stratégiques et commerciaux de pétrole sont utilisés sur le plan interne ou exportés, et c’est le cas des exportations américaines vers l'Europe suite à l'embargo sur pétrole russe et en remplacement du gaz naturel devenu trop cher qui a atteint 4,8 mb/j durant le printemps 2022 et dont l’objectif consistait à réduire la tendance haussière des prix. Pour rappel, les États-Unis ont décidé de libérer 180 millions de barils de pétrole stockés dans les mines du Texas et la Louisiane. Une fois ces quantités stratégiques mises sur le marché, il ne restera qu'environ 350 millions de barils de pétrole comme réserves d'urgence pour les Américains, une capacité suffisante  pouvant assurer l'équivalent de quatre-vingt-dix jours de consommation de pétrole en réserve et qui correspond à 315 millions de barils.  Ainsi, les tensions sur une partie de ces fondamentaux du marché contribuent à la formation des prix du baril de pétrole.

M. Arkab s’est dit «contrarié par la forte volatilité des prix du pétrole observée depuis plusieurs semaines. Quel est l’impact de la hausse du marché pétrolier sur l’économie algérienne ?

D'abord sur le budget de l’Etat, car les dépenses publiques constituent la locomotive de la croissance économique et l’équilibre entre la hausse du prix du baril impactera directement les recettes en matière de fiscalité pétrolière et, par conséquent, un prix moyen supérieur à 71 $ US permettra d’assurer un équilibre entre les recettes et les dépenses publiques  et, sur le plan comptable, d’éviter au Trésor de s’endetter auprès de la Banque d’Algérie (planche à billets) induisant une inflation (la hausse des prix généralisée). Et d’assurer les dépenses de fonctionnement et d’équipement y compris la hausse des salaires des fonctionnaires et également d’alimenter le Fonds de régulation des recettes devant financer les futurs déficits ou le remboursement des emprunts de la Banque d’Algérie ou d’honorer les échéances dues aux obligations du Trésor lancées sur la Bourse d’Alger. Pour rappel, la loi de finances complémentaire, conformément à l'ordonnance n° 22-01 du 3 août 2022, a prévu une fiscalité pétrolière attendue révisée à 45,87%  et constituée par des recettes additionnelles estimées à 1,108 milliard de dinars, soit le double de ce qui était prévu dans le projet de loi de finances 2022, un montant qui permet le financement direct de plusieurs programmes, dont le plan de relance économique. En d’autres termes, le plan de relance de 2020 fixait de multiples objectifs, dont l'atteinte d'un taux de croissance du PIB de 4,30% en 2022, pour s'établir à un taux de 3,84% entre 2023 et 2025. Et au cours de cette période 2023-2025, le secteur des hydrocarbures devrait atteindre un taux de croissance moyen de 3,28% devant consolider la marge de négociation des quotas de l’Algérie au sein de l’OPEP pour toute augmentation de production et de répondre favorablement aux demandes de hausse de livraison d’hydrocarbures, dans le cadre des relations et de partenariat bilatéral. En outre, les hydrocarbures constituent 96% des recettes du pays en devises, une situation des prix du pétrole rendant excédente la balance commerciale de plus de 20 milliards de $ US, donnant lieu à une amélioration des réserves nationales en devises de 45 à plus de 65 milliards de $ US avant la fin de l’année. Ces réserves de change représenteront plus de 17 mois d’importations de biens et services au lieu de 12 mois, en prenant en compte la nouvelle valeur du dollar US sur le marché de change des devises.

L’Algérie se tient prête, avec l’ensemble de ses partenaires de l’OPEP+, à prendre les mesures nécessaires afin de maintenir la stabilité du marché pétrolier international. Quelle est votre lecture à ce sujet ?

L'Opep+ a mis un terme à la politique de réduction de la production depuis 2020, en raison de la pandémie de Covid-19 et de l'effondrement de la demande. Et, depuis, l'OPEP+ a progressivement augmenté sa production, le volume total de production réel étant encore loin de ses niveaux pré-pandémie, en raison des difficultés qu’éprouvent certains pays pour différentes raisons.  Néanmoins, les initiatives de cette alliance dépendent des perspectives sur les marchés pétroliers, mais pour cette fois-ci, il y a beaucoup d’incertitudes, d’abord avec la détérioration de la situation économique mondiale, d’où les craintes d’une récession qui accentuera les risques du côté de la demande mondiale que relève l'AIE dans son dernier rapport, insistant sur l'importance de mesures sur la consommation. En second lieu, l'embargo européen sur le pétrole russe qui doit encore prendre pleinement effet, les stocks mondiaux qui sont particulièrement bas, et les initiatives diplomatiques pour un retour rapide du pétrole brut iranien sur le marché international. Et à noter que l'Iran dispose de près de 100 mb de pétrole et de condensats en stock, prêts à être vendus avec effet immédiat, et une production qui pourrait augmenter autour d’un mb/j en trois mois, alors que la production actuelle de l'Iran avoisine les 2,5 mb/j de pétrole brut, selon l’AIE. Sachant que ces négociations entre l’UE et l’Iran pour la réactivation du Plan d'action global conjoint sont entrées dans une dernière phase, selon les Iraniens. Cependant, malgré ces avancées, un accord américain sur cette question reste très improbable, surtout en période d'élections législatives de mi-mandat (novembre 2022). D’un autre côté, le Venezuela a confirmé que les États-Unis ont autorisé des entreprises pétrolières américaines et européennes à négocier et à reprendre leurs opérations au Venezuela, ce qui ouvrira la voie à la levée partielle ou complète des sanctions qui touchent ce pays. En plus, d’autres facteurs qui doivent être pris en considération dans la construction de la perspective (scénarios), tels que la relance de l’exploitation des gisements plus coûteux et de moins bonne qualité en raison du rendement et des avancées technologiques, le développement des pétroles non conventionnels, les politiques de diversification énergétique (nucléaire, énergies renouvelables), la montée des politiques d'économie d'énergie, le retour de la concurrence des biocarburants permettant de réduire la consommation d'hydrocarbures dans le secteur des transports. Afin de réduire cette complexité, résumant ces incertitudes dans les perspectives du marché pétrolier, sous la menace des approvisionnements russes et d'une reprise de la production iranienne, ça devrait continuer à alimenter la volatilité des prix qui arrangent producteurs et consommateurs entre 80 et 90 $ US.

Des experts en énergie craignent qu’il puisse y avoir un changement sur le marché du pétrole en 2022-2023 ; quelle est votre analyse ? Que faut-il faire justement pour garantir la stabilité du secteur ?

Je vous invite à relire les chiffres que j’ai cités plus haut suite à votre première question sur les perspectives de production pour l’année prochaine où il faut s’attendre à un manque de pétrole sur le marché mondial, où on passera d’un excédent de l’offre estimé à 600 mille barils/jour durant le premier trimestre de 2023 à 300 mille barils/jour durant le deuxième trimestre de la même année. Le déficit en matière d’offre de pétrole devrait être constaté sur les marchés du pétrole à partir du troisième trimestre de 2023 autour de 500.000 barils/jour et qui serait flagrant durant le dernier trimestre de la même année, soit une insuffisance de 1,1 million de barils/jour. Une situation rendue difficile par les tensions géopolitiques et les limites de la production dans plusieurs pays qui ont atteint le pic de la production entre 2010 et 2015. Une situation encore plus complexe à l’horizon 2025-2030. La solution viendrait, d’une part, des pays consommateurs qui trouveront d’autres alternatives au pétrole telles que l’énergie nucléaire, le retour au charbon, le gaz et, d’autre part, du marché lui-même à cause de la résilience du pétrole, car lorsqu’il y a un déficit dans l’offre, l’équilibre dans le marché est assuré par le prix. Mais cette hausse a ses limites, car les ménages et entreprises réduisent leur consommation à un certain seuil due à ce prix conduisant à un cycle de récession économique et impliquant la baisse de la consommation, c'est-à-dire la dégradation des prix du pétrole de nouveau.  En conséquence, la notion de stabilité est cyclique, sur les cycles courts (3 ans), les consommateurs et les producteurs se trouvent sur l’une des tendances tout au long du cycle, pour les cycles moyens (de 3 ans à 10 ans), les antagonistes, consommateurs et producteurs, bénéficient et subissent à la fois la phase favorable et défavorable, quant aux cycles longs, les pays producteurs sont favorisés car on arrive à la limite de la croissance de la production du pétrole vis-à-vis de la demande qui sera ressentie, notamment durant la prochaine décennie.  

S. B.

Sur le même thème

Multimedia