Zahir Bettache*, consultant en droit du travail à El Moudjahid : «Les décisions du Président au profit des travailleurs réduisent la pauvreté et soutiennent le pouvoir d'achat»

Entretien réalisé par : Neila Benrahal

  • Redonner au travail sa véritable valeur est un enjeu important pour notre société
  • La liberté d’entreprendre, principe largement consacré par les dispositions de la Constitution

Zahir Bettache, consultant en droit du travail, affirme dans cet entretien accordé à El Moudjahid que la revalorisation des pensions de retraite et de l’allocation chômage décidée par le président de la République «est une démarche qui ne peut qu’être applaudie pour ses effets bénéfiques visant à réduire la pauvreté et soutenir le pouvoir d’achat des chômeurs et des retraités. Cela peut également avoir un effet bénéfique sur la consommation et stimuler la croissance économique en général».

El Moudjahid : La célébration de la Journée internationale des travailleurs est marquée cette année par la revalorisation des salaires, des pensions de retraite et de l’allocation chômage décidée par le président de la République. Quelle lecture en faite-vous ?

Zahir Bettache : La Journée internationale des travailleurs est une journée importante dans le calendrier de nombreux pays et le nôtre n’est pas en deçà de cette célébration. Elle est souvent associée à la lutte pour les droits des travailleurs, et surtout, je souligne, à la reconnaissance de la participation de ces derniers à l’essor économique national et leur contribution à la société. Or, cette année, plus précisément, —et ce n’est pas spécifique à l’Algérie— la symbolique de cette journée est malheureusement renforcée par l’absence d’espaces de concertation, non seulement pour les travailleurs mais aussi pour les autres parties à la production, à savoir les pouvoirs publics représentés par le Gouvernement ainsi que le patronat.
Vous allez croire que je parlerais de l’absence de moyens pour faire valoir les droits et intérêts des travailleurs et d’encourager la mobilisation et la protestation… et de revendiquer des espaces d’expression de leur mécontentement face à des conditions de travail inacceptables, des salaires insuffisants, des discriminations ou des violences... Loin s’en faut. Il est juste préconisé, à mon sens, que les travailleurs disposent d’espaces de concertation avec les employeurs, les autorités publiques et d’autres parties prenantes pour trouver des solutions durables et acceptables, de conforter la participation et l’inclusion des travailleurs dans la vie économique, et par conséquent de renforcer la solidarité et la cohésion sociale tant recherchée et de redonner à la notion du «travail» toute sa valeur et son importance.
Pour ce qui est de la revalorisation des salaires, en général, la question est une arme à double tranchant. Elle peut être positive, comme elle peut être négative, et cela dépend de nombreux facteurs et de la manière dont la revalorisation des salaires est mise en œuvre. Une augmentation des salaires n’étant point accompagnée d’une augmentation de la productivité et de la valeur du travail peut entraîner une inflation à court et/ou à moyen terme et des conséquences sur le plan économique à long terme. En revanche, si les salaires sont augmentés en parallèle avec une augmentation de la productivité, cela peut stimuler l’économie en général et améliorer les conditions des travailleurs et le pouvoir d’achat en particulier.
En revanche, pour ce qui est de la revalorisation des pensions de retraite et de l’allocation chômage décidée par le président de la République, une telle démarche ne peut qu’être applaudie pour ces effets bénéfiques visant à réduire la pauvreté et à soutenir le pouvoir d’achat des chômeurs et des retraités. Cela peut également avoir un effet bénéfique sur la consommation et stimuler la croissance économique en général. Sauf qu’il convient également de souligner en gras que pour la revalorisation de l’allocation chômage, celle-ci ne peut être envisagée que dans le cadre d’une politique plus large, à savoir dans le cadre du soutien à l’emploi et à la formation ainsi qu’en favorisant l’employabilité des travailleurs et la création d’emplois.
Quant à la revalorisation des pensions de retraite, qui n’est autre qu’un ajustement effectué sur les montants, elle devrait intervenir chaque fois pour les maintenir à jour avec l’inflation ou pour améliorer leur niveau en fonction des circonstances économiques et sociale, notamment par référence à l’évolution de l’indice des prix à la consommation. Enfin, il est essentiel que les pouvoirs publics prennent des mesures pour s’occuper de cette frange de la société, car ces derniers ont souvent des besoins particuliers liés à leur âge et à leur santé et subvenir à leurs besoins de base et maintenir un niveau de vie, le moins qu’on puisse dire, décent.

Vous plaidez pour l’augmentation de la productivité et de la valeur du travail. Comment peut-on valoriser le travail, d’autant que le Président Tebboune a insisté sur cela?

Redonner au travail sa véritable valeur est un enjeu important pour notre société.
L’aborder signifie toucher du doigt l’essentiel, car le travail est à la fois un moyen de subsistance et une source d’épanouissement personnel pour les individus et pour la collectivité, et le pays en général, il s’agit du critère le plus prépondérant pour se classer parmi les «pays développés». Simplement, il n’est pas du tout facile de réapprendre à se retrousser les manches lorsque la culture de l’inertie et du gain facile s’est répandue fatalement. Je ne suis pas en train de brosser un tableau des plus sombres, mais la réalité est là devant nous.
Tout de même, l’espoir est toujours à l’avant-garde lorsque la question relève du sort d’un pays aussi cher, pour reprendre le sentiment et l’engagement indéfectible de nos ailleux lorsqu’il s’agit de répondre à l’appel de la patrie. Parmi les premières mesures, lorsque la volonté politique est ainsi affichée clairement, renouer avec toutes les bonnes volontés qui peuvent apporter une plus-value à la question.
Par la suite, l’autre mesure à prendre pour redonner au travail sa véritable valeur est de s’assurer que les niveaux de salaires soient justes et équitables, puis investir dans la formation professionnelle et le développement de la ressource humaine pour acquérir les compétences et pour rester compétitifs sur le marché du travail, et enfin reconnaître et promouvoir l’importance du travail comme seul critère de réussite.

L’Algérie s’oriente vers le développement de l’économie dans un contexte mondial difficile. Comment le travailleur peut-il participer efficacement dans l’édification d’une économie productive et créatrice de richesse et d’emplois ?

Les travailleurs sont la clé de toute l’économie d’un pays. Ils sont à la fois les acteurs et les bénéficiaires de l’activité économique. Les travailleurs produisent des biens et des services, génèrent des revenus et consomment des biens et des services. De plus, leur travail peut contribuer à la croissance économique et à la création d’emplois.
Par conséquent, il est important de souligner qu’ils ne sont pas les seuls dans cette équation. Les pouvoirs publics, les employeurs en sont de même. Et de là, il est très important de revenir, comme je l’ai clairement signifié plus haut, aux espaces de concertation et de dialogue, que ce soit en interne dans l’entreprise, ou bien à un niveau supérieur tripartite.
Pour revenir aux travailleurs, ces derniers peuvent influencer les politiques économiques en faisant «pression» pour des politiques qui favorisent l’emploi, la formation et la protection sociale, qui ne peuvent être exaucées qu’en s’engageant également dans des organisations professionnelles. Donc s’engager dans l’action collective, qui au jour d’aujourd’hui appelle à plus d’un titre à l’ouverture d’un débat serein sur la question, dans le seul but est l’édification d’une économie productive et créatrice de richesse, et surtout persistante, loin des impératifs des cours du pétrole et des exigences ponctuelles.
L’autre critère important se situe dans la liberté d’entreprendre, principe largement consacré par les dispositions de la Constitution algérienne en vigueur en encourageant bien sûr l’innovation et la créativité, favoriser la collaboration et la participation tout en s’engageant dans la responsabilité sociale non seulement de l’entreprise mais aussi dans la vie de tout un pays.

N. L.

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* Zahir Bettache, consultant en droit du travail, gérant de Pro-Cible, agence de communication et d’accompagnement, et auteur de plusieurs publications : Grand manuel du Droit du travail ; Le Grand manuel de la Sécurité sociale ; Lexique du Droit algérien

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