Témoin direct des essais nucléaires dans le Sahara algérien : La mémoire radioactive du Sahara

Raymond Sené, ce scientifique qui a consacré toute sa vie à dévoiler les vérités que la France a préféré taire.

Témoin clé des essais nucléaires français dans le Sahara algérien, Raymond Sené, physicien nucléaire et acteur de premier plan de la lutte antinucléaire, s’est éteint le 6 mai dernier à l'âge de 90 ans. Il avait consacré sa vie à dévoiler les dangers du nucléaire et à dénoncer les mensonges de l’État colonial et de la France. Son parcours exceptionnel, né au cœur du Hoggar durant les essais nucléaires français au Sahara, s’est étalé sur plus de cinquante ans.
Il fut un défenseur infatigable, révélant les dangers de l’atome et opposant un savoir critique au discours officiel, souvent mensonger. D’autant plus que la France, héritière du colonialisme, a longtemps nié et occulté les conséquences sanitaires et environnementales dramatiques de ces essais, perpétuant un silence complice face à ces crimes. Le 1er mai 1962, ce jeune physicien affecté au titre de militaire sur le site d’In Ecker, dans le nord de Tamanrasset au cœur du Hoggar, assista à l’essai Béryl, un tir atomique «raté» qui projeta des retombées radioactives sur des centaines de kilomètres. Il passa six mois à mesurer la radioactivité et à documenter les conséquences de cette catastrophe invisible, dont les traces, elles aussi invisibles, continuent de hanter les mémoires, tandis que la France persiste à refuser de reconnaître ses crimes coloniaux contre l’humanité.
Cette expérience bouleversa sa détermination à combattre un système nucléaire opaque et dangereux, qui cachait les souffrances des populations locales, contaminées dont le nombre resta à ce jour inconnu. Avec son épouse Monique, elle aussi physicienne, Raymond Sené devint un pilier du Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN), fondé en 1975 en France.
Leur collectif lutta pour une information indépendante, rigoureuse, et remit en cause la politique française qui, sous le plan Messmer, engagea la construction massive de centrales nucléaires dans les années 1970. Dérangeant par sa rigueur scientifique et son engagement, Sené contribua à légitimer la contestation antinucléaire, longtemps rejetée comme l’expression de militants marginaux. Son travail de lanceur d’alerte s’étendit bien au-delà du Sahara, avec une vigilance accrue lors des catastrophes de Three Mile Island (1979) et de Tchernobyl (1986), moments où sa parole publique devint une référence pour comprendre et dénoncer les dangers du nucléaire.
Sa mémoire exceptionnelle, et son sens de la pédagogie firent de lui une figure respectée parmi les scientifiques et militants du monde entier. Raymond Sené, mort le 6 mai dernier, a laissé derrière lui un héritage important, celui d’un homme qui sut, à travers ses combats, mettre en lumière les liens toxiques entre colonialisme et nucléaire, et rappeler que l’information libre était la meilleure arme contre les projets dangereux et secrets de l’État français.

A. F.

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