
Arezki Zerrouki (*)
De nombreux pays, surtout les plus développés, utilisent dans leur jargon la notion de minéraux/métaux critiques et stratégiques, pour faire face à la transition énergétique qui nécessite une palette de ressources minérales assez particulières, tant leur distribution à travers le monde et la maîtrise des process de traitement et de raffinage sont limitées à quelques pays.
Le cas des métaux rares et des terres rares est bien connu et bien documenté. Toutes les technologies de pointe, utilisant ces matériaux assez particuliers, sont détenues par une poignée de pays et d’entreprises qui maitrisent les process de transformation.
Prenant le lithium et les terres rares ayant des ressources/réserves assez conséquentes dans plusieurs pays africains, où plusieurs gîtes sont en cours de développement ou d’exploitation. Ces substances sont-elles critiques ou stratégiques pour les pays qui en disposent ? Objectivement, non. Revenant à la définition de ces concepts : La criticité est évaluée en fonction de l'importance économique et du risque d'approvisionnement de l’économie du pays concerné. Le caractère stratégique est évalué en fonction de l'importance pour la défense et de la souveraineté nationale.
Etant donné le caractère sensible de ces substances et leurs usages, le niveau de leur transformation, dans les pays africains qui en disposent, ne dépasse pas le stade d’obtention des concentrés (par exemple concentré de spodumène pour le Li), qui seront ensuite exportés pour raffinage en Chine ou ailleurs (Royaume Unis ?). La valeur ajoutée sera donc générée ailleurs et les utilisations industrielles se feront encore ailleurs.
Les entreprises et les pays qui détiennent le savoir-faire de ces chaines de transformation se comptent sur les doigts d’une main (4-5 à travers le monde). La fabrication des batteries des véhicules électriques se fait généralement dans les mêmes pays : Chine, USA, Australie, Canada, Allemagne…
Les listes des métaux/minéraux stratégiques et critiques arrêtées par l’UE, par exemple, ne sont critiques et stratégiques que pour leurs industries vis-à-vis des monopoles détenus ailleurs. Le règlement européen de 2023 montre bien cette situation critique des économies européennes dépendantes à plus de 95% de la Chine et autres.
Cette liste européenne n’est pas valable et applicable pour nos pays, vu les niveaux d’industrialisation dont les causes sont connues. Ceci dit, la bataille des énergies vertes et de transition est celle de pays développés ; celle des minéraux critiques se fait ailleurs, pas en Afrique, du moins pour le moment, vu que les brevets sont détenus ailleurs. Les pays africains, avec leurs ressources, ne seraient que des fournisseurs de ces pays comme la Chine, à un niveau le plus bas de la valeur-ajoutée, limitée à l’obtention des concentrés. Le raffinage procure beaucoup plus de valeur, avec grand coefficient multiplicateur.
Rentrer dans cette «bataille» ne profitera pas à nos pays respectifs, en cette phase, car elle se mène ailleurs et les luttes sont féroces entre les grandes puissances que sont la Chine, les USA... C’est un peu comme durant la Guerre mondiale, nos pays ont juste alimenté les fronts de bataille en chair à canons et les occidentaux ont récolté les dividendes. Engager actuellement l’exploitation des minéraux critiques définis par les européens dénudera et videra notre sous-sol, sans contrepartie et sans valeur-ajoutée.
Dans notre pays, par exemple, le fer, le manganèse, le zinc, etc. sont critiques car la filière sidérurgie indispensable pour le développement des autres industries (automobile, électroménager, appareils de forage...) dépend actuellement des importations. L’agriculture consommatrice d’engrais a besoin de toute la filière phosphate (de la carrière à l’usine de production des engrais), pour arriver à l’autosuffisance alimentaire. Le besoin de mise en exploitation et de transformation de ces substances est extrêmement ressenti, d’où la célérité impulsée par les pouvoirs publics sur ces gisements à exploiter, minerais à traiter et à transformer localement en produits finis utilisables par les autres filières industrielles.
Ce qui est critique en Europe ne l’est pas forcement chez nous. Nos besoins ne sont pas au même niveau, mais cela ne nous dispense pas de mobiliser les chercheurs pour cumuler les connaissances nécessaires à la recherche scientifique à mettre, au moment opportun, au profit du développement des projets à grande valeur ajoutée et à contenu local.
C’est pour cela que la décision de surseoir à l’exploration et l’exploitation des terres rares et métaux rares est importante. L’enjeu est actuellement entre les mains de quelques pays qui souhaitent que l’on participe avec nos ressources minérales, qui seront transformées ailleurs, chez eux, et l’on videra notre sous-sol de son contenu local (la substance) et sans contenu local, au sens économique, comme part de la chaine de valeur ajoutée.
On doit se focaliser sur les substances minérales qui feront émerger et redécoller nos industries, sans oublier de se frotter aux grands laboratoires de recherche, pour maitriser les process et les techniques qui seront mis en œuvre au moment voulu par les générations futures. La prise en charge de la palette des substances pour lesquelles nous avons d’importantes ressources et qui sont actuellement importées (pierres ornementales, bentonite, barytine, sels, dolomie, sables…) est primordial car, pour beaucoup, les process de transformation sont maitrisés ou à la portée de nos industriels.
(*) Expert agréé / Consultant ressources minérales et géologie
arezki.zerrouki@yahoo.fr