
Au cœur du Xinjiang, entre les ruelles animées d’Ürümqi et les décors envoûtants de Turpan, un contraste fascinant s’observe entre traditions et modernité, jusque dans le regard et les tenues des jeunes femmes.
À Turpan, ville aux accents historiques, des jeunes filles, vêtues de longues robes aux motifs floraux, déambulent paisiblement, incarnant une douceur et une sobriété profondément ancrées dans les traditions locales. Elles affichent un mode de vie calme, parfois réservé, presque effacé, en parfaite harmonie avec le décor serein des quartiers anciens et des oasis en bordure du désert.
À des centaines de kilomètres, Ürümqi brosse un tout autre portrait. Ici, la jeunesse vibre au rythme d’une modernité assumée. Dans les marchés à ciel ouvert, en pleine nuit, la foule est dense. Il est minuitpassé, mais les rues sont encore pleines : commerçants affairés, cris des vendeurs, parfums de grillades, lumières des stands… tout y est effervescent. Les filles, habillées avec élégance et modernité, sont nombreuses à arpenter les allées. Et surtout, elles sont souriantes, accueillantes. L’apparition d’un visiteur étranger attire aussitôt des regards bienveillants : certaines jeunes femmes saluent avec un sourire franc, d’autres demandent timidement d’où l’on vient, et plusieurs se prennent en selfie avec enthousiasme.
Dans les rues de Turpan ou d’Ürümqi, entre les souks traditionnels, les boulevards modernes et les ruelles ombragées de bougainvilliers, Xinjiang contemporain révèle une facette étonnante de son identité : celle d’une jeunesse en éveil, ancrée dans ses traditions mais résolument tournée vers l’avenir.
Au fil des rencontres, des échanges dans les marchés animés et des déambulations au cœur des quartiers populaires, c’est toute une génération qui se donne à voir, dans sa diversité et sa spontanéité.
Des jeunes entre fierté culturelle et modernité assumée
Dans les jardins publics, dans les muséeset sur les places bordant les anciens caravansérails, les jeunes Ouïghours, Kazakhs, Han ou Hui cohabitent naturellement. Beaucoup arborent fièrement des vêtements inspirés de leurs traditions – longues robes aux broderies colorées, foulards brillants, chemises en soie – mais associent le tout à des baskets dernier cri ou des smartphones haut de gamme.
Ils discutent, écoutent de la musique ouïghoure et internationaleet, surtout, s’ouvrent avec curiosité au monde. Certains parlent anglais, d’autres demandent d’où viennent les visiteurs, souvent avec le sourire et une aisance désarmante.
Impossible de comprendre Xinjiang sans plonger dans ses marchés : véritables carrefours humains, culturels et économiques. Celui d’Ürümqi, immense et organisé, regorge de produits locaux – fruits secs, tissus brodés, instruments de musique, céramiques et épices. Les jeunes y travaillent souvent aux côtés de leurs parents ou gèrent eux-mêmes des échoppes modernes, affichant des QR codes pour paiement mobile.
À Turpan ou à Ürümqi, les étals débordent de raisins secs, de pains ronds traditionnels (le nan), de dattes et d’artisanat finement ouvragé. On y voit aussi de jeunes couples prendre des selfies, des écoliers en sortie pédagogiqueou de jeunes vendeurs qui partagent avec fierté l’histoire de leurs produits.
Les générations se croisent, se transmettent les gestes, tout en intégrant de nouveaux codes numériques et commerciaux. C’est un marché, mais aussi un lieu d’apprentissage, de fierté identitaireet de lien social.
Lors d’une grande tournée dans les quartiers populaires non loin de notre hôtel, les marchés à ciel ouvert grouillaient littéralement de monde. Voitures, motos, vélos et piétons se mêlaient dans un ballet bruyant mais organisé, notamment à proximité du métro, non loin du grand marché. Des étals débordaient de marchandises : vêtements, cabas, chaussures, jouets, bijoux artisanaux, herbes médicinales, fruits frais et secs, pains de toutes formes, glaces, jus de pastèque, thé aux plantes, fast-foods, et même de petites brochettes de viande grillées à ciel ouvert.
On y croisait aussi des femmes sur motos transportant leurs enfants, certaines vendant du lait ou des herbes. Des familles entières venaient s’attabler autour de grandes assiettes de plats fumants, tandis que d’autres, assises à même le sol avec leurs enfants, partageaient des repas jusqu’à une heure très tardive de la nuit. L’agitation est palpable mais jamais agressive : une harmonie naturelle règne entre la vie traditionnelle et les expressions d’une modernité bien enracinée.
Ce voyage dans les artères commerciales du Xinjiang révèle plus qu’un simple marché : il donne à voir un peuple chaleureux, une jeunesse connectée à son temps sans renier ses racineset, surtout, une société où l’accueil est une valeur vivante.
Au carrefour des civilisations...
Lors de notre séjour à Ürümqi, dans le cadre du programme «visite de la zone centrale de la Ceinture économique de la Route de la soie», nous avons été particulièrement frappés par l’engouement des jeunes – enfants, adolescents et étudiants – pour les lieux de mémoire et de transmission culturelle. Au Xinjiang Museum, que nous avons visité aux côtés des 35 journalistes venus d’Afrique, d’AsiePacifique et d’Europe, l’affluence était telle qu’il était parfois difficile de se frayer un chemin ou même de prendre une photo. De nombreux élèves, encadrés par leurs enseignantes, visitaient les galeries en groupe, chacun équipé d’un petit appareil à l’oreille diffusant les explications en temps réel. Malgré la pénombre de certaines salles, l’organisation était impeccable. Les pièces exposées – objets anciens, habits traditionnels, ustensiles de vie quotidienne, tableaux, dessins et photographies représentant des scènes des dynasties Qing, Song, Tang ou encore Han – racontaient avec précision et émotion des pans entiers de l’histoire régionale.
Le musée rend hommage aux multiples civilisations qui ont traversé ou façonné le Xinjiang, carrefour stratégique sur l’ancienne Route de la soie. On y découvre les influences croisées des Han, bâtisseurs d’un empire structuré dès le IIe siècle av. J.-C., des Tang, dont l’ouverture vers l’Asie centrale favorisa les échanges culturels, ou encore des Song, réputés pour leurs avancées artistiques et technologiques. Les Qing, dernière dynastie impériale chinoise (1644-1911), ont, quant à eux, consolidé l’intégration du Xinjiang à l’ensemble impérial, tout en respectant la diversité ethnique locale. Chaque artefact racontait une histoire : statues hybrides à corps humain et tête animale symbolisant la force ou la sagesse, vêtements rituels, instruments de musique, objets de culte ou scènes de la vie quotidienne.
Tout semblait pensé dans les moindres détails : rites funéraires, décorations, nourriture, tout y était. Ce musée spacieux, structuré en sections numérotées, offre une immersion totale dans les civilisations qui ont façonné Xinjiang. Nombre d’entre nous ont d’ailleurs immortalisé ces instants par des selfies et photos-souvenirs, témoignant de la richesse patrimoniale que la Chine s’emploie aujourd’hui à valoriser et transmettre.
À l’extérieur ou entre les ailes du musée, de vastes aires paysagées avec des plantes naturelles splendides invitaient à la détente. De nombreuses tables et chaises, disposées avec soin, accueillaient visiteurs et familles venus prendre un moment de répit. On y consommait des produits frais, dans une atmosphère calme et apaisante qui contrastait agréablement avec la densité du parcours intérieur. Ce souci du détail, jusque dans l’aménagement des espaces publics, contribue aussi à l’expérience culturelle globale proposée aux visiteurs.
Jiaohe au crépuscule : quand les ruines prennent la parole
Vendredi soir inoubliable, empreint de mystère, de beauté et d’émotion. Au cœur du Xinjiang, dans l’ancienne ville en ruine de Jiaohe, l’histoire a soudain cessé d’être un passé lointain pour devenir un instant vivant, presque sacré. Ce moment suspendu a commencé par une marche en groupe, souvent en duo, où chaque pas résonnait sur les pierres séculaires sous la lumière dorée du soleil couchant. Le silence imposant du lieu contrastait avec l’intensité des sensations. Les ruines – vestiges d’une civilisation disparue – se découpaient avec majesté sur le ciel embrasé, invitant au respect, à l’émerveillementet au recueillement.
L’endroit, calme et solennel, semblait habité par une présence invisible. Les pierres elles-mêmes paraissaient parler, portées par le vent et une musique discrète, qui semblait jaillir du sol. De petites installations sonores – dissimulées entre les dalles – diffusaient des sons traditionnels : flûtes, luths, voix graves et berçantes… une musique ouïghoure profonde, en parfaite harmonie avec le paysage. Ce moment de grâce nous a accompagnés tout au long du parcours sinueux jusqu’à l’esplanade où, à la nuit tombante, un spectacle a été offert.
Assis en cercle, dans une atmosphère apaisée, nous avons assisté à une performance musicale ouïghoure, portée par des chants aux intonations puissantes, nostalgiqueset presque mystiques. Chaque note semblait éveiller les pierres et effleurer les âmes. Les émotions étaient fortes, inhabituelles, presque irréelles. Nous n’étions plus simples visiteurs : nous étions immergés dans une mémoire vivante. Puis vint la cérémonie des bougies : à la nuit noire, hommes, femmes, familles, jeunes, enfants, touristes et habitants ont afflué en silence. L’ambiance était dense, respectueuse, presque religieuse.
Une jeune fille, originaire d’une région voisine, s’est approchée avec curiosité. Son sourire, naturel et chaleureux, a brisé la glace. Elle nous a demandé notre origine et s’est enthousiasmée à l’idée que des étrangers s’intéressaient à«son endroit préféré». Elle a même marché avec nous jusqu’au bout de l’itinéraire, fière de partager ce qu’elle considère comme un trésor culturel.
Le spectacle s’est terminé dans une mise en scène parfaitement chorégraphiée. Le speaker – probablement conteur ou guide spirituel – récitait un texte en chinois, accompagné de lumières projetées sur les parois des grottes naturelles en hauteur. Les effigies de Bouddha se sont lentement révélées sous les halos lumineux, achevant cette soirée en une image presque sacrée.
Il a ensuite invoqué des prières, invitant chacun à prendre une bougie disposée en contrebas, puis à monter lentement les petits escaliers en bois pour la déposer à l’endroit sacré, en formulant ses propres vœux. Ce geste symbolique, accompli en silence sous la présence du guide, a conféré à la cérémonie une profondeur spirituelle rare et sincère.
Ce moment de recueillement collectif, intime et profond, a donné aussi à la cérémonie une dimension presque spirituelle, au-delà de la simple performance culturelle.
Le retour vers le bus s’est fait dans un silence partagé. Ce que nous venions de vivre ne se raconte pas aisément. C’est une expérience qui marque, un instant de communion entre l’homme, la terre, la lumière et le son. Jiaohe, ce soir-là, n’était pas une simple ruine archéologique. C’était un théâtre vivant, où les siècles se sont superposés pour faire vibrer le présent.
YarhuGrotto : au royaume du Roi-Dragon...
Avant de rejoindre la cité en ruine de Jiaohe pour une soirée inoubliable, notre délégation a entamé la journée par une exploration fascinante des grottes de Yarhu, un site méconnu niché au creux de montagnes verdoyantes à flanc de vallée, et qui dégage une force spirituelle discrète mais puissante. Situé non loin de Turpan, ce lieu, encore préservé du tourisme de masse, est un joyau naturel et patrimonial, témoin de la ferveur religieuse de la région à travers les siècles.
Nous avons entamé la visite en groupe, suivant un sentier bordé de petites montagnes verdoyantes, traversé par une rivière à la teinte verdâtre lumineuse, qui ajoutait au paysage une dimension paisible et presque irréelle. De longs escaliers en bois serpentent le relief, conduisant les visiteurs vers des grottes creusées à même la roche. Le tout est parfaitement aménagé, avec des clôtures de bois, des portes finement sculptéeset une organisation discrète qui respecte l’esprit du lieu.
Sur place, nous avons été rejoints par une jeune guide locale, arrivée en moto, habillée simplement, avec une aisance et une gentillesse naturelle. Elle s’est mêlée à notre groupe sans protocole, prenant le temps de marcher à nos côtés le long du chemin, tout en nous fournissant des explications précises et passionnantes sur les origines des grottes. Elle nous a raconté l’histoire du lieu, façonnée par la foi bouddhique, et notamment la légende du Roi-Dragon, esprit protecteur vénéré dans certaines traditions de la région.
À l’intérieur, les dessins muraux ont captivé tous les visiteurs. Malgré les siècles, les pigments sont encore visibles : des scènes religieuses, des figures de moines, des représentations de Bouddha et d’êtres mythologiques. Chaque grotte semble raconter un fragment de cette histoire millénaire où la spiritualité, l’art et la nature ne font qu’un. Certaines portes anciennes, en bois gravé, semblent garder le silence des siècles passés.
Tout au long du parcours, les membres de la délégation ont multiplié les photos, pris des selfies au pied des escaliers, devant les grottes ou près des points de vue donnant sur la vallée. Le lieu invite autant à la contemplation qu’à la curiosité. Aucun bruit mécanique, aucune foule : seulement le bruissement du vent, les voix feutrées des visiteurset la présence tranquille des lieux.
YarhuGrotto, c’est une parenthèse suspendue dans le temps, un espace de mémoire creusé dans la pierre et conservé avec un soin touchant. Cette visite, en début de journée, a posé le ton d’un vendredi placé sous le signe de l’introspection, de la beauté naturelleet de la transmission culturelle.
Des valeurs communes malgré la diversité
En somme, la jeunesse du Xinjiang est plurielle, mais unie par un même désir de vivre pleinement son époque. Dans les discussions, reviennent souvent des thèmes comme la famille, la paix, la stabilité, le respect des traditions… mais aussi la soif d’échanges, de voyages et d’innovation.
Ici, les frontières entre rural et urbain, entre l’héritage et la moderniténe sont pas des oppositions, mais des complémentarités assumées.
Le regard porté par cette jeunesse sur elle-même, mais aussi sur les visiteurs, est un miroir d’un Xinjiang plus nuancé et apaisé que ce que véhiculent parfois les récits extérieurs. Entre les ruelles commerçantes et les sites patrimoniaux, les visages rencontrés témoignent tous d’une même chose : l’avenir se construit ici, dans l’échange et la dignité.
Ainsi se referme ce voyage à la croisée des regards et des cultures, entre spiritualité millénaire, vitalité marchande et jeunesse en éveil. Xinjiang ne se résume pas à une carte, une statistique ou une image figée : il est une terre habitée, vivante, vibrante. Dans les ruines de Jiaohe, dans le silence des grottes de Yarhu, comme dans l’effervescence des marchés nocturnes, c’est un peuple entier qui s’exprime, avec ses mémoires et ses espérances. Ici, l’avenir se conjugue au pluriel, enraciné dans l’héritage et porté par une jeunesse qui, loin du tumulte, avance avec grâce, fierté et dignité.