Une utilisation grandissante des moyens de paiement électronique est observée, ces dernières années, partout à travers le monde.
Payer par carte, régler une transaction par virement électronique, acheter par mobile ou par QR Code est devenu la règle, l’exception étant d’utiliser le cash.
Contribution de Dr Abdelkarim DAHMANI (*)
L’accroissement de l’utilisation des moyens de paiement électronique dans un monde en transformation numérique continuelle a fortement diminué l’usage de la monnaie fiduciaire et a permis le développement des échanges commerciaux, le changement des comportements des consommateurs et l’émergence du commerce électronique.
En Algérie, les transactions opérées par paiement électronique, comprenant, entre autres, les paiements en ligne et les paiements de proximité́ par TPE, demeurent à des niveaux relativement faibles, comparées à celles effectuées en espèces. Le cash demeure, sans appel, le moyen de règlement le plus privilégié dans notre pays, ce qui se traduit souvent par une augmentation constante de la masse monétaire qui circule en dehors du circuit financier formel. À ce titre, les services de la Banque d’Algérie estiment que le marché́ informel contient des sommes allant entre 6.000 à 7.000 milliards de dinars, ce qui nous laisse face à une masse monétaire aux proportions extrêmement élevées sans que cela bénéficie à l’économie nationale.
Un effort considérable doit être consenti par les pouvoirs publics pour remédier à cette situation, dans la perspective d’assurer une plus grande inclusion financière et de contenir davantage l’utilisation massive du cash. La «dé-cashisation» dans notre pays passe inévitablement par la promotion de l’utilisation, à grande échelle, des moyens de paiement électronique et scripturaux. Mais, avant de se pencher sur les éléments pouvant conduire à une plus forte utilisation de ce type de moyens, il faudrait peut-être se demander pourquoi les Algériens recourent plus au cash qu’aux moyens de paiement électronique pour régler leurs transactions au quotidien ?
D’abord, il s’agit d’un problème de disponibilité́ en raison du nombre très réduit des sites web marchands offrant la possibilité́ du paiement en ligne. Car hormis les opérateurs de téléphonie mobile et quelques entreprises du secteur public économique, très peu d’opérateurs économiques ont opté́ pour le paiement en ligne à travers des sites web marchands. S’agissant des paiements de proximité́ par voie électronique, il est à noter également que le nombre de Terminaux de Paiement Électronique (TPE), de l’ordre de 38.000 unités, selon les données communiquées par le GIE-Monétique, ne couvrent qu’une infime partie des espaces commerciaux à travers le territoire national.
Toutefois, des efforts indéniables ont été́ fournis par Algérie-Poste et les banques commerciales pour mettre à la disposition de leurs clients plus de 10,2 millions de cartes de paiement électronique, dont 8,1 millions de cartes ont été́ fabriquées et distribuées par Algérie- Poste.
Ce nombre appréciable de cartes de paiement disponibles sur le marché́ monétique national est disproportionné par rapport au volume des transactions effectuées par voie électronique, ce qui témoigne d’une forte réticence des opérateurs économiques à opter pour le e-paiement et à le proposer à leurs clients. Ce constat est encore plus édifiant lorsqu’on remarque que la quasi-totalité́ de ceux qui activent dans le
e-commerce utilisent le procèdé du «cash in delevry», en proposant des biens et des services en ligne et en concluant les transactions par cash à l’occasion de la livraison.
Il est donc nécessaire de comprendre les véritables raisons pour lesquelles une grande partie de commerçants demeurent réticents à l’adoption du e-paiement comme mode de paiement. L’un des éléments les plus évidents étant la traçabilité́ des opérations du paiement électronique, pouvant exposer les commerçants à une des situations fiscales jugées contraignantes. L’usage du cash reste à des proportions extrêmement élevées en dépit des mesures juridiques prises pour promouvoir les moyens de paiement scripturaux et électroniques, notamment l’obligation du paiement par chèque, en application des dispositions de la loi du 6 février 2005 relative à le prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ou bien l’obligation faite aux commerçants de mettre à la disposition du consommateur des TPE pour lui permettre de faire un règlement électronique de ses achats, en vertu de l’article 111 de la loi de finances de 2018. Mais cette politique nécessite, d’abord, un effort de communication plus accentué auprès d’un large public, car une bonne partie des clients, qui disposent d’une carte monétique, ne savent pas forcément qu’ils peuvent l’utiliser pour payer leur facture d’électricité́, renouveler ou recharger leur abonnement internet ou téléphonique, et acheter leur billet d’avion en ligne, sans avoir à se déplacer au niveau des guichets des entreprises offrant ces prestations.
La généralisation des moyens de paiement électronique peut se faire de la manière la plus diligente dans notre pays si on met en place les mesures appropriées visant à inciter les commerçants à offrir à leurs clients, détenteurs de cartes monétiques, la possibilité́ du paiement électronique de proximité́ et de paiement en ligne.
Cet éventuel passage rapide du cash au e-paiement pourrait s’expliquer par deux facteurs essentiels. D’abord, l’engouement des Algériens pour les nouvelles technologies, qui s’exprime à travers un taux de pénétration d’internet relativement élevé́ (les chiffres de l’Autorité́ de régulation ARPCE parlent de 43,93 millions d’abonnés à internet au deuxième trimestre de 2021). Ensuite, à travers le niveau d’utilisation de la carte monétique reflété par le nombre de transactions monétiques enregistrées, particulièrement en matière d’opérations de retrait réalisées au niveau des distributeurs et guichets automatiques des billets de banque et qui se situent entre 7 et 8 millions de transactions par mois, pour un montant moyen de retrait mensuel de plus de 14 milliards de dinars par mois, selon les chiffres publiés par le GIE Monétique.
L’inclusion numérique des Algériens constitue un atout majeur pour gagner le pari du e-paiement, à la condition d’impliquer l’un de ses principaux acteurs, à savoir les commerçants.
Ces derniers ont tout à gagner avec le paiement électronique qui augmente considérablement leurs chances de vente et diminue sensiblement les risques induits par la manipulation des liquidités. Mais les mesures incitatives pour ce faire ne doivent pas se limiter à une obligation de disposer d’un registre de commerce électronique ou d’une mise à la disposition des clients des moyens de paiement électronique. Les commerçants peuvent se procurer des terminaux de paiement, disposer de sites web marchands juste par obligation «légale», mais n’adhèrent pas à ces moyens de paiement moderne pour les raisons qui leur sont propres.
C’est pourquoi il est plutôt question de rendre le e-paiement comme un outil «attractif», à travers la création d’un besoin à la fois chez les commerçants et les clients, et ce dans le cadre d’une politique particulièrement orientée vers les activités commerciales génératrices des volumes de cash importants.
Sur un autre plan, la généralisation des moyens de paiement électronique procure des avantages multiples à l’ensemble des intervenants dans ce processus. L’Etat, les acteurs monétiques, les commerçants et les consommateurs peuvent tous tirer profit de la digitalisation des moyens de paiement. Pour les pouvoirs publics, il sera question de promouvoir l’intégration du secteur parallèle dans les canaux officiels en incluant des montants substantiellement considérables de transactions financières quotidiennes qui viendraient renforcer l’accroissement des dépôts au niveau des institutions financières (banques commerciales et Algérie-Poste) et en renforçant ainsi leurs capacités à financer l’économie. Cette augmentation des avoirs créditeurs des institutions financières, à travers le développement du e-paiement, sera assurément corrélée à une diminution conséquente du volume du cash, avec tout ce que cela comporte comme aspects positifs pour le marché financier national.
À travers cette politique d’inclusion financière, les pouvoirs publics seront également en mesure de gérer, de manière plus efficace, les différentes prestations sociales et de solidarité́ nationale, destinées aux catégories les plus vulnérables qui ne disposent d’aucun revenu. De même, la digitalisation des prestations financières au bénéfice d’une grande partie de la population permet aux pouvoirs publics de disposer de données suffisantes sur les niveaux de revenus des différentes catégories de citoyens en vue de mieux cibler les subventions, prestations et allocations à caractère social fournies par les services sociaux de l’Etat. La généralisation du e-paiement profite aussi aux acteurs de la monétique, particulièrement lorsque ces derniers arrivent à élargir leurs offres de service et, par conséquent, diversifier leurs sources de revenus. Grace aux données dont les acteurs monétiques disposent, la digitalisation des prestations financières permet de mieux connaître les clients pour apprécier leurs besoins et répondre efficacement à leurs attentes.
Bien que le développement du e-paiement offre des avantages indéniables en matière de modernisation des prestations, de facilitations des opérations et de soulagement du réseau physique (postal et bancaire), il demeure entendu que les actions de communication et de mise en place des outils de gestion de la relation client à distance doivent être bien menées et privilégiées dans les plans d’action des acteurs de la monétique dans notre pays. Par ailleurs, la sécurisation des plate-formes du e-paiement en vue de protéger les données et les avoirs des clients, la haute disponibilité́ des systèmes de paiement fournis et leur évolutivité́ technologique doivent être prises en charge par les acteurs monétiques en priorité́ absolue, dans le but de gagner la confiance des clients et de promouvoir le développement du paiement électronique.
Les commerçants réticents pour le moment à s’inscrire dans cette démarche du e-paiement ont tout à gagner avec ce mode de paiement, dans la mesure où ils seront capables d’offrir une meilleure qualité́ de services à leurs clients. L’e-paiement permet aux commerçants non seulement d’avoir plus de possibilités de vente, mais d’avoir plus de visibilité́ à travers les sites web marchands et moins de contraintes en matière de gestion des liquidités. Les commerçants disposeront de plus de capacités à répertorier, à dénombrer et à classifier leurs ventes à travers les outils de reporting offerts par le e-paiement. Ils seront capables de fidéliser leurs clients et d’avoir des informations financières plus affinées en matière de ventes. À ce propos, plusieurs études ont montré́ que la création par les commerçants des sites web marchands et l’adoption des modes de paiement électronique permettent d’augmenter significativement le chiffre d’affaires des commerçants.
Au-delà̀ des biens et des services, objet de ventes, le développement du e-paiement, particulièrement le paiement en ligne, donne lieu à l’émergence d’activités créatrices de richesse et d’emploi, telles que le développement de l’interface des boutiques en ligne, la création de contenus, le e-marketing, les services après-vente, les activités du transport, de la logistique en ligne, de la distribution, de la livraison et d’assurances...
En sus de l’augmentation des chances de ventes et de demandes des clients sur les différents biens et services offerts, le e-paiement, principal pilier du e-commerce, favorise la création des micro-entreprises et des start-up dans le sens où l’écosystème créé par le développement de ces activités engendre un effet d’entraînement sur cette catégorie d’entreprises, basées essentiellement sur la créativité́, l’innovation et les nouveautés technologiques.
Dans cette même optique, les ventes en ligne transfrontalières favorisent l’exportation des biens et services, notamment à destination des particuliers, et c’est à ce titre que les PME/PMI peuvent promouvoir leurs produits et services sur le marché́ d’exportation, un marché́ qui connaît une forte croissance depuis plusieurs années.
Le consommateur, qui devra se familiariser avec ce mode de paiement en utilisant moins de cash possible dans ses transactions, doit être bien informé, sensibilisé et encouragé à recourir à ce mode de paiement offrant les avantages de disponibilité́, de sécurité́ et de fiabilité́, et donnant lieu à plus de possibilités d’achat.
Le changement des habitudes des consommateurs et l’instauration d’une nouvelle culture d’utilisation des moyens de paiement électronique exigent, d’abord, une plus grande disponibilité́ de l’e-paiement dans tous les segments de la vie quotidienne, et, ensuite, la mise en place de mesures incitatives visant à encourager le recours au e-paiement aux dépens des moyens de paiement classiques.
* Docteur en droit public économique