Au cœur des zones d’ombre de Zbarbar : Des projets qui dissipent l’isolement

Une brume épaisse enveloppe les sommets boisés des montagnes de Zbarbar, sur les hauteurs de Lakhdaria, à 60 km au sud-ouest de Bouira. L’air est glacial, chargé d’humidité, et les premières lueurs du jour peinent à percer le voile gris recouvrant les vallées.

L’hiver s’accroche et refuse de céder sa place. Les routes sinueuses portent encore les traces des dernières pluies, avec des flaques d’eau éparses reflétant un ciel hésitant. Il est 6h30, lorsque nous quittons la ville de Bouira en direction de Lakhdaria. Les rues sont presque désertes. Le froid est mordant. Après une trentaine de minutes sur le tronçon autoroutier en travaux depuis deux mois dans sa partie traversant Djebahia, nous arrivons à Lakhdaria. Au marché jouxtant la grande mosquée Malek-Benabi, une foule compacte s’affaire autour des étals. Les légumes et fruits d’hiver sont proposés à des prix légèrement inférieurs à ceux pratiqués ailleurs. Les vendeurs, tout comme les acheteurs emmitouflés dans leurs manteaux, échangent avec entrain et ferveur, le regard tourné vers un ciel chargé, dans l’attente d’autres précieuses pluies. Désireux de comprendre l’atmosphère des communes rurales en cette saison hivernale, nous prenons la route vers Zbarbar.

«Où nous étions, où nous sommes maintenant»

La chaussée est humide, les bourrasques de vent secouent les branches dénudées des arbres bordant le CW-4. La forêt qui encadre la route porte encore les stigmates des incendies enregistrés durant ces deux dernières années.
Les troncs calcinés se dressent en silence, contrastant avec le vert persistant de quelques espèces forestières ayant échappé aux flammes. Après une trentaine de kilomètres, nous apercevons le barrage de Koudiat Acerdoune, dominant les hauteurs des deux communes de Malla et Zbarbar. Son immense étendue d’eau reflète le ciel gris, créant ainsi un tableau presque mélancolique. Sur cette route, le trafic s’intensifie et la présence humaine se fait plus visible. La commune de Zbarbar, qui comptait 25.000 habitants, au recensement de 1987, a connu un exode massif durant la décennie noire. Actuellement, en 2025, sa population ne dépasse pas les 4.000 âmes, a-t-on appris auprès de l’édile communal, témoignant donc du déclin démographique qui a frappé la région au fil des décennies.
Quatorze villages ont été vidés de leurs habitants. Cependant, grâce aux différents programmes de développement mis en place par les pouvoirs publics, les villageois regagnent progressivement leurs terres.
Parmi ces initiatives, le programme des zones d’ombre ayant permis d’amorcer un début de renouveau. «Où nous étions, où nous sommes maintenant», confie-le P/APC de Zbarbar, Bakour Rabah, lors de notre rencontre. Cinq ans après le lancement de ce programme décidé par les autorités centrales du pays, destiné à désenclaver les régions rurales et à améliorer les conditions de vie des habitants, un sentiment de soulagement se fait sentir. L’électricité et le gaz naturel ont fini par atteindre les villages d’Ouled Saleh, Kaboub, Tafraout et Ouled Ben Asnane, longtemps privés du minimum vital. L’eau potable, autrefois un luxe, coule désormais dans la plupart des foyers. «Le programme des zones d’ombre a redonné vie à notre population. Beaucoup ont regagné leurs terres, d’autant plus que l’électrification rurale et les aides à l’habitat rural ont été renforcées», a déclaré le maire.

«Voir l’eau couler d’un robinet, presque un miracle»

Notre véhicule roule sur la route qui serpente à travers les collines boisées. Par endroit, le revêtement est impeccable, flambant neuf. Mais quelques kilomètres plus loin, les nid-de-poule apparaissent, témoignant d’un aménagement encore incomplet. «Il reste encore des villages, à l’image de Tafraout et Amier, qui attendent leur part de développement, notamment l’ouverture de pistes forestières et agricoles permettant aux villageois d’accéder à leurs terres», souligne encore le P/APC, insistant sur la nécessité de réaliser des routes agricoles pour permettre aux villageois de cultiver leurs terres et d’accéder à leurs parcelles.
Au village de Zouabria, les habitants savourent encore le bonheur d’avoir enfin accès à l’eau courante. Autrefois, femmes et enfants parcouraient des kilomètres, bidons en main, pour s’approvisionner. «Tourner un robinet et voir l’eau couler, c’est presque un miracle», témoigne un quinquagénaire marqué par des décennies de privation. Mais ce progrès ne concerne pas tout le monde. À quelques encablures de là, nous rencontrons Ali, un agriculteur. Il nous conduit jusqu’à son verger où les oliviers souffrent d’un manque criant d’eau. «Avant, nos sources naturelles suffisaient à arroser nos vergers», explique-t-il. «Mais aujourd’hui, toute l’eau part vers le barrage de Koudiat Acerdoune. Nous, on n’a plus rien ! On nous dit de creuser des puits, mais c’est hors de prix. Sans aide, on ne peut pas survivre». À quelques mètres, un vieux moteur d’irrigation rouillé repose sur le sol. Ali l’avait acheté dans l’espoir d’amener l’eau jusqu’à ses terres, mais le coût du carburant et de l’entretien l’a contraint à l’abandonner. Nous poursuivons notre visite à travers la commune.

Un potentiel touristique rural sous-exploité

Après avoir quitté Zbarbar, nous faisons halte à Mall, où des jeunes nous font découvrir des paysages magnifiques. L’immense étendue d’eau du barrage de Koudiat Acerdoune, deuxième ouvrage du pays en capacité de stockage avec 680 millions de mètres cubes domine la région. Le barrage recèle un immense potentiel pour dynamiser l’écotourisme local. Son vaste plan d’eau pourrait accueillir des activités nautiques comme le kayak, la voile ou encore la pêche récréative, tout en respectant l’équilibre écologique du site. Autour du barrage, des sentiers de randonnée et des circuits VTT pourraient être aménagés pour permettre aux visiteurs de découvrir la richesse naturelle et paysagère de la région. L’implantation d’aires de repos, de points d’observation et même de petites structures d’hébergement éco responsables favoriserait un tourisme local, tout en créant des opportunités économiques pour les habitants. En valorisant ce site unique, la région pourrait ainsi attirer une nouvelle dynamique touristique et offrir un cadre privilégié pour les amateurs de nature et d’aventure. «Ici, on pourrait faire du tourisme écologique, proposer des randonnées pour faire découvrir notre patrimoine», ont suggéré des jeunes de la région en précisant que les rares visiteurs sont pour l’instant des randonneurs aguerris, attirés par les sentiers escarpés. Mais pour que le tourisme rural se développe, il faudrait des infrastructures, des gîtes et des guides. Alors que nous nous apprêtons à partir, Ahmed, un ancien élément de la garde communale nous arrête : «On a traversé des moments bien pires. Nous ne demandons pas la lune, juste l’ouverture de pistes pour accéder à nos terres et faire revivre nos villages». Ses paroles traduisent l’attachement indéfectible des villageois de Zbarbar à leur terre. «Autour de nous, des sentiers boueux serpentent entre les collines, rendant l’accès difficile aux champs et aux hameaux, surtout durant la période des pluies», a-t-il encore déclaré, le regard perdu vers l’horizon.
Une chose est sûre, avec des routes praticables, l’électricité et le renforcement des équipements publics, beaucoup reviendraient, et ils sont déjà là, redonnant ainsi à leurs bourgs l’animation d’autrefois. Pour lui et pour beaucoup de montagnards, l’abandon n’est pas une fatalité, mais un défi à surmonter.

A. F.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 

Un programme ambitieux à renforcer

Depuis 2020, un ambitieux programme de développement a été lancé pour améliorer les conditions de vie dans les 522 zones d’ombre recensées à travers la wilaya de Bouira. Pas moins de 1910 opérations ont été inscrites dans ce cadre, mobilisant une enveloppe de 12,5 milliards de dinars, a-t-on indiqué auptès des services de la wilaya. Si la majorité des projets sont aujourd’hui achevés, 160 opérations restent en cours de réalisation, nécessitant encore 580 milliards de centimes, a-t-on ajouté de même source, et ce pour finaliser les infrastructures essentielles.
Ledit programme a permis d’apporter des améliorations notables dans plusieurs localités longtemps marginalisées, notamment à travers l’électrification rurale, l’alimentation en eau potable, la réhabilitation des routes et la construction d’écoles et de salles de soins. Toutefois, les autorités locales ont annoncé la mise en place d’un nouveau programme complémentaire, prévoyant la réfection de plusieurs établissements scolaires et sanitaires, ainsi que l’ouverture de pistes agricoles et forestières et ce, pour faciliter l’accès aux exploitations et encourager l’activité économique locale.

A. F.

 

Multimedia