
Interview réalisée : par Ghellab Chahinez
6 octobre 1973-7 octobre 2023, cinquante ans après. Même mois, même endroit, même ennemi, mêmes circonstances... La seule différence, l'absence, cette fois, de l'union arabe constatée en 1973, lors de la mobilisation de tous les pays arabes pour soutenir l'Égypte et la Syrie dans leur guerre contre Israël. Il s'agit d'un traité signé en 1950 par vingt pays arabes donnant le droit à ces derniers d'intervenir par tous les moyens, pour soutenir financièrement, militairement et logistiquement tout pays arabe en besoin ou en danger. Ce traité a été appliqué en 1967 et en 1973, lors des guerres de Syrie et d'Égypte contre l’entité sioniste. Cet accord de défense arabe commune permet, dans sa première clause, de préparer des plans militaires, pour faire face à tous les dangers attendus ou à toute attaque armée qui pourrait survenir contre un ou plusieurs États contractants ou leurs forces.
El Moudjahid : En 2023, nous assistons à une offensive sans précédent contre Ghaza qui a fait plus de 7.700 victimes, dont la majorité sont des enfants, et des milliers d'autres sous les décombres. Excepté les messages d'indignation, les États arabes sont impuissants à arrêter le carnage. Quelles sont, selon vous, les raisons ?
Dr Djidour : Aujourd’hui, nous sommes à la troisième semaine après l’opération héroïque menée par la résistance palestinienne «Tofane Al-Aqsa» le 7 octobre dernier, suivie d'une campagne de destruction massive sans précédent menée par les forces d’occupation contre les habitants de la bande de Ghaza.
Une série de questions fondamentales se profilent sur la position des pays arabes face à cette oppression systématique que l'entité sioniste inflige à un autre pays censé faire partie du tissu arabe. Et sur le manque d’initiative de la plupart des pays arabes pour stopper l'agression israélienne contre la bande de Ghaza, en particulier ceux connus sous l'appellation «les pays du cordon arabe» dirigés par l’Égypte, les pays de l'axe, dont le premier est l’Arabie saoudite, et les pays de la ligne de résistance, notamment la Syrie, on s’interroge sur leur incapacité à adopter une position ferme et décisive concernant leur soutien à la population de Ghaza, compte tenu de leur impuissance à se défendre et à répliquer militairement, mais qui disposent de cartes de pression, telles que l'arme de l'énergie et la menace d'annulation des accords de paix signés avec Israël.
Une autre question se pose également quant à la position arabe concernant l’activation de l’accord de défense commune, signé en 1950 et qui n’a été activé qu’une seule fois, lors de la guerre d’octobre 1973 et de nouveau partiellement lors de la seconde guerre du golfe et la libération du Koweït en 1992.
Qu’est-ce qui empêche le retour des valeurs de cohésion et de solidarité entre les Arabes en présence d’une menace qui représente un danger pour la nation tout entière, comme cette entité sioniste implantée dans le territoire arabe avant 1948 ? Cela est-il dû à l'incompatibilité des puissances militaires ?
Toutes les armées arabes, même si elles sont réunies en cas de guerre régulière (une armée d’État contre une armée d’État, et non une armée contre des organisations et des bataillons), sont incapables d’affronter l’armée sioniste, pour trois principales considérations.
La puissance d'armement et la possession d'un arsenal militaire n'existant pas chez les pays de la région, outre une puissance aérienne et navale destructives, la possession d'armes nucléaires et d’un réacteur nucléaire en service réel, notamment la centrale de Dimona, à quoi s’ajoute le soutien américain et occidental officiel. Les États-Unis sont, donc, un allié stratégique pour les sionistes. Selon le mémorandum d'accord américano-israélien signé en novembre 1981, un soutien militaire et économique est fourni à Israël lorsqu'il est sous menace, direct ou indirect, en plus du soutien des pays d’Europe, en particulier l'Europe occidentale.
En conséquence, même si les armées arabes envisageaient d’entrer dans un conflit armé contre l’État sioniste, elles se limiteraient à la confrontation et non à entrer en guerre contre l’Amérique et les pays d’Europe occidentale...
Après les guerres de 1948, la Nakba de 1967 et l'offensive contre Israël en octobre 1973, à laquelle les armées arabes participèrent, survint l'événement arabe le plus important qui perturba toute tentative future des armées arabes d'entrer en guerre contre l'entité sioniste qui est la signature du second accord-cadre et un traité de paix entre Israël et l’Égypte, signé le 26 mars 1979, sous la médiation des États-Unis. ce jour-là fut la première rupture qui a frappé les rangs arabes, l'Égypte étant allée seule signer un accord de paix avec l’entité sioniste, ce qui a conduit à un déclin des manifestations d’unité dans les rangs et dans les positions. Cela a été suivi par les Accords d'Oslo et la signature de l’accord sur Ghaza et Jéricho, le 4 mai 1994, et la reconnaissance mutuelle entre l’Autorité palestinienne et Israël, ce qui a ouvert la voie au redéploiement de l'armée israélienne à Ghaza et Jéricho. Quelques mois plus tard, il y a eu encore la signature de l’accord de paix «Wadi Araba» entre la Jordanie et Israël, en octobre 1994, qui précise la frontière entre les deux États et met fin aux revendications territoriales. La frontière jordano-israélienne est désormais pacifiée.
La fissure dans les rangs arabes s'est encore élargie en annonçant d’autres accords de normalisation avec la Mauritanie, puis le Maroc, le Bahreïn et les Émirats arabes unis, en plus d’un accord de représentation commerciale auparavant avec le Qatar.
Toutes ces manifestations ont été considérées comme une rupture dans les rangs arabes, car il est devenu impossible de parvenir à une mobilisation militaire arabe ou à un accord de mobilisation contre l’entité sioniste.
La plupart des pays arabes ont conclu des accords et des relations de réconciliation et de paix avec Israël, ce qui élimine toute raison de mésentente ou de guerre, même s'il s'agit de défendre un pays arabe. Ils leur rappelleront à chaque fois ces accords de réconciliation.
À cet égard, il faut souligner les projets présentés et parrainés par l’Occident pour redessiner la carte de la région arabe et redéfinir la question palestinienne et le conflit israélo-arabe. A savoir le processus de Barcelone, le consensus 5+5 au début des années 90, en plus du projet du Grand Moyen-Orient à travers lequel l'Amérique a tenté de redessiner le concept d'État en Palestine, sa vision de la relation des Arabes avec Israël et les valeurs sur lesquelles doit se fonder tout type d’entente régionale au Moyen-Orient, aboutissant à un projet qui n’a pas été mis en œuvre, mais dont l’idée existe toujours, qui est le «Projet du siècle», sur lequel Trump a travaillé avant de quitter le pouvoir.
L’ensemble de ces projets constituait une des images du contrôle américain sur la région et une forme par laquelle il tente de fixer sa vision de faire d’Israël l’État pivot de la région et de contrôler le nombre restant de pays arabes.
Ce furent des outils efficaces qui contribuèrent à décourager toute création et construction associative et d'union arabe face à l'entité sioniste. Et si l'on y ajoute quelques justifications économiques, comme l'aide qu'accorde l'Amérique chaque année à l'Égypte et à un nombre de pays du Golfe, au Liban et à la Jordanie, ce qui les place dans une position de faiblesse et ils n’osent, donc, pas affronter les Américains ni contrarier leurs pays alliés dans la région.
Alors qu'après l'invasion du Koweït par l'Irak en août 1991, la Palestine, représentée à l'époque par Yasser Arafat, a exprimé son soutien à l'Irak aux dépens du Koweït. les Palestiniens espéraient que la puissance irakienne émergente les aiderait à établir un état palestinien, ce qui a provoqué une fissure entre elle et les pays du Golfe, y compris la Jordanie et le Liban. Une position que les peuples du Golfe n'ont pas pu pardonner aux Palestiniens jusqu'à ce jour, et qui a rendu la plupart de leurs positions froides envers les droits palestiniens.
À cela s’ajoute un autre facteur décourageant très important, qui est l'incompatibilité de pensée entre les États du Golfe et l'Égypte avec la référence à la confrérie adoptée par le mouvement de résistance islamique Hamas, qui a pris sur lui la guerre contre Israël; ils lui sont hostiles à cause de cela. C'est dû aussi à l'existence d'une inimitié historique entre le mouvement salafiste dominant dans ces pays et le mouvement des Frères musulmans, fondé en 1928, avec lequel les salafistes sont en désaccord sur des questions jurisprudentielles et politiques, telles que la participation à la vie politique, la désobéissance au dirigeant, la loyauté et le désaveu, etc.
Une autre raison apparaît également, et qui n'est pas moins importante et dangereuse que ce qui a été mentionné ci-dessus, à savoir la perception du danger chez de nombreux pays arabes, en particulier les pays du Golfe, l'Égypte et certains pays du Moyen- orient, du fait du rapprochement entre la résistance palestinienne, représentée par le mouvement Hamas, et le Jihad islamique avec l'Iran. Les pays du Golfe et leurs voisins observent ce rapprochement avec prudence, beaucoup de doutes et de dangers, car ils ont toujours considéré l'Iran comme un État ennemi. Ils lui reprochent d'avoir affiché ses ambitions en Irak et dans le Golfe persique, sans parler de sa vieille crise avec les Émirats arabes unis concernant les trois îles persiques. Il y a deux principales raisons de l’hostilité des pays arabes envers l’Iran. La première est liée au leadership sur le monde islamique à travers le conflit entre sunnites et chiites.
La deuxième, la plus forte à mon avis, est l'incitation des Américains contre les pays arabes à maintenir une position hostile à l'égard de l'Iran en tant qu'ennemi traditionnel des Américains. D'où la plupart des vagues de haine et d'hostilité entre les pays arabes et l'Iran en faveur des États-Unis et en n'accordant à l’État chiite aucune forme de rapprochement qui lui permettrait de rétablir ses relations avec les Arabes sur des bases correctes.
C. G.